Tunisie: Les jeunes, la révolution et les réformes
Par Riadh Zghal - Ce qui est arrivé entre décembre 2010 et janvier 2011 était une révolte non une révolution. Pour qu’il y ait révolution, il faut des changements profonds dans tous les domaines depuis le culturel jusqu’à l’économique, en passant par le politique. Les changements politiques, on les a eus certes, mais le reste a été malheureusement placé sur une voie de dégradation continue. Les mauvais choix politiques ont été élaborés par ceux qui se sont placés au-devant de la scène, se prévalant de leur opposition au régime destourien institué depuis l’indépendance.
L'étendard du changement des institutions levé par les ténors des nouveaux arrivants sur la scène politique était fondé sur de faux paradigmes. D’abord les jeunes qui sont descendus dans la rue au prix de leur vie et de leur intégrité physique - les morts et les blessés étaient parmi eux – n’ont pas demandé de changement de la constitution, mais de la liberté, de la dignité et de l’emploi. Le second faux paradigme était que le changement des institutions de gouvernement du pays allait modifier la société. Alors ceux qui étaient arrivés à l’Assemblée constitutionnelle puis au Parlement ont tout oublié des appels des révoltés pour se consacrer à une lutte pour le pouvoir de remodeler la société en référence à une idéologie, à une conception des rapports de travail, à des intérêts particuliers… Une boîte de Pandore d’oppositions, d’antagonismes, de conflits s’est ouverte donnant lieu à une paralysie du développement économique. Entretemps, les caisses de l’Etat ont été vidées par plus d’un moyen : la «compensation» de ceux qui étaient dans l’opposition au régime précédent, comme si choisir de militer dans l’opposition donnait le droit de recevoir un prix payé par les contribuables, la création de nombreuses instances supposées veiller à la bonne gouvernance des affaires publiques mais c’est le contraire qui s’est produit. Et quand la question d’imputation de la responsabilité de la mauvaise gouvernance se pose, chaque parti ayant participé au pouvoir s’en défend et la rejette sur les autres. Puis on a exhibé une «volonté de lutte contre la corruption» qui a plutôt servi comme arme politique. Et voilà que des députés et autres hommes du pouvoir se transforment en inquisiteurs bloquant des réformes ou poussant à l’arrestation de leurs adversaires même sans jugement. Les ministres qui ont tenté de mettre de l’ordre et de s’occuper de réformes ont vite fait d’être balayés et le jeu des remaniements ministériels et des changements de gouvernement est devenu la règle : en 10 ans on en compte 11, et ce n’est pas fini. Alors adieu les réformes, les plans de développement, l’amélioration des conditions des populations et des régions marginalisées. En revanche, le mal s’est installé progressivement pour durer et s’aggraver: davantage de chômage et d’endettement, de moins en moins de croissance pour arriver à aujourd’hui à un taux négatif de -8%, encore plus de clivages sociaux et de médiocrité du paysage politique entraînant défiance, morosité, morbidité et mouvements sociaux continus destructeurs de ce qui reste de l’économie du pays.
Qu’en est-il des jeunes qui sont descendus dans la rue en janvier 2011 ? Ceux qui avaient 20 ans à l’époque en ont 30 aujourd’hui et que font-ils ? Il faut se rendre à l’évidence et reconnaître que, pire que le gaspillage économique, le pays est en train de gaspiller son capital humain et cela ne semble point effleurer la conscience de ceux qui se querellent pour leur positionnement au pouvoir. Le chômage a atteint la barre des 17%, des jeunes continuent à ériger des barricades sur les routes et les sites de production, d’autres émigrent soit légalement, soit en s’entassant sur les bateaux de la mort, d’autres quittent leurs établissements éducatifs et de formation tous cycles confondus, d’autres se droguent, d’autres s’engagent dans l’économie informelle depuis les commerces à la sauvette jusqu’aux trafics de toutes sortes, et d’autres sont en prison dont certains condamnés à une peine de 30 ans pour avoir consommé un joint ! Sans encadrement, sans perspectives, beaucoup de jeunes et de moins jeunes abreuvés par un paysage politique désolant se perdent dans les méandres de la pauvreté, de l’isolement et du désespoir que des médias plus ou moins complices se plaisent à les y enfoncer. Pourtant, nombreux sont les jeunes qui créent leurs projets, leurs start-up, qui s’investissent dans les organisations de la société civile, qui créent dans l’art, la littérature, la technologie. En revanche, sur le plan politique on voit plutôt des seniors et surtout des politiciens du troisième âge qui occupent les positions critiques du pouvoir !
Faut-il crier au désespoir ou garder espoir dans l’avenir de ce pays moribond ? Comme c’était le cas en janvier 2011, le pays reste ouvert à tous les possibles quoique ce ne soit pas un retour à la case départ.
L’espoir viendra peut-être de ces jeunes qui ont maintenant grandi, qui se secoueront de leur léthargie politique pour occuper la place qu’ils méritent sur la scène politique à l’échelle régionale et nationale. Le pays a besoin d’eux car ils sont plus connectés à ce nouveau monde de l’économie de la connaissance, de la technologie et de la création, plus agiles et plus réactifs par opposition à leurs aînés plus conservateurs et souvent fixés sur leurs «lignes rouges» empêchant tout changement.
L’espoir peut venir aussi des seniors de la politique, non avides de pouvoir, qui se consacrent à soutenir les plus jeunes qu’eux à s’organiser et à s’exercer à l’activité politique au service de la communauté et non des idéologies désuètes. Des seniors de cet acabit, il en existe encore dans notre pays fort heureusement.
Riadh Zghal