News - 07.04.2021

Tunisie - La viande rouge, un aliment trop cher : Faut-il devenir végétarien?

Tunisie - La viande rouge, un aliment trop cher : Faut-il devenir végétarien?

Par Ridha Bergaoui - Depuis quelques années, le pouvoir d’achat du tunisien se détériore de plus en plus et les prix ne cessent d’augmenter. Parmi les produits alimentaires importants, les viandes rouges deviennent inaccessibles au citoyen moyen qui se plaint des prix trop élevés. De leur coté, les éleveurs protestent et affirment qu’ils ne font pas de bénéfices au contraire, ils sont en train de vendre à perte surtout avec l’augmentation des prix des fourrages et la mévente de leurs animaux suite à la crise de la covid-19. Les bouchers voient les clients fuir leurs échoppes et leur chiffre d’affaire dégringoler d’une façon vertigineuse, certains ont même dû fermer boutique.

L’inflation, la spéculation et la mauvaise gestion expliquent en partie la situation catastrophique du secteur. En réalité la viande rouge a été de tout temps et partout un produit relativement cher et la crise actuelle est planétaire.

La viande rouge revient très chère au consommateur

La production de la viande revient schématiquement en une transformation, par l’animal, d’aliments non utilisables directement par l’homme, en muscles.

Les frais alimentaires, un facteur déterminant au niveau de l’éleveur

La viande provient de l’abattage d’un animal vivant. Celui-ci a besoin d’une alimentation qui renferme tous les éléments nutritifs nécessaires en qualité et quantité. Une partie importante de la ration sert à réguler le métabolisme de base de l’animal. Par ailleurs plus l’aliment est pauvre, plus il faut des quantités importantes pour que l’animal couvre ses besoins nutritifs.

Cette transformation est très couteuse. On admet qu’il faut en moyenne 10 à 12 kg d’aliment pour produire 1 kg de gain de poids chez les bœuf-mouton mais beaucoup moins pour le poulet et les œufs (seulement 2-3 kg).

L’aliment est le facteur le plus important dans la production de la viande. Il intervient à 65-70% du prix de revient de la viande au niveau de l’éleveur.

L’origine génétique a une incidence sur l’efficacité de cette transformation. Des races et des populations animales sont plus efficaces que d’autres. L’origine génétique a également un effet sur la conformation des animaux et la répartition des muscles dans la carcasse.

A côté de l’aliment, l’élevage des animaux suppose des bâtiments et des équipements, de la main d’œuvre spécialisée, des soins vétérinaires (vétérinaires, médicaments et produits d’hygiène) et d’autres frais (énergie, eau-électricité et divers).

De l’animal chez l’éleveur à la viande du boucher

Pour arriver au consommateur comme viande, l’animal d’élevage passe par de nombreuses étapes et toute une chaine d’intermédiaires. Il y a tout d’abord ceux qui amènent l’animal de l’éleveur au marché aux bestiaux (transporteurs, ramasseurs, maquignons et autres marchands), ceux qui opèrent entre le marché et l’abattoir  et  enfin les commerçants de la viande (chevillards, grossistes, détaillants et bouchers).

A chaque étape, des frais supplémentaires viennent s’ajouter pour finalement augmenter le prix de la viande. Ajoutons d’une part le faible rendement en viande (le rendement carcasse/poids vif est d’environ 50%) et d’autre part les frais d’abattage, les taxes… et le prix de la viande grimpe très vite (surtout pour les morceaux nobles comme le filet et toute la partie arrière de la carcasse).

Des frais cachés payés par la collectivité

A côté du prix payé par le consommateur chez le boucher, d’autres frais sont indirectement payés par le contribuable. Ces frais ne sont pas inclus dans le prix de vente au consommateur, ils  concernent la détérioration de l’environnement et la santé du consommateur.

Environnement

L’élevage est  source de nuisances. Les ruminants sont de gros producteurs de méthane et de CO² soit directement soit suite à la fermentation des aliments et des déjections. CO² et méthane sont deux Gaz à Effet de Serre (GES) responsables en grande partie du réchauffement climatique.

L’élevage est également un gros consommateur de ressources. Il s’agit des surfaces et de l’eau utilisées pour les cultures fourragères et la production des aliments destinés au bétail (maïs,  soja…). Les élevages intensifs sont responsables également de la pollution des eaux de surface, des sols et de l’air suite à la quantité très importante de déjections polluantes qu’ils produisent.

A cause de ces nuisances, certains pays recommandent de mettre en place une taxe environnement sur la viande.

La santé du consommateur

La surconsommation de la viande rouge, l’importante quantité de graisses contenue dans la viande ainsi que le taux élevé de cholestérol sont à l’origine, chez le consommateur, de pathologies graves comme les maladies cardiovasculaires, le cancer, le diabète de type 2 et l’obésité. Par ailleurs, la viande peut être contaminée par de nombreux microorganismes et véhiculer des pathologies redoutables surtout en l’absence d’un contrôle vétérinaire adéquat. L’utilisation excessive de médicaments, d’antibiotiques et d’autres facteurs de croissance laisse des résidus dans la viande nuisibles à la santé du consommateur et a conduit à des cas d’antibio-résistances graves.

Ces pathologies coutent cher aux malades et à la collectivité.

Malheureusement les prix ne feront que grimper encore

La viande rouge, de bœuf et de mouton, coute de plus en plus cher au consommateur. L’intensification, la rationalisation de la conduite des élevages et l’élevage en bande ont réduit quelque peu les couts de production en améliorant le gain de poids, réduisant la morbidité/mortalité ainsi que le gaspillage des aliments et les frais généraux. Elle a malheureusement amplifié les problèmes de pollution, de dégradation de l’environnement et d’épuisement des ressources.

