Quand on redécouvre Geoge Sand: Marathon woman !
[[C’est là une édition nouvelle des œuvres complètes de George Sand(1) que j’ai dénichée dans un des nombreux stands de la Foire nationale du Livre tunisien. La 36ème édition de cette manifestation organisée par le Ministère des Affaires Culturelles, en partenariat avec l’Union des éditeurs tunisiens, se tient en ce moment à la Cité de la Culture et se poursuivra jusqu’au 27 juin 2021.]]
On redécouvre George Sand. On redevient amoureux d’elle. Non pas de la jeune lionne qui s’habillait en homme, fumait le cigare, cocufiait Musset à Venise et apportait de la tisane à Chopin. Mais de la fée de Nohant, qui travaillait quatorze heures par jour et abattait ses vingt-cinq pages d’écriture, qui trouvait encore du temps pour s’occuper des pauvres républicains persécutés par Napoléon III, qui remplissait le monde de sa renommée et son castel d’hommes de génie.
A cinquante ans, la mère Sand est une sorte de Voltaire. Nohant est son Ferney. Elle inonde l’Europe de ses romans, essais, nouvelles, préfaces et articles. Elle expédie dix lettres par jour, dont certaines ont dix pages. Ce personnage-là, cette force de la nature, nous ravit, nous autres qui nous sentons assez anémiques.
Un de ses côtés les plus charmants est sa manière de courir sans cesse après 500 francs. Il lui faut des sous pour faire divorcer sa fille, élever sa petite-fille, aider son fils, payer les domestiques, faire marcher la maison. Toujours de bonne humeur, avec cela, aimant les copains et la blague, trouvant avec la maturité son vrai caractère, mélange de vieux troupier, de mère Goriot, de marquise de Grand-Air et de monstre sacré.
Le XIXe siècle devient magique. On s’aperçoit que les hommes qui l’ont façonné étaient des géants. George Sand est une géante. Elle a vécu et écrit démesurément. Exemple de ce tempérament fabuleux : à Venise, au plus fort de ses amours avec Pietro Pagello, elle écrit huit heures par jour et boucle en deux mois un roman de 400 pages, intitulé « Jacques ». Simenon(2) lui-même, champion de course de la littérature, n’arrive pas à de tels résultats. Car ce qui est beau chez George Sand, c’est qu’elle «tient la distance». "Marathon-woman" de la littérature française, elle se lance dans des œuvres massives, qu’elle mène à leur terme sans dévier ni faiblir. Elle attaque intrépidement la besogne.
Elle a toujours eu ses fanatiques, qui ne sont pas n’importe qui. Chateaubriand, lisant «Lélia» en 1833, lui fait part d’une admiration « prodigieusement accrue ». Balzac l’admirait tant qu’il l’a mise dans « la comédie humaine », où elle tient le rôle de la femme supérieure. Alain, qui était un lecteur génial, tenait «Consuelo» pour un des grands livres du XIXe siècle.
Même lorsque la bonne Dame de Nohant se laisse aller à des exagérations romantiques ou socialisantes, lorsqu’elle pose ou qu’elle fait la bête, on sent toujours derrière ses pages le puissant animal littéraire qu’elle était, qui connaissait bien la vie, qui sentait des choses profondes, qui les disait parfois avec génie, qui tricotait ses romans sans se tromper de point ni d’aiguille.
Parmi les autres livres en vue sur le stand des éditions Elyzad, j’ai feuilleté «Je vous écris d’une autre rive : Lettre à Hannah Arendt» de Sophie Bessis(3). Cette auteure franco-tunisienne compte parmi ses mentors Mme de Sévigné, Mme de Staël et George Sand !
Mohamed Habib Salamouna
prof de français
1- George Sand, Romans, vol. I et II. Édition publiée sous la direction de José-Luis Diaz, avec la collaboration de Brigitte Diaz et d’Olivier Bara. Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 2 vol., 1936 p. et 1520 p.
2- Le journaliste Duc Quy le surnomme : "Usain Bolt de la littérature".
3- Ce livre est paru en mars 2021 aux éditions Elyzad, 89 pages.