News - 02.06.2021

Les oiseaux nuisibles, une vraie menace qu’il faut prendre au sérieux

Les oiseaux nuisibles, une vraie menace qu’il faut prendre au sérieux

Ridha Bergaoui - La plupart des oiseaux sont utiles car ils nous débarrassent des insectes et des rongeurs. Ils sont des régulateurs essentiels de l’équilibre et de la diversité biologique. La présence des oiseaux est un indicateur de la qualité de l’environnement et des écosystèmes.

Certains oiseaux sont malheureusement nuisibles et occasionnent d’importants dégâts aux infrastructures et aux cultures.

Les oiseaux nuisibles

En Tunisie, trois espèces sont particulièrement nuisibles. Il s’agit des moineaux, des étourneaux et des pigeons domestiques. Ces oiseaux sont très présents partout, ont généralement un comportement grégaire et vivent en colonies de milliers d’individus. A coté des espèces citées, d’autres sont nuisibles à des degrés beaucoup moindres suite à leurs effectifs plus réduits. 

Aussi bien en ville que dans la campagne, ces oiseaux commettent des dégâts importants. Ils :

Endommagent, par leurs fientes particulièrement acides, les bâtiments, biens et véhicules

S’attaquent aux cultures

Détruisent des récoltes et les stocks des réserves

Propagent des parasites (acariens, poux et puces…) et des maladies diverses

Attirent d’autres animaux nuisibles

Occasionnent des nuisances sonores

Obstruent des canalisations  et peuvent causer des dommages et pannes diverses.

Dégâts des oiseaux nuisibles en milieu rural

En milieu rural, ces oiseaux nichent dans les arbres, brise-vents (qui sont employés par ces oiseaux comme dortoirs) et prés des habitations et des bâtiments agricoles. Ils se nourrissent des semences, des plantules et des graines. Ils s’attaquent également aux fruits et détruisent les bourgeons et les fleurs.

Des dégâts très importants sont occasionnés particulièrement sur les cultures des céréales compte tenu de l’importance de ces cultures qui occupent en Tunisie plus du tiers des surfaces agricoles. Dans le sud de la méditerranée, l’étourneau migrateur (insectivore en Europe) est un grand nuisible des récoltes des olives. Le tournesol et d’autres cultures, intéressantes aussi bien sur le plan agronomique qu’économique, sont abandonnés par les agriculteurs en raison essentiellement des attaques d’oiseaux. Le palmier dattier est également attaqué et  des régimes entiers de dattes sont pillés. Les arbres fruitiers (pêchers, pommiers, abricotiers, amandiers…) subissent également les attaques de ces oiseaux nuisibles.

Des dégâts économiquement importants

En Tunisie, les études sur les oiseaux nuisibles et les dégâts sur les cultures sont rares ou inexistantes. Pour avoir une idée, on peut se référer à des études menées en Algérie, notre voisin dont les caractéristiques climatiques, naturelles et écologiques et humaines sont très voisines  aux nôtres.

Une étude menée par l’Institut National de Protection des Végétaux (INPV) et rapportée par El Watan indique que le nombre d’étourneaux qui séjournent en Algérie en hiver est estimé à 100 millions d’oiseaux. Ceux-ci consomment prés de 50 000 tonnes d’olives représentant  8 000 tonnes d’huile. Madagh (2013) rapporte que les étourneaux aux environs d’Alger occasionnent des dégâts considérables sur les cultures, estimés à prés de 2,5   quintaux/ha de blé. Guezoul et al (2010), signalent, dans les oasis de la région d'Ouargla, des pertes par hectare de palmiers dattiers, allant de 3,4 à 5,1 quintaux de dattes détériorées par les moineaux. Les dattes sont consommées, picorées ou blessées ce qui entraine le déclassement des rameaux de dattes.

Malgré l’absence de données précises, on peut affirmer que les dégâts occasionnés par les oiseaux déprédateurs sont économiquement importants aussi bien pour les agriculteurs qu’au niveau national. Les dégâts dépendent de l’année et des conditions climatiques. Ils varient  selon  la culture, le site, les possibilités pour les oiseaux  de nicher (présence d’arbres et haies, brises vents, bâtiments…) et la proximité d’une source d’eau pour s’abreuver. Les oiseaux sont très mobiles et peuvent se déplacer sur des dizaines de kilomètres.

Moyens de lutte

La lutte contre les oiseaux n’est ni facile ni évidente surtout que certains oiseaux ont un régime mixte. Ils peuvent être insectivores pour nourrir leurs petits au nid (durant cette phase l’oisillon a besoin surtout de beaucoup de protéines pour sa croissance) et deviennent  granivores par la suite. Ces oiseaux sont utiles durant la première phase et nuisibles par la suite. Faut-il les combattre ou les protéger dans ce cas?

Les solutions les plus usitées, pour lutter contre les oiseaux déprédateurs, s’appuient surtout sur l’effarouchement des colonies des oiseaux pour les faire fuir et les éloigner.  Il s’agit de l’effarouchement sonore (canons, fusils de chasse) ou visuel (épouvantails divers, cerfs volants, ballons…).

