Opinions - 01.04.2021

L’édito de Taoufik Habaieb: Ne laissons pas notre diplomatie sombrer

L’édito de Taoufik Habaieb: Ne laissons pas notre diplomatie sombrer

Passage à vide ou cas désespéré? La diplomatie tunisienne est loin d’être au mieux de sa forme. Absence de vision, manque de leadership et très peu de signaux donnés aux ambassades... et pour tout dire, un amateurisme avéré. Ce fondement de souveraineté, reflet de notre image dans le monde et levier de développement, perd de son lustre et de son impact. Au moment où la Tunisie en a le plus besoin.

Retard à l’allumage et au repositionnement. Face à un remodelage rapide de l’équilibre des forces dans les relations internationales, nous ne parvenons pas à occuper la place de choix qui sied à notre démocratie. Avons-nous su reconquérir nos premiers partenaires, susciter de nouveau leur intérêt et mériter leur soutien ? La diplomatie se joue dans les grandes capitales, avec des atouts majeurs.

Lorsque l’Union européenne propose un nouveau projet pour la Méditerranée, lui a-t-on présenté notre vision, des projets? Lorsque l’Amérique de Joe Biden refonde sa diplomatie sur les alliances et les valeurs, la Tunisie, pourtant alliée majeure non membre de l’Otan, s’en est-elle prévalue ? Serions-nous parmi les acteurs significatifs du sommet sur la démocratie que le président américain prépare pour la fin de l’année ?

Nous n’intéressons plus personne? Entre repli sur soi, hésitations et contre-discours, on multiplie les ruptures successives dans le déni de nos fondamentaux. L’image de la Tunisie ne peut que s’embrouiller davantage.

Un rôle moteur dans les instances internationales est-il encore à notre portée ? Qu’avons-nous fait de notre mandat au sein du Conseil de sécurité de l’ONU ?

La diplomatie des grandes manifestations n’est pas de se contenter des hébergements et de la logistique. Si la Tunisie s’est proposée pour accueillir le sommet de la Francophonie (novembre 2021) et la conférence Ticad (Japon-Afrique, 2022), c’est pour apporter des idées neuves, tisser des relations fructueuses et bénéficier des réseaux et opportunités qui s’offrent. Avons-nous fixé des objectifs précis et établi des plans pour y parvenir ?

Les couacs se multiplient. La Tunisie offre l’image d’un pays qui se désengage de l’action multilatérale et des postes internationaux. Un haut diplomate tunisien sollicité en tant qu’envoyé spécial de l’ONU pour la Libye ? La réponse est négative. Un éminent juriste postulant à la Cour pénale internationale ? Le soutien indispensable lui fera défaut. Une candidature à un poste de commissaire de l’Union africaine réunissant de bonnes chances d’aboutir ? Aucun dossier n’est présenté.

Des chefs de la diplomatie ou des ministres des Affaires étrangères, rattachés à Carthage, en contrat de très courte durée, s’interrogent les chancelleries. S’il appartient au président de la République «de déterminer les politiques générales dans les domaines de la défense, des relations extérieures et de la sécurité nationale (...) et ce, après consultation du chef du gouvernement » (Art. 77 de la Constitution), la mise en oeuvre est du ressort du gouvernement, par le ministre des Affaires étrangères. Beaucoup s’y trompent et ne savent plus qui dirige le ministère des Affaires étrangères.

Mechichi ajoute à la confusion, une gestion a minima. Pris par d’autres préoccupations, il prend quelques initiatives, comme réunir des ambassadeurs, appeler des homologues ou effectuer une visite à l’étranger. Elles restent timides et limitées. Son déplacement à Paris, à la veille des fêtes de fin d’année en décembre dernier, en illustre le très faible impact.

Le département en paye les frais. Trois ministres successifs des Affaires étrangères en dix-huit mois, trois ambassadeurs à New York en six mois, alors que la Tunisie siège au Conseil de sécurité de l’ONU, un mouvement diplomatique le plus large et le plus coûteux avec des mutations entre postes lointains : difficile à justifier.

Peut-on faire de la bonne diplomatie dans les circonstances actuelles? Les sceptiques risquent de l’emporter. Mais, dans cet art de l’impossible, rien n’est définitivement perdu.

Une nette distinction est à faire entre le ministre et le ministère. Le département regorge de ressources compétentes. Maintenues en déconnexion et ne comptant que sur leurs propres efforts, elles n’attendent qu’orientations, inspiration, appui et suivi. Le rôle d’un ministre est alors crucial.

Réduire la solution à une question d’homme ou de femme à la tête des Affaires étrangères ne suffit pas? Essentiellement, une vision nouvelle pour notre diplomatie, à partir d’une lecture perspicace du nouveau monde, une réadaptation de nos paradigmes et un mode opératoire innovant, sont urgents.

Taoufik Habaieb