Opinions - 19.04.2021

Kamel Akrout: Gouverner, c’est prévoir

Kamel Akrout: Gouverner, c’est prévoir

Entre février 2020 et avril 2021 la Tunisie a subi une catastrophe sanitaire et une catastrophe économique. Les derniers chiffres et les projections donnent le tournis et l’effroi. A la cadence actuelle il faudrait plus de 4 ans pour vacciner toute la population, donc il serait difficile d’assurer l’immunité de groupe assez tôt pour reprendre une vie normale.

Si la catastrophe sanitaire est globale et inattendue, la nonchalance des acteurs politiques frise la non-assistance à un peuple en danger sanitaire et en danger de famine. Par leur comportement, ils ont rendu inéluctable la catastrophe qui se déroule devant nos yeux dans l’indifférence générale de la classe politique.

La Tunisie cumule aujourd’hui la catastrophe sanitaire à la catastrophe des finances publiques, de l’économie. Beaucoup de spécialistes l’ont écrit. Ils ont averti de l’imminence d’une catastrophe, ils n’ont pas été écoutés. Aujourd’hui, tous les ingrédients d’un double effondrement sanitaire et économique sont réunis et augurent d’une perte de contrôle sécuritaire sur le pays.

Le tort des différents gouvernements en charge du sort du pays, depuis février 2020 est d’avoir sous-estimé sciemment la pandémie et ses prolongements économiques et sociaux. Le premier diagnostic en février mars 2020, les premières mesures au printemps 2020, les carences dans les contrôles frontaliers, voire même la complaisance avec les franchissements illégaux et les fraudes multiples aux tests sont la cause directe de l’emballement catastrophique.

Entre février 2020 et avril 2021, la Tunisie n’a eu aucune stratégie de lutte contre la Covid19, les stratégies d’accompagnement économiques se sont avérées inefficaces et stériles. Le pays se trouve soudain conscient d’une impasse presque totale. En effet, pendant dix ans entre 2011 et 2021, la destruction des capacités économiques du pays, la fuite des investissements et des entreprises, l’usure des infrastructures ont handicapé le pays. Ces faiblesses issues de la calamiteuse gestion des dix dernières années pèseront très lourdement dans les mois et les années qui viennent.

En privilégiant leurs intérêts, en se focalisant sur leurs querelles de caste, les acteurs politiques ont retardé la mise en œuvre d’un plan de sauvegarde de la santé de la population et de la sécurité du pays.  Les atermoiements, les va et vient, les conciliabules politiciens pour le choix du gouvernement et des ministres ont relégué les intérêts de la population, des citoyens et en définitive leurs vies dans une position secondaire.

La caste au pouvoir est dès lors responsable et comptable de la mise en danger de la vie d’une population dans son ensemble. Cette responsabilité dépasse le strict niveau du gouvernement et incombe aussi, au moins partiellement la présidence de la République. En ne convoquant pas le Conseil de Sécurité Nationale, en se contentant de généralités théoriques quand il fallait imposer un plan de sauvegarde de la vie des populations, de leurs situations économiques et sociales, en n’imposant pas une économie de l’urgence sociale en capacité de stabiliser le pays, la Présidence a méconnu le cœur même de ses prérogatives, privilégiant l’accessoire au détriment de l’immédiatement utile à la sécurité des populations.

Ces dernières semaines, dans un empressement qui trahit la panique, une suite d’effets d’annonces est lancée à la va vite. Mais on sait d’ores et déjà que la voie suivie par le gouvernement et par la majorité n’aboutira qu’à l’accélération de la courbe des contaminations et la détresse économique et sociale des populations.

Pourtant une simple lecture de la situation de pays dans une situation comparable à la Tunisie, en avance de phase dans les contaminations, aurait permis aux responsables de saisir en avance, l’ampleur de ce qui risquait d’advenir dans le pays.

Préférant le décorum à l’efficacité, troquant le scientifique pour le politicien, les différents gouvernements n’ont fait qu’espérer retarder une échéance qui devenait inéluctable à force d’atermoiements, de zig zag et surtout de l’occultation de l’incapacité du pays à juguler la catastrophe. Une incapacité due essentiellement au pillage des ressources et la destruction de l’Etat et de ses institutions durant dix ans. Des moyens qui manquent aujourd’hui au pays dans la tourmente de la catastrophe. 

Dans la précipitation la stratégie est devenue nébuleuse et la communication indéchiffrable. Le coût de la catastrophe est devenu exorbitant à force de reculades et d’indécisions. Acculés les gouvernants s’efforcent de faire porter le coût sur les entreprises et sur les citoyens pour masquer l’incapacité de l’Etat dont les caisses ont été vidées. Comment peut-on reporter sur les plus humbles le respect des injonctions en matière de quand le prix des masques explosent. Comment respecter la distanciation quand les transports en commun sont bondés et impraticables. Ces injonctions ne sont pas opérationnelles quand la majeure partie de la population vit de l’informel sans aucun filet de sécurité économique au quotidien.

La première des priorités aurait été de maintenir les revenus des plus humbles, de sauvegarder les revenus de la classe moyenne, de sauver les secteurs stratégiques pour l’économie. Des mois durant, les acteurs du jeu politique ont, par immobilisme fait perdre au pays la chance de sanctuariser l’économie et de maintenir les chances de relance intactes dans la perspective de la reprise économique mondiale.

L’Etat n’a pu investir dans des travaux de sauvegarde de l’infrastructure. Les entreprises publiques victimes des jeux de pouvoirs sont majoritairement dans le rouge ou au bord de la faillite. Tout le tissu économique public d’Etat construit par les générations passées a été détruit en dix ans.  A trop indemniser certains les acteurs politiques ont appauvri l’ensemble du pays. Un « ihtitab » qui ne dit pas son nom.

Nous voilà au pied d’un mur, d’un barrage, avec une classe politique à court de solutions et surtout dans l’incapacité d’agir, car elle n’a ni les moyens, ni la volonté et encore moins la philosophie. Le temps manque, le pays et la population sont en danger.  

Kamel Akrout