Covid-19 : Que faire pour éviter le pire en Tunisie ?
Par Habib Mellakh - Nos gouvernants et la majorité de nos concitoyens se complaisent dans le déni et l’irresponsabilité malgré l’aggravation de l’épidémie. Le nombre des personnes non contaminées, y compris dans le cercle familial, se rétrécit de jour en jour comme une peau de chagrin et l’ennemi invisible, qui nous assiège, nous ravit de plus en plus de gens de notre entourage et des êtres qui nous sont chers. Les citoyens, résignés, et contredisant le hadith selon lequel «le croyant ne se laisse pas piquer deux fois du même terrier», font toujours fi des mesures barrières, de l’interdiction du couvre-feu et de la circulation entre les régions sous l’œil impassible des autorités. Ceux qui sont chargés de faire respecter ces interdictions sont, pour une bonne part, des contrevenants souvent pris en flagrant délit. Le gouvernement ne sait plus à quel saint se vouer et se montre incapable de mettre en œuvre les mesures prises.
La mesure toute récente et tardive d’un confinement obligatoire d’une semaine dans des hôtels pour les voyageurs en provenance de l’étranger, à régler par ces derniers ainsi que celles qu’il avait prises auparavant, ne sont nullement en phase avec la contamination communautaire très grave qui sévit depuis le mois de septembre et face à laquelle le gouvernement se montre impuissant. Elle consacre la navigation à vue à laquelle nos gouvernants nous ont habitués depuis la reprise de l’épidémie.
Cette décision aurait dû être prise au moment de la réouverture des frontières car elle aurait permis, dès le départ, de prévenir l’infection exogène. Elle peut certes contribuer à réduire dans une petite mesure la propagation de la maladie mais elle ne permet pas, en phase de contamination communautaire, d’éviter l’hécatombe.
En attendant Godot
Dans un contexte qui se caractérise, à l’échelle mondiale, par une rude concurrence pour se procurer le vaccin, et compte tenu de l’absence d’un calendrier vaccinal précis, du brouillage de la communication au sujet de l’arrivée du précieux sésame et des informations imprécises, pléthoriques et contradictoires sur la question, nous ne pouvons pas, dans un proche avenir, compter sur la vaccination pour éviter la catastrophe. Chat échaudé craint l’eau froide. Il est à craindre, à l’image du fiasco de l’approvisionnement en masques en mai 2020 et de la gestion chaotique de la vaccination antigrippale pendant l’automne dernier, que le vaccin anti-covid ne devienne ce Godot dont l’arrivée, annoncée à grand fracas et fébrilement attendue tout au long de la pièce de Becket, est toujours reportée. Un trait d’humour circule d’ailleurs en ce moment à Tunis. De nombreux Tunisiens, très sceptiques au sujet de l’acquisition rapide du vaccin, se gaussent des promesses gouvernementales à ce sujet qu’ils ne prennent pas au sérieux. Ils comparent le vaccin anti-covid à la voiture populaire : l’inscription pour son acquisition, disent-ils, est très facile mais les délais de livraison sont trop longs.
Les responsables politico-sanitaires, le ministre en tête, font justement beaucoup de bruit ces derniers temps pour annoncer l’arrivée au mois de février, dans le cadre de l’initiative Covax de l’OMS, d’un premier lot de vaccins dont l’estimation varie selon la date de la déclaration ou la source qui est à l’origine de l’information. Ces annonces surprenantes contredisent les déclarations faites le 12 janvier dernier sur la chaîne RTCI par le représentant de l’OMS à Tunis, Yves Souteyrand, selon lesquelles la réception par la Tunisie du premier lot de vaccins ne pourra intervenir, au mieux, que dans quelques mois. De surcroît, elles sont aux antipodes des prévisions des membres du comité scientifique selon lesquelles la campagne de vaccination ne pourra débuter qu’au mois d’avril. Tout compte fait, leur finalité première consiste à rassurer les Tunisiens qui, ayant désespéré de tout le reste, attendent le vaccin comme on attend une bouée de sauvetage.
En attendant Godot, quelles mesures le gouvernement doit-il prendre pour éviter un scénario catastrophique ?
Vers un reconfinement total inéluctable
Nos gouvernants savent que le vaccin, à lui tout seul, ne peut, dans cette phase de contamination communautaire, faire des miracles. Le confinement total, bien que tardif, apparaît, d’un point de vue scientifique comme une mesure appropriée pour ralentir, dans la phase de la contamination communautaire, la propagation du coronavirus, réduire les pertes humaines considérables en rompant progressivement la chaîne des contaminations. Mais le gouvernement tunisien refuse obstinément le recours à cette mesure radicale en raison de ses répercussions très graves sur l’économie nationale déjà négativement impactée par le premier confinement.
