Kais Saïed : Le Président calligraphe
Par Slaheddine Dchicha - Le conflit entre le Président de la République, Kais Saïed et le Chef du gouvernement, M. Hichem Mechichi dure et il a fait couler tellement d’encre qu’il est inutile d’en rappeler les détails. De ce feuilleton à rebondissements ne sera retenu ici que l’épisode de l’échange épistolaire et plus précisément la lettre que le chef de l’Etat vient d’adresser au Chef du Gouvernement et que les services de communication de la Présidence viennent de rendre publique.
Une si longue lettre
Du point de vue du contenu, la lettre n’apporte rien que du déjà connu, confirmant le refus du Président de voir les ministres suspectés de corruption ou de conflit d’intérêts, prêter serment.
Cependant un petit détail attire l’attention. Alors que l’en-tête spécifie les prénom, nom et fonction de l’expéditeur, le destinataire n’est désigné que par sa fonction. Est-ce là, la réponse du berger à la bergère puisqu’il se dit qu’un précédent courrier a été renvoyé à M. Mechichi car au lieu d’être adressé au Président de la République, il aurait été, par erreur, adressé au Président du Gouvernement, autrement dit à lui-même ! Nous assistons là, de part et d’autre, à une «guéguerre» des egos qui consiste à éliminer symboliquement l’adversaire en effaçant son nom ou sa fonction. Egos surdimensionnés? Immaturité?...
En revanche, c’est du point de vue formel que cette missive présente le plus d’intérêt; En effet, la lettre est manuscrite et impeccablement calligraphiée dans un style «Naskhi» mâtiné du style «maghrébi». Elle fait immanquablement penser à l’écriture coranique, ce qui induit une sacralisation de la lettre et donc du pouvoir (présidentiel). Mais elle lui confèreen même temps une connotation négative : aspect vieillot et désuet qui vient renforcer le conservatisme traditionnaliste voire passéiste dont M.Kais Saïed est souvent affublé.
La communication kitsch
Non seulement le citoyen dispose d’une copie de la dite lettre mais il peut la voir dans une vidéo en train de s’écrire. Comme pour couper court à toute contestation et pour donner une preuve irréfutable de son authenticité, il voit le président assis à son bureau, élégant et sérieux se pencher sur une écritoire en tenant à la main droite une plume d’oie (!) qu’il trempe dans un encrier (!) et de s’atteler avec application à terminer l’écriture de la lettre. Il appose sa signature non sans certains signes visibles de satisfaction.
A l’heure du SMS et du mail; à l’heure du smartphone, de Facebook et autres réseaux sociaux, la communication présidentielle opte pour la lettre manuscrite, la plume d’oie, l’encrier… sans oublier le niveau de langue alambiqué dont use et abuse le Président… Un mélange de modernité et de tradition accentué par la vidéo qui est censée faire assister les citoyens en direct à l’élaboration de la lettre. Pour ce, par des zooms intempestifs et à force de très gros plans, elle serre au plus près le corps de Kais Saïed, son visage, ses mains mais aussi son écritoire sur laquelle on peut lire l’inscription «Président», ainsi que la lettre, la plume, l’encrier… une proximité qui engendre la gêne et le malaise car elle devient promiscuité.
La représentation vs l’exhibition
Bien sûr, la vidéo prétend nous montrer la vérité, mais en fait son existence-même et donc la présence de la caméra démontrent la manipulation. C’est ce même principe qui fonde la publicité, la propagande. Faire assister à une mise en scène qui veut se faire passer pour la vérité, pour la réalité.
Dans un élan de transparence et populiste, le pouvoir met en scène son dévoilement et ce faisant, il se «dépoile» et s’exhibe, révélant ainsi sa trivialité. Il devient obscène car ne l’oublions pas «obscène» renvoie à ce qui devrait rester «hors de la scène».
Slaheddine Dchicha
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