Le général Ammar avait-il caché des données militaires au président Marzouki ?
La rétention de l’information vis-à-vis de la Troïka, alors au pouvoir dès fin 2011 était une pratique systématique exercée par l’État profond, administration, forces de sécurité et institution militaire, estime Adnen Manser. L’ancien directeur de cabinet du président de la République provisoire, Moncef Marzouki (2011-2014), le détaille dans un livre intitulé Les Années de sable (Éditions Sotumédia). Évoquant «un État cadenassé», il livre de nombreux exemples. «Les rapports mensuels, écrit-il, adressés par l’état-major de l’Armée à la Présidence sur la situation au sein de l’institution militaire et les frontières, j’en étais persuadé, étaient rédigés de telle manière qu’ils soient sans intérêt et maintiennent la Présidence dans un état de cécité stratégique et tactique vis-à-vis de l’armée, la réalité et les programmes.»
Selon Manser, l’institution militaire, hissée au premier plan, au lendemain du 14 janvier 2011, a pris une grande dimension, devenant une institution autonome en soi, sous le commandement d’un chef qui l’a mise sous sa coupe, loin du regard des politiques. Porté au pouvoir, Ennahdha a maintenu cet état de fait, par souci de stabilisation du commandement, reconduisant le ministre Zbidi et le général Ammar dans leurs fonctions. Indirectement, l’auteur laisse entendre, comme facteur favorable, des considérations régionalistes, le ministre et le chef militaire étant tous deux originaires, comme le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, du Sahel…Une explication peu plausible.
Adnene Manser évoque une gestion des promotions, nominations et déploiements opérationnels échappant à tout contrôle. Il souligne une accointance totale avec le gouvernement de Hamadi Jebali, tenant le président Marzouki hors de la boucle d’information et de décision. Multipliant les griefs contre le général Rachid Ammar, il mentionne particulièrement les conditions d’extradition de l’ancien chef du gouvernement libyen, Baghdadi Mahmoudi, qui n’aurait pu s’accomplir, selon lui, dans sa planification et son exécution, sans une couverture de l’institution militaire.
Outre ce chapitre, le livre de l’ancien directeur de cabinet de Marzouki, historien à la plume facile et à l’argumentation documentée, est intéressant à lire. Le regard croisé de l’universitaire, propulsé au cockpit de la Présidence et nommé porte-parole de Carthage, puis directeur de la campagne électorale de Marzouki en 2014, mérite lecture.