Abderrahman Ben Messaoud: L’agronome qui a révolutionné... le transport maritime tunisien (Album photo)
Jusqu’à tout récemment, il partait de Tunis très tôt pour rejoindre ses vignes près de Takelsa, au Cap Bon, les bichonner, pour ne rentrer qu’à la tombée de la nuit. Abderrahman Ben Messaoud, qui vient de nous quitter à l’âge de 86 ans, avait toujours été lié à la terre, passionné d’agriculture. D’emblée, il avait choisi de devenir ingénieur agronome. Sa vocation se réalisera et le conduira jusqu’au poste de secrétaire d’Etat à l’Agriculture. Député de Gafsa à l’Assemblée nationale, membre du bureau politique du parti de Bourguiba, dans l’équipe de Hédi Nouira, P.D.G. de la Compagnie tunisienne de navigation (CTN), il regagnera, mission accomplie, son ministère d’origine. Pas pour longtemps.
A 58 ans, il se décidera à solliciter une retraite anticipée pour se lancer dans l’agriculture. Reprenant une modeste exploitation viticole déclinante, Abderrahman Ben Messaoud en fera, par son savoir-faire, son labeur et les technologies avancées qu’il y apportera, une référence dans le secteur. Un parcours d’excellence.
Cet enfant de Gafsa, qui plonge ses racines ancestrales dans le grand sud tunisien, avait très tôt compris qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. Né le 15 mai 1934, Abderrahman Ben Messaoud s’aura s’accomplir dans ses études primaires et secondaires. Fort en mathématiques et physique-chimie, il n’hésitera pas à partager son savoir avec ses camarades, dispensant des cours particuliers gratuitement aux démunis, modestement rémunéré pour les plus aisés. Le maigre pécule gagné lui permettra de financer ses études. Pour préparer son baccalauréat, il rejoindra le lycée de garçons de Sousse, où il décrochera en 1956 son diplôme parmi les premiers de sa promotion.
Les années parisiennes bien couronnées
Sélectionné pour partir en France préparer les concours d’entrée aux grandes écoles, Abderrahman Ben Messaoud intègrera en 1957 le lycée Louis-le-Grand à Paris, le lycée Saint- Louis en 1958. Ni Paris, ni son Quartier Latin si attirants ne détourneront le jeune étudiant studieux de ses études. Son choix était fait : il se présentera en 1960 au concours d’entrée au prestigieux Institut national agronomique de Paris qu’il réussira, ainsi que les autres examens d’admission.
Tour à tour, Abderrahman Ben Messaoud décrochera son diplôme d’ingénieur principal (fin 1960), puis celui de l’Office de la recherche scientifique et technique d’outre-mer (Orstom), en 1961, ayant choisi pour thème de recherche les principales cultures et richesses du continent africain. Ce parcours académique spécialisé était très prisé. Et c’est ainsi qu’il a été tout naturellement sollicité pour différents postes au sein de plusieurs organismes internationaux à la recherche de spécialistes d’origine africaine et ayant un savoir-faire pointu en matière scientifique lié à l’agronomie et de chimie. Mais, l’appel de la patrie était plus fort. Sans la moindre hésitation, il décidera de regagner la Tunisie afin de servir son pays en manque de compétences et de savoir-faire en cette période.
Sfax et le Sud
Intégré au ministère de l’Agriculture, on laissera à Abderrahman Ben Messaoud quelques mois seulement pour qu’il se familiarise avec les services centraux avant de l’envoyer à Sfax en 1962. Les services régionaux étaient encore dirigés par des fonctionnaires français. La bataille de Bizerte incitait à la tunisification et le pays ne pouvait compter que sur ses jeunes ingénieurs pour assurer la relève. C’est ainsi qu’il aura la lourde tâche de prendre en main le développement agricole non seulement dans le gouvernorat de Sfax, mais aussi dans les autres régions du sud tunisien. Installé dans la grande bâtisse de la rue Ali Bach-Hamba, derrière le siège du Contrôle civil, entre la gare et le port, le jeune Ben Messaoud saura compter sur la première fournée de techniciens agricoles à peine recrutés, notamment les Achour, Karray, Habaïeb, les frères Charfi, et Kammoun, pour former une équipe motivée, apportant ses conseils aux agriculteurs et prônant la modernisation de leurs exploitations.
Secrétaire d’Etat, P.D.G. de la CTN et député
Quatre ans durant, Abderrahman Ben Messaoud s’y adonnera à fond, multipliant les réussites, ce qui le distinguera auprès de ses supérieurs. En 1966, il sera appelé à Tunis et promu chef du bureau de contrôle des terres domaniales ainsi que de l’Office de l’élevage national. Son périmètre s’élargira ainsi à l’ensemble du territoire. L’arrivée en 1970 du gouvernement Hédi Nouira lui offrira une belle distinction. Abderrahman Ben Messaoud sera en effet nommé secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Agriculture, fonctions qu’il assumera cinq ans durant jusqu’en1975. Changement de parcours en 1975, il est désigné président-directeur général de la CTN.
Le cumul étant à l’époque possible, Abderrahman Ben Messaoud sera élu en 1976 député de Gafsa à l’Assemblée nationale et rempilera pour ce mandat pendant deux autres législations successives jusqu’en 1988.
A l’issue de ce troisième mandat, Abderrahman Ben Messaoud, bénéficiant de sa retraite, se lancera dans une nouvelle aventure. Il se consacrera à la production agricole, se dédiant à moderniser la viticulture, et s’y accomplissant sans relâche. Il tirera sa révérence le samedi 23 janvier 2021 entouré de sa grande famille.
Taoufik Habaieb