Le Périodique de Conjoncture N° 129- 2020 de la Banque Centrale de Tunisie publié en octobre 2020, estime pour l’année 2020 une contraction de la croissance de 7.3%. Le gouvernement est incapable de financer les mesures sociales d’accompagnement nécessaires en période de confinement total. Il doit tenir compte également des lobbys et des démunis qui préfèrent mourir probablement du coronavirus que d’une faim certaine. Mais il ne doit pas perdre de vue les dividendes à engranger de mesures aussi radicales que le confinement total dont les répercussions économiques peuvent être, aussi paradoxal que cela puisse paraître, positives. Quand il donne les résultats escomptés, le confinement permet la relance des activités touristiques. Le confinement total, décidé en mars 2020 par le gouvernement Fakhfakh, visait en premier lieu la préservation des vies humaines. Il n’est pas interdit de penser que l’afflux des touristes dans un pays débarrassé de la covid-19 faisait aussi partie des objectifs de ce confinement, même si la conjoncture a fait de cet objectif un vœu pieux.
Les mesures draconiennes anticipées comme le confinement total et la fermeture des frontières prises au printemps dernier ont permis de limiter le plus possible les activités humaines susceptibles de diffuser le virus comme le transport maritime et aérien et les activités économiques habituelles et contribué par là même à réduire à sa plus simple expression sa propagation durant deux mois. En revanche, les mesurettes, non suivies d’effets, prises à partir du retour en force de l’épidémie, n’ont pas limité son extension et ont entraîné la surcharge du système sanitaire.
Le gouvernement sera, en conséquence contraint tôt ou tard, à l’image de pays comme la France et le Royaume Uni, de décréter un reconfinement qui sera imposé par l’ampleur accrue des pertes humaines dans les jours à venir, même s’il n’a pas les moyens budgétaires dont disposent les pays riches. Il court le risque de perdre sur le double plan économique et sanitaire avec un double effondrement économique et sanitaire, si la mesure est prise tardivement. C’est pourquoi il faut aujourd’hui faire de la préservation de la vie de nos concitoyens une priorité absolue.
Des experts tunisiens sont d’ailleurs montés au créneau ces derniers jours pour envisager un possible confinement total au cas où il y aurait une plus grave détérioration de la situation sanitaire. Le gouvernement devrait prendre cette décision dans les meilleurs délais et faire les choix appropriés quant au moment du confinement et à sa durée.
Quelles sont les autres mesures que le gouvernement tunisien doit décréter ?
Les autres mesures
Le dépistage est défaillant depuis le début de l’épidémie. Cette défaillance empêche l’évaluation correcte de la situation épidémiologique et contribue à la baisse de la garde au sein de la population. Un dépistage massif par le biais des tests sérologiques de diagnostic rapide est indispensable. Il permet d’abord de mesurer l’ampleur réelle de la maladie et de trouver les solutions idoines pour l’endiguer comme le recours aux confinements ciblés dans les délégations ou les gouvernorats les plus atteints. Ce sont d’ailleurs ces tests de dépistage massif qui ont permis au début du mois de janvier de détecter l’ampleur de la contamination au lycée d’El Menzah 6 avec 47 contaminations enregistrées sur 75 tests réalisés et à la délégation régionale de l’éducation de l’Ariana de décider la fermeture de l’établissement pendant une semaine. Ces tests permettent ensuite de repérer les cas asymptomatiques et d’inciter les porteurs sains à se confiner pour éviter la propagation de la maladie.
Le gouvernement est également tenu de poursuivre les efforts visant à mettre à la disposition du personnel soignant davantage de kits de tests de dépistage, lits de réanimation, médicaments, équipements, moyens de prévention et à l’intention des couches sociales défavorisées des masques et des produits de décontamination, fournis à titre gratuit.
Il va sans dire que toutes ces mesures exigent la mobilisation de ressources financières budgétaires et extrabudgétaires conséquentes et une nouvelle mobilisation citoyenne dans la lutte contre l’épidémie, comparables à celle qui a rassemblé les Tunisiens au printemps dernier. C’est ce ralliement citoyen qui fait défaut aujourd’hui à cause de la défiance des citoyens démobilisés par l’absence de transparence du gouvernement dont ils attendent des réponses convaincantes au sujet de la manière dont ont été dépensés les 18.3 millions de dinars récoltés au cours de la campagne de lutte contre la covid-19 en mars 2020 et au sujet la campagne de vaccination annoncée à cor et à cri mais sans communication claire. Cette dernière, qui est le talon d’Achille de la lutte contre le coronavirus, doit être absolument révisée car seule une stratégie de communication, qui réussit à faire adhérer citoyens aux mesures prises, est capable de baliser la route pour une sortie du tunnel.
A suivre
Habib Mellakh
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