Par ailleurs les prix des aliments du bétail ne cessent d’augmenter pour plusieurs raisons. L’inflation qui touche l’ensemble des produits agricoles mais également les conditions climatiques, et plus particulièrement le manque de pluie et la sécheresse conséquence du réchauffement climatique, qui limitent la production des fourrages.

Des pressions sur les marchés mondiaux du maïs et du soja, les deux aliments les plus utilisés en alimentation animale, sont de plus en plus importantes en raison d’une part de l’augmentation de la demande des pays à grande consommation comme la Chine et la Russie et d’autre part l’utilisation de ces deux produits comme biocarburants. Les crises géopolitiques et sanitaires (crise de la covid-19 par exemple) et les perturbations des échanges commerciaux ne font qu’empirer la dégradation de la situation des aliments du bétail et aggraver la crise de l’élevage.

Comment vivre sans viandes rouges

Il est possible de se passer partiellement ou complètement de la viande rouge sans aucune incidence négative sur la santé. Ceci permet par ailleurs de faire des économies d’argent conséquentes au niveau individuel, de se maintenir en bonne santé et de préserver l’environnement et les ressources.

On peut remplacer la viande rouge par la viande blanche (dindon et poulet), beaucoup moins chère, plus rapide à préparer et plus pratique.

Le poisson est une excellente source de protéines. Les poissons bleus sont très riches en oméga 3 et les prix n’ont rien à voir avec ceux des viandes rouges.

Dans de nombreux pays développés, la consommation de la viande rouge a très sensiblement diminué ces dernières années et de nombreux consommateurs se sont reconvertis au flexitarisme, végétarisme, végétalisme et même au véganisme. Cette tendance s’explique par la prise de conscience des méfaits de la surconsommation de la viande sur l’environnement et la santé mais également du mal être des animaux dans les élevages et lors de l’abattage. Dans les élevages intensifs, les conditions de vie, de transport et d’abattage des animaux se font parfois dans des conditions insupportables. De nos jours, le consommateur exige de plus en plus le respect de la vie et de l’animal. De nombreuses personnes rejettent l’idée de tuer des animaux pour les manger. Certains vont jusqu’à l’antispécisme en mettant en cause la supériorité de l’espèce humaine et son droit d’exploiter et de tuer les animaux des autres espèces.

Les légumineuses sont d’excellentes sources de protéines bon marché. Elles présentent un grand intérêt sur le plan agronomique en enrichissant le sol en azote pour les cultures suivantes. De nombreuses préparations industrielles à base de légumineuses existent déjà depuis de nombreuses années. Ces substituts, appelés aussi viande végétale, imitent la viande rouge à tout points de vue (gout, couleur, texture, jutositè…). Ils sont utilisés sous diverses formes (hachés, hamburgers, galettes et boulettes, nuggets et autres produits pannés…)  seuls ou avec d’autres types de viandes. Ces produits sont de grand secours pour les végétariens en manque de viande.

Enfin, pour être complet deux substituts qui représentent des protéines du futur : la viande artificielle de culture et les insectes. En effet de nombreux laboratoires dans le monde travaillent pour produire, à partir de cellules animales souches cultivées dans des milieux de cultures spécifiques dans des usines-laboratoires, des morceaux de viandes ressemblant à des steak de bœuf, comprenant des fibres musculaires, des cellules épithéliales et des cellules graisseuses. Les techniques sont au point et le produit obtenu possède toutes les caractéristiques physiques et organoleptiques d’une véritable viande de bœuf. Les recherches portent actuellement sur les moyens de réduire les coûts de cette nouvelle viande rouge de culture.  Quant aux insectes, ils sont déjà consommés et très appréciés dans de nombreux pays d’Afrique et d’Asie surtout. De nombreuses entreprises dans le monde, élèvent plusieurs espèces d’insectes dont les larves sont séchées et broyées. La farine ainsi obtenue est très riche en protéines et bon marché. En attendant l’autorisation de son utilisation en alimentation humaine, cette farine est actuellement incorporée dans des aliments poissons d’élevage et animaux de compagnie.

Conclusion

La viande rouge revient de plus en plus chère. elle risque bientôt de devenir un produit de luxe accessible uniquement aux personnes aisées. La disponibilité et le prix des aliments du bétail représentent le principal facteur déterminant le cout de production de la viande.

Il est possible de ralentir, au niveau national, la tendance à l’augmentation du prix de la viande rouge en optant pour des systèmes d’élevage intégrés aux cultures et en augmentant les ressources fourragères. Choisir des productions de qualité avec labels et appellations certifiés permet à l’éleveur d’améliorer ses recette et au consommateur de bénéficier d’un produit cher mais de qualité. L’élevage joue des rôles agronomique et socio-économiques importants,  l’appui financier de l’Etat pour soutenir les éleveurs serait indispensable pour assurer la pérennité de ce secteur.

Le consommateur a la possibilité soit de limiter sa consommation de viande rouge en fonction de ses moyens soit de se rabattre sur les alternatives exposées précédemment. Les légumineuses représentent un excellent substitut à la viande tant pour le consommateur que pour l’agriculteur et l’environnement en général. Les autorités doivent encourager la culture de ces graines très intéressantes afin d’améliorer leur disponibilité et réduire leur cout.

Ridha Bergaoui
Professeur universitaire