Covid-19: Déni et irresponsabilité des citoyens et des gouvernants
Par Habib Mellakh - Souvent dans le déni, indisciplinés, fatalistes ou rebelles à la restriction de leur liberté par des mesures comme le port du masque, le couvre-feu, l’interdiction de circuler entre les gouvernorats ou le confinement consécutif à un test de dépistage positif, les citoyens ont contribué, eux aussi, qu’ils soient instruits, ignorants ou peu cultivés, à la dégradation de la situation sanitaire.
Forts de ce déni, et pour justifier leur impuissance, les gouvernants se dérobent à leur responsabilité et accablent les citoyens alors que leur désinvolture, leur mauvaise gestion de la pandémie sont, pour une bonne part, à l’origine de l’incivisme des citoyens et de leur déni.
Déni et incivisme des citoyens
Un sondage mené par le ministère de la Santé les 8 et le 9 octobre 2020, a révélé que seuls 40% des Tunisiens portaient un masque, que ce taux était passé de 10% au début de la seconde vague à 40% à la date du sondage et que cette augmentation était liée à une meilleure perception du danger Mais ce taux a considérablement chuté par la suite même si une amende de 60 dinars a été décidée pour sanctionner les contrevenants.
Le port du masque ne fait certes pas partie de notre culture, mais beaucoup de nos concitoyens refusent de s’y soumettre, soit parce qu’ils n’en voient pas l’utilité et qu’ils sous-estiment les dangers liés à la contamination, soit parce que c’est contraignant, soit parce qu’ils n’ont pas les moyens de se procurer les masques ou qu’ils sont sous l’influence de théories conspirationnistes qui considèrent la covid-19 comme une petite grippe. Et quand ils portent le masque, nombreux parmi eux le font comme on porte une barbe ou une barbiche. Et comment ils caressent souvent leur menton, ils touchent à qui mieux leur bavette au mépris des règles d’hygiène qu’ils transgressent allègrement. Ils posent les masques sur les tableaux de bord de leur voiture, sur les sièges des fauteuils de leur véhicule, ou sur leurs bureaux. Ils font ainsi semblant de respecter les mesures barrières et ils ne comprennent pas que le port du masque sert à les protéger et à protéger leur entourage. De nombreux automobilistes ne portent le masque qu’en présence des agents de l’ordre. Beaucoup de Tunisiens, qui rangent habituellement la bavette dans leur poche au risque de contaminer leur vêtement, ne s’en servent que dans les administrations où il est exigé. Ils l’enlèvent d’ailleurs à l’occasion d’une conversation.
Vous avez beau expliquer à ces concitoyens pourquoi il faut être vigilant sans paniquer. Ils vous boufferont votre énergie et camperont sur une attitude de déni ou de banalisation périlleuse, révélée dans les cabinets médicaux par des réactions du genre:
• Non, je ne suis pas covid, je me suis douché l'autre jour sans avoir séché mes cheveux,
• Non, je ne me confine pas. Pourquoi le ferai-je? Je n'ai qu'un syndrome grippal,
• Ce n'est que ma gastrite qui se réveille! Je n'ai pas de covid abdominal,
C’est ce qu’ils rétorquent à leur médecin qui leur demande, faute de test PCR, de se comporter comme s'ils étaient atteints de Covid et de se confiner. Il aura beau leur expliquer que le virus de la grippe ne circule pas au moment de la consultation et que les douleurs de la gastrite banale ne durent pas aussi longtemps, que leurs douleurs sont associées à d'autres symptômes comme la diarrhée ou la toux sèche, l’agueusie ou l’anosmie, signes d’une contamination plausible au coronavirus. Ils vaqueront à leurs occupations, iront au travail, contamineront leurs collègues et/ou leurs parents âgés ou atteints de maladies chroniques. Et quand la catastrophe arrive, ils s'abritent derrière la fatalité.
Les nombreux rassemblements de protestation, qui ont eu lieu un peu partout dans le pays au cours des derniers mois et qui se poursuivent encore, la célébration du centenaire du Club Africain par ses supporters qui sont descendus par milliers dans les rues à un moment de propagation vertigineuse de la covid-19, leur sit-in devant le Parc A pour réclamer le départ du président de leur club sont la meilleure illustration de ce déni et de cette indiscipline des citoyens.
Déni de responsabilité des gouvernants
Ce déni et cette indiscipline sont à l’origine du déni de responsabilité des gouvernants qui revient comme un leitmotiv. Ils ressassent la sempiternelle rengaine : « Si nous n’avons pas réussi, c’est la faute aux citoyens ». Le gouvernement actuel jette la pierre aux Tunisiens et leur fait endosser la responsabilité de la propagation exponentielle du virus et de la crise sanitaire. Pour la justifier et se disculper, le chef du gouvernement, le ministre de la Santé et les membres d’un comité scientifique ad hoc, composé dans sa majorité de hauts responsables du ministère de la Santé et d’institutions sous sa tutelle, qui sont des porte-parole officiels ou officieux du ministère et qui sont tenus, de part leur fonction, de justifier la stratégie étatique de lutte contre la pandémie à l’élaboration de laquelle ils ont été associés, se relaient pour culpabiliser les Tunisiens. Ils invoquent continuellement le non-respect par les citoyens des mesures barrières dans des déclarations qui paraissent bizarres chez des responsables politiques et qu’on peut attribuer à des chroniqueurs et à des journalistes.
