Tunisie: La grenade de Gabès, un fruit patrimoine !
Par Abdellatif Mrabet - En Tunisie, la culture du grenadier, Punica granatum des anciens, remonte à l’époque phénicienne, sinon au delà. Depuis, cultivé sans discontinuité, l’arbre a ses propres terroirs, les plus importants et les plus anciens étant aujourd’hui situés dans les oasis littorales méridionales du pays. A Gabès, l’antique Tacapes, comme du temps du naturaliste Pline l’ancien – qui en a vraisemblablement visité les jardins-, le grenadier marque toujours le paysage oasien. Là, hier comme aujourd’hui, poussant à l’ombre du palmier, il occupe une place médiane dans l’étagement des cultures, voisinant avec la vigne, le figuier et plus rarement l’abricotier et l’olivier. Cependant, ne se limitant pas aux jardins de la ville et de sa présente ceinture oasienne – Chenini –Nahal- M’torrech- la culture du grenadier couvre un terroir plus étendu, implantée du côté de la façade orientale du gouvernorat, longeant les côtes et courant sud depuis Gabés, jusqu’aux environs de Oued Ezzès, limite frontière avec le gouvernorat de Médenine.Aujourd’hui, dans la délégation de Mareth, bien présent dans les oasis traditionnelles de Kettana, Zarat et Zerkine, le grenadier semble même gagner en densité, s’implantant peu à peu sur de nouvelles parcelles de culture, compensant de la sorte une régression enregistrée dans certains îlots septentrionaux, notamment à Ghannouch et à M’torrech… De façon globale, en progression, la production gabésienne de grenades est toujours la plus importante du pays, avec une part dépassant le tiers du total national, cela pour une superficie cultivée d’environ 3000 ha.
Ce fruit qui vient à maturationen automne, est un produit alimentaire de choix apprécié autant pour sa chaire que pour son jus. A Gabès, conscients de ses qualités d’antioxydant, les locaux en ont une consommation bien variée, avec des déclinaisons culinaires typiques. Cependant, les Gabésiens font usage de l’arbre dans son ensemble, sollicitant son tronc, son écorce, ses feuilles et même ses fleurs, autant de parties qu’ils utilisentà des fins diverses. A Gabés, le cultivar le plus important est la variété appelée «Guebsi». Elle se décline en «Khadhouri» et «wardi», deux types qui font l’objet d’une forte demande au national comme à l’étranger.
Véritable produit de terroir, ce fruit est valorisé depuis 2009, labellisé par une indication officielle de provenance qui en certifie la qualité, garantit l’origine et, par la même en assure la protection surtout que, victime de sa réputation, la variété gabèsienne est aujourd’hui de plus en plus cultivée dans d’autres parties du pays. Tout récemment le ministère de l’agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche lui a réservé un nouvel arrêté (19/04/2021)portant délimitation de l'aire géographique conférant l'octroi de l'appellation d'origine contrôlée « grenades de Gabès » et l’approbation d’unnouveau cahier des charges.C’est dire que la grenade de Gabés est reconnue comme étant un produit agricole d’excellence. Cependant, pour être davantage efficiente, cette distinction doit s’accompagner d’autres mesures à même de réduire le poids des contraintes et des insuffisances: déficit en eau, faiblesse des circuits de commercialisation, difficultés de conservation des récoltes en l’absence d’infrastructure appropriée, complexité des démarches à l’exportation…De même, s’agissant du biologique, il faut continuer à bien accompagner ceux des agriculteurs intéressés parcette conversion de façon à ce que la certification de l’Institut méditerranéen obtenue par des producteurs et des productrices de Chenini soit aussi consentie à d’autres, dans plus d’une oasis du gouvernorat.
De même, sans retentissement culturel, la valorisation agricole par la seule labellisation technique ne suffit pas à la promotion du produit. Il ya aussi la dimension patrimoniale qu’il convient de souligner et de valoriser autrement que par la géographie de l’implantation et l’originalité du terroir. Le grenadier, élément oasien de base, n’est pas n’importe quel végétal. Il n’est pas seulement une manifestation de la nature. Sa culture et ses usages émanent d’un savoir-faire, de traditions locales et de pratiques demeurés vivaces. De ce point de vue,ilmérite de figurer dans l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel, tout autant que le palmier (n° 6/033) et l’amandier (n° 6/44). En effet, bien ancré dans le temps, issu d’un environnement et d’un savoir-faire particuliers, cet arbre peut aussi trouverune valeur ajoutée dans sa dimension patrimoniale. Les locaux, d’ailleurs, ne l’entendent pasautrement. A Kettana, où sa culture prédomine, on alla jusqu’à lui dédier un festival, le premier du genre dans le pays.
Malheureusement, interrompu en 2003, ressuscité en 2014, cet évènement peine à retrouver sa vigueur des premiers temps et requière aujourd’hui davantage d’appui etde suivi de la part des autorités culturelles et de la société civile. S’agissant de patrimoine oasien, Culture et Nature ne s’épousent-ils pas ? A quand un grand musée de l’oasis, un écomusée où l’on célèbrera à la fois l’environnement, l’hommeetsa culture ? Ne doit-on pas cela – et plus - à une oasisdéjà jugée digne de figurer sur la liste du patrimoine de l’humanité (liste indicative de l’UNESCO de 2008) ?
Abdellatif Mrabet