Malheureusement les oiseaux s’habituent très rapidement à ces répulsifs qui deviennent très vite inefficaces. Par ailleurs ces techniques ne font que déplacer les oiseaux qui iront manger et nicher chez le voisin. Ils ne permettent pas d’abaisser les effectifs des populations d’oiseaux et de réduire les dégâts au niveau régional ou national.

Pour certaines cultures, il est possible d’utiliser des filets protecteurs. On peut également organiser la chasse au fusil et le piégeage de ces oiseaux. La dynamite est également utiliser pour effrayer et tuer les étourneaux.

La destruction des nids (au printemps et en été) permet de réduire la multiplication des oiseaux. En ville, il est recommandé de ne pas nourrir les oiseaux afin de limiter leur multiplication rapide.

L’utilisation de produits chimiques répulsifs gustatifs est envisageable mais leur innocuité et efficacité sont discutables.

Les drones pourraient, dans un futur proche, représenter une alternative intéressante  d’effarouchement sonore et visuel à la fois, grâce aux nombreuses possibilités offertes par ces engins volants télécommandés et aux nombreuses applications intelligentes.

Des techniques culturales permettent également de réduire les dégâts occasionnés par ces nuisibles. On peut:

Utiliser de variétés végétales, riches en tannins, résistantes aux attaques des oiseaux

Éviter les parcelles historiquement attaquées par les oiseaux

Coordonner le semis avec les voisins pour diluer l’effet des oiseaux et les dégâts sur la parcelle

Être vigilent et attentif à l’activité des oiseaux pour intervenir à temps.

La lutte intégrée (biologique et mécanique) et l’utilisation de variétés résistantes aux oiseaux (moins appréciées et attaquées) représentent la meilleure stratégie pour réduire les populations des oiseaux et limiter les dégâts occasionnés.

Nécessité de développer des études sur les oiseaux nuisibles

Les oiseaux déprédateurs détruisent une partie importante des récoltes et entrainent un manque à gagner important. Aussi bien pour les céréales (aliment stratégique) que pour les olives, les dattes, le tournesol et bien des arbres fruitiers, les pertes subies sont importantes malheureusement peu quantifiées. Les méthodes actuelles de lutte, basées sur l’effarouchement des oiseaux et pratiquées par les agriculteurs, sont inefficaces.

Les actions menées par le Ministère de l’agriculture se limitent à octroyer des autorisations pour la capture et piégeage des moineaux et étourneaux selon un cahier des charges et sous le contrôle de la Direction Générale des Forêts. Un arrêté publié chaque année réglemente la chasse du gibier dont les oiseaux (les dates de la période et les journées de chasse pour les différentes espèces autorisés, les techniques  et les zones autorisées par gouvernorats.

Il est nécessaire de développer la recherche et mener des études pour mieux connaitre les oiseaux nuisibles (importance, les espèces concernées, biologie et écologie …), les cultures attaquées et les stades sensibles. Il faut également quantifier les dégâts  en fonction des cultures, des régions et des conditions climatiques.

Il faut mettre au point des stratégies de lutte efficaces permettant de réguler les populations de ces déprédateurs, les méthodes biologiques et la lutte intégrée sont à privilégier. Rechercher les moyens de favoriser la présence des oiseaux insectivores et les oiseaux de proie dans nos campagnes serait un moyen intéressant d’améliorer la productivité des cultures.

Conclusion

Suite à leur grande mobilité et en raison de leurs effectifs très importants, les oiseaux nuisibles  déprédateurs occasionnent des pertes importantes aux cultures et aux récoltes.

La création de laboratoires de recherche et d’études sur les oiseaux permettrait d’avoir des données précises sur les oiseaux nuisibles et de proposer une stratégie nationale de lutte efficace. Celle-ci doit-être basée sur des connaissances biologiques scientifiques précises et permettre de gérer rationnellement et réguler les populations et réduire les dégâts.

Il ne s’agit pas d’éradiquer les oiseaux granivores et frugivores, qui nous débarrassent également de nombreux insectes ravageurs des cultures, mais de trouver un rapport optimal bénéfice/risque induit par la présence de ces oiseaux. Ces méthodes doivent être économiques et sans danger pour l’environnement et la biodiversité.

Le réchauffement climatique menace la Tunisie. Les précipitations risquent désormais d’être moins abondantes et les rendements agricoles faibles. Au temps où la sécurité alimentaire est un pari national important, en présence des nombreuses crises que connait la planète, la réduction des pertes des produits agricoles est primordiale. Il s’agit des pertes enregistrées tout le long de la chaine des valeurs allant de la culture, la récolte ainsi qu’au cours du transport et du stockage. La lutte contre les oiseaux déprédateurs est une composante importante  de notre sécurité alimentaire.

Ridha Bergaoui
Professeur universitaire

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