La transition immobile: Panorama haute définition de la décennie 2011-2020
Par Mohamed-El Aziz Ben Achour - Grand commis de l’Etat, Abbès Mohsen a consacré toute sa vie professionnelle au service de la nation et de la République. Homme d’expérience et hautement cultivé, il s’est mis, après la révolution, au service de la mémoire nationale et de l’intelligence tunisienne. En 2012, il publia ses mémoires sous le titre « Servir » (éd.Tchou) puis en 2016 un travail magistral sur les gouverneurs (éd.Cérès). Son troisième opus « La Transition immobile, Chronique d’un échec » vient de paraître (Maison du Livre, 2021). Dans cet ouvrage, dont le contenu est beaucoup plus vaste que ne le laisse croire le titre, il nous livre une réflexion approfondie sur la dernière décennie sous la forme originale d’un dialogue apaisé et solidement argumenté entre cinq personnages venus d’horizons divers.
Ce choix, outre qu’il procure au lecteur un agrément certain, permet à l’approche résolument objective de l’auteur de se déployer avec ampleur. Certes, le livre a d’abord pour but de présenter une analyse des événements qui, depuis janvier 2011, secouent la Tunisie, entravent la marche de l’Etat, plombent l’économie et disloquent la société. Mais il est bien plus que cela, car Abbès Mohsen a le mérite de replacer les événements dans le cadre plus vaste de l’histoire contemporaine de la Tunisie ; ce qui permet au lecteur de revenir aux moments fondateurs de la modernité intellectuelle, politique et sociale dans notre pays.
Chemin faisant, l’auteur replace utilement les événements de la dernière décennie dans le contexte plus large des relations internationales et de la géopolitique. Le dialogue des protagonistes est ainsi l’occasion d’évoquer la période du Protectorat et de la lutte nationale puis celle de l’indépendance et de la 1ère République et leur empreinte sur ce qui se passe aujourd’hui. L’auteur nous donne moult exemples des conditions qui ont présidé aux choix des premiers gouvernements, des réussites spectaculaires et des dérives du pouvoir autoritaire sous les deux premiers présidents.
A ce propos, son appréciation de la longue présidence de Habib Bourguiba, à l’occasion de laquelle il corrige la tendance, en vogue aujourd’hui, d’un patriarche bon enfant, et le bilan équilibré qu’il dresse de l’Etat sous la présidence de Zine El Abidine Ben Ali sont à saluer. La discussion animée des cinq amis est aussi le prétexte à des développements particulièrement instructifs sur ce que furent les révolutions dans l’histoire du monde, ainsi que sur le contexte international et le rôle de l’étranger dans l’évolution de notre pays à la souveraineté bridée. De sorte que, au fur et à mesure de notre lecture, nous comprenons mieux la raison des prises de position et des décisions intempestives prises dès les premières semaines de 2011, de même que l’échec de la transition démocratique que l’auteur a raison de qualifier d’immobile.
Par sa vaste culture historique et politique servie par une plume élégante, Abbès Mohsen nous livre plus qu’un témoignage lucide: une radioscopie de haute précision sur une Tunisie aujourd’hui en grand péril.
La transition immobile. Chronique d’un échec
de Abbès Mohsen
La Maison du Livre éd., 2021, 390 pages, 40 DT