Centenaire du mouvement communiste en Tunisie (1921-2021): Expo, séminaires et projection de films à la Cinémathèque de Tunis
Par Habib Kazdaghli - Depuis le mardi 23 mars et durant toute cette semaine (23-26 mars 2021), se déroule à la belle cité de la Culture de Tunis (Avenue Mohamad V) et plus particulièrement à la Cinémathèque une grande manifestation sous le signe de l’histoire, de la mémoire et du patrimoine d’un siècle de luttes pour l’égalité, la liberté la dignité. Une histoire des mouvements de la gauche tunisienne dans la diversité des apports et la multitude des contributions et des sacrifices. Il s’agit d’une initiative scientifique proposée par le laboratoire du patrimoine de la Tunisie basé depuis 22 ans à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de banouba, qui se fait en étroite coopération avec le Bureau de la coopération Académique de la Fondation Rosa Luxemburg et qui a trouvé un soutien et encouragement de la part de plusieurs associations de la Société civile : Association Perspectives-Amel Tounisi, Fondation Hassen Saadaoui pour la Démocratie, Association Lam Cheml, Mountada Ettajdid, Fondation Ahmed Tlili etc…
A l’espace « Trèfle » qui surplombe le hall principal d’entrée, une exposition retrace ce siècle de luttes ouvrières et de luttes politiques entamée de manière organisée en mars 1921 avec la naissance de la première organisation communiste, à peine quelques mois après la naissance du parti destourien en 1920. Les photos et documents d’archives de la première heure sont exposés dont certains de première main, montrées pour la première fois au large public. A côté du premier manifeste du communisme en Tunisie, (la brochure rouge), les premiers poèmes populaires qui font l’éloge d’un communisme anticolonial et de libération sociale des travailleurs, poèmes d'Abderrahmen el-Kéfi dans leur édition originale.
Les premières figures du communisme étaient plurielles, multiraciales et internationales. Mais les premiers militants autochtones sont visibles à travers la figure de Mokhtar Ayari, à la fois syndicaliste et journaliste, qui sera le premier allié de Mohamed Ali Hammi lors de son expérience syndicale fondatrice du syndicalisme proprement tunisien. Comme lui, il a connu un long exil à Alexandrie et ne rentra en Tunisie qu’après l’indépendance, et ce, après le fameux procès colonial contre la direction de la CGTT en 1925.
L’histoire du parti communiste tunisien retrace le moment fort de l’épopée de la lutte anticoloniale et des résistances du peuple tunisien et de ses ouvriers contre l’oppression sociale et nationale.
Ce qui ressort de l’exposition : des itinéraires singuliers, des formes de sociabilité nouvelle, des barrières et des murs qui s’affaissent entre les communautés et groupes ethniques et sociaux : Pour la première fois dans ce pays, des tunisiens musulmans et juifs, s’organisent et fraternisent dans le même espace politique et syndical avec des français, des italiens, des maltais pour construire entre eux une même famille aux idéaux communs ayant la même devise : libérer l’homme là où il est au nom d’un idéal social et philosophique commun. Véritable épopée universelle et romantique. Par moment, la Tunisie devient un lieu d’exil, de refuge et de combat pour Antifascistes italiens, pour els Républicains espagnols, pour les gaullistes français.
Cette histoire est aussi celles de résistances et d’endurances successives. A coté des destouriens, les communistes on les voit aussi remplir les prisons et lieux d’exil, condamnés, pourchassés, durant toutes son existence à l’époque coloniale, le parti communiste de Tunisie a vécu dans la clandestinité, interdit, rarement toléré pendant l’intermède du Front populaire ou de l’après-guerre.
Mais cette histoire se prolonge après l’indépendance dans des conditions différentes. Face à l’Etat national en construction sous la direction hégémonique d’un parti destourien sorti victorieux sous la direction d’un chef auréolé et charismatique : Habib Bourguiba, les militants du parti communiste tout d’abord, suivis par les jeunes de la « nouvelle gauche » veulent tous, apporter leur contribution à l’édification de la Tunisie nouvelle, tant par la critique et le soutien-critique, que par l’opposition radicale, ce qui leur couta des années d’emprisonnement et de bannissement dans leur propre pays et malgré des tentatives d’adaptation au contexte national nouveau, c’est une véritable traversée du désert qui commence pour les communistes suite à l’interdiction de leur parti en janvier 1963. C’est aussi la naissance aux cotes et souvent en compétition avec le parti communiste tunisien, de nouveaux mouvements issus de la nouvelle élite de l’université : Le mouvement « perspectives » et les fameux premiers procès politiques de la gauche en 1968. Ensuite vint l’ère de pluralisme de la gauche et sa mutation et de ses évolutions successives. L’idéal communiste est reformulé par plus d’un groupe : El-Amel attounsi, watad, POCT, de procès en procès et de résistance en résistance raconte à sa façon l’histoire de la contestation étudiante.
La rencontre cent ans de communisme en Tunisie qui se déroule actuellement (23-26 mars) est déclinée en panels animés par des journalistes talentueux (Amel Chahed, Selma Jlassi, Adel Kadri, Hassen Ayadi, Mourad Zghidi, Leila Bourogaa, Soufiane ben Hmida etc. ), abordent avec sérénité et méthode sous le signe de l’apaisement et de la distanciation historique , les thèmes majeurs de ce passé et de cette mémoire, de la naissance jusqu’à la séance du bilan du siècle de communisme avec des historiens de plus d’une génération et des acteurs multiples.
La cinémathèque, partenaire de la manifestation a réservé au public une série de films tunisiens et mondiaux emblématiques dont « Terre tunisienne » « L’homme qui escalada la montagne », les Sabots en or de Nouri Bouzid, le célèbre « Sacco et vanzetti » et « Aouled Lenine » de Nadia El Fani etc.…
D’un objet de lutte politique, jalonné de passions, de divergences et de controverses qu’avaient connues, durant des décennies les campus universitaire, l’histoire du communisme tunisien (dans la multiplicité de ses apports) est invitée, par le laboratoire du patrimoine pluriel de la Tunisie, à l’occasion du centenaire de la naissance du premier noyau communisme, à devenir, aussi, un champs de la recherche historique, un objet de réflexion, de compréhension des méandres du passé. Un thème de haute valeur culturelle et mémorielle, qui continuera à être débattue à travers des rencontres déjà prévues dans plusieurs régions jusqu’à la fin de l’année 2021 : Gabès, 10 avril- Siliana, 21 mai- Bizerte, 19 juillet, Sousse, octobre 2021, marqueront l’ancrage de la Tunisie dans la modernité et son rattachement à la pensée universelle.
Habib Kazdaghli
Directeur du Laboratoire du Patrimoine
Ancien doyen de la Faculté des Lettres, des Arts et d'Humanités de Manouba