Tunisie: La naissance, rites et symboles
Comprendre l’enfantement en Tunisie à travers la lecture anthropologique et sociologique d’une universitaire spécialisée en civilisation arabe et musulmane relève de l’enchantement. Sihem Dabbabi Missaoui nous livre un éclairage croisé et instructif dans son ouvrage La naissance en Tunisie. Rites et symboles, qui vient de paraître chez Sud Editions. Professeure des universités et membre de l’Académie Beit al Hikma, elle s’y est investie pendant trois années, se documentant, dans les bibliothèques parisiennes, sur l’anthropologie de la naissance et de la petite enfance, avant d’approfondir ses recherches en Tunisie, parcourant également les régions.
Ce livre, Sihem Dabbabi Missaoui l’a conçu entre l’académique et le grand public, comme une œuvre utile à toute future parturiente, mais aussi un hommage à chaque maman. Au départ, elle avait organisé un séminaire sur les rites pour des doctorants. Et à leur demande, elle a rédigé un article d’une cinquantaine de pages qui sera inséré dans une publication collective. A sa lecture, le Professeur Abdelmajid Charfi, président de Beit al-Hikma, l’a incitée à en faire un livre. Remonter les passages des rites, en commençant par le tout premier, la grossesse et l’accouchement, puis les premières semaines et l’allaitement, lui a offert l’occasion de restituer tant de traditions profondément ancrées dans la société tunisienne.
Promesses et offrandes
La hantise de la stérilité taraudait les jeunes couples, surtout la mariée, et les familles, avant l’avancée de la médecine de la reproduction. Comment y parer ? Que faudrait-il manger ? A quel saint se vouer? Rien n’est oublié. Puis, une fois tombée enceinte, comment la future maman doit-elle se comporter, manger… ? Et après l’accouchement, quelle est la signification de l’akika, et autres préparations. Comment signes, symboles, symboliques, promesses, offrandes et rites s’entremêlent, selon les régions et les traditions locales ? Des herboristes, des spécialistes en arts et traditions tunisiens et des ethnologues viennent étayer un récit passionnant. En cinq chapitres, d’une écriture dense et soignée, l’auteure a traité tour à tour de la grossesse et de l’infertilité, de la préparation à l’accouchement et l’accueil du nouveau-né, de l’accouchement lui-même et de l’attention accordée à la maman et au bébé, des rites de clôture du cycle et d’intégration du bébé et de l’allaitement.
Chants et berceuses
Avec beaucoup de précision et une profusion de citations et mentions appropriées, Sihem Dabbabi Missaoui évoque, merveilleusement, sa propre fille, tout ce qui entoure la révélation des premiers signes de grossesse, la préparation du trousseau du bébé, les mets recommandés pour la future maman, et les préparatifs pour les cérémonies qui vont suivre. Le rôle de celle qui sera grand-mère est important, son affection et ses conseils, très précieux. Puis, vint le moment crucial de la sage-femme, kabla traditionnelle, ou technicienne spécialisée de nos jours, ainsi que du gynécologue obstétricien. Dans la société traditionnelle, la kabla incarne un rôle premier et une lourde responsabilité, comme le montre l’auteure. Le récit se relance dès les premiers moments de l’accouchement et se poursuit avec la prise en charge du nouveau-né, tout comme sa maman. Puis, pour les garçons, la circoncision, selon les rites et les confessions, la cérémonie du septième jour et celle du quarantième jour, et l’allaitement. Le tout ponctué par la mention d’incantations, de chants, de berceuses et autres traditions orales transmises de génération et génération.
Pour comprendre nos pratiques actuelles
Le livre se lit très agréablement comme un voyage à travers notre propre culture sociétale, s’appuyant sur des ouvrages de référence et des témoignages de traditions populaires. Il se distingue à la fois par sa démarche académique rigoureuse et son attachement à un récit attractif, accessible à tous. A ces mérites s’ajoute la bibliographie indexée en annexe qui mentionne des textes et livres instructifs. On y découvre particulièrement l’apport des ethnologues de la période coloniale en Tunisie qui ont laissé des écrits fort intéressants. Sihem Dabbabi Missaoui montre surtout à travers cet ouvrage la richesse de notre patrimoine anthropologique et sociologique et comment nous pouvons l’aborder d’une manière enrichissante pour comprendre nos pratiques actuelles.
La naissance, rites et symboles
de Sihem Dabbabi Missaoui
Sud Editions, février 2021, 200 pages, 20 DT