Nos responsables se seraient-ils convertis en analystes politiques ? Auraient-ils oublié, dans leur hâte pour masquer leur impuissance à mettre en œuvre de telles mesures, que le rôle de l’Etat n’est pas de décrire la dégradation de la situation sanitaire mais de prendre des décisions pour y remédier, qu’il a le pouvoir et le devoir de formuler des lois, d’organiser des campagnes de prévention, d’adopter des règles et procédures pour faire respecter ces mesures et pour assumer la responsabilité de la préservation de la vie des Tunisiens qui leur incombe ? Auraient-ils oublié que leur rôle n’est pas de disserter sur les causes de la propagation de la maladie et qu’ils ont une obligation de moyens sinon de résultats ? Auraient-ils oublié que leur succès dans la lutte contre la covid-19 au printemps dernier était le résultat de la mise en œuvre de ces moyens et d’une intelligente anticipation de la propagation du virus grâce à des mesures radicales comme la fermeture précoce des frontières, le confinement obligatoire pour les Tunisiens de retour de l’étranger et le confinement général décrété moins de trois semaines après l’annonce du premier cas de covid-19 ? Ne veulent-ils plus admettre que cette réponse anticipée à la propagation du virus était plus efficace que les réponses européennes tardives et qu’ils étaient redevables, au retour de l’épidémie, à défaut d’une anticipation onéreuse sur le plan économique, d’une réponse proportionnée et graduée à l’aggravation de l’épidémie. Seraient-ils devenus amnésiques au point de ne plus se souvenir que leurs bourdes à répétition en matière de prévention de la covid-19 comme l’abandon de l’obligation pour les voyageurs en provenance de l’étranger de présenter des tests PCR négatifs, le renoncement à leur confinement obligatoire, l’autorisation d’organiser des mariages et des enterrements sans garde-fou avaient fait croire aux Tunisiens que la Covid-19 avait été vaincue et a justifié le relâchement constaté dans l’observance des mesures barrières?
Méconnaîtraient-ils la pénurie des masques constatée après la réouverture des frontières et son corollaire, l’absence d’une campagne de sensibilisation en faveur d’une mesure préventive inapplicable qui les auraient couvert de ridicule et que cette pénurie était une bourde monumentale qui aurait pu être évitée s’ils avaient anticipé pour constituer un stock de masques de protection respiratoire, de masques chirurgicaux et d’équipements médicaux individuels à même de satisfaire les besoins de la population, ce qui leur aurait permis de réactiver la campagne de prévention et de sensibiliser les citoyens grâce à une campagne de grande envergure aux dividendes à engranger grâce au port du masque?
Auraient-ils perdu de vue que toutes ces erreurs associées à leur ton triomphaliste, le slogan ressassé selon lequel il n’était pas dangereux de cohabiter avec la maladie avaient eu pour conséquence de rassurer les Tunisiens et de leur faire croire que la maladie avait été éradiquée ?
Le gouvernement évite de plus en plus les points de presse et les déclarations aux médias. Pour ce faire, il préfère mettre au devant de la scène les membres du comité scientifique qu’il charge d’annoncer les décisions prises alors qu’il est censé les annoncer, faisant croire à l’opinion publique que ce comité a des prérogatives délibératives. C’est pourquoi des internautes, hostiles aux mesures sanitaires restrictives des libertés s’en prennent souvent à Nisaf Ben Aleya qu’ils rendent responsable de cette restriction. Ceux favorables aux mesures radicales lui font assumer la responsabilité de la dégradation épidémique. Célébrée comme une héroïne au printemps dernier, elle est l’objet aujourd’hui de critiques acerbes et parfois vouée aux gémonies. Cette inversion des rôles est l’un des signes d’une dérobade gouvernementale qui doit cesser.
Les experts n’ont d’ailleurs pas joué le rôle que l’on attendait d’eux. Dans l’appel de la société civile pour la création d’un haut conseil scientifique indépendant pour faire face à la situation sanitaire, intitulé «Nos scientifiques doivent avoir le verbe haut et leur voix doit âtre entendue» et publié le 27 mars 2020 par une trentaine d’organisations non gouvernementales et d’associations, ces dernières ont déploré « l’absence d’un éclairage scientifique indépendant, visible et transparent » et ont souhaité voir la parole de nos scientifiques « primer sur tout autre discours ». Nous constatons aujourd’hui la cacophonie des experts qui s'expriment tous azimuts dans la presse et dans les médias parfois de façon très contradictoire, souvent pour justifier le point de vue officiel. Ce n’est que récemment que l’on a vu certains de ces experts, proclamer haut et fort que leur avis n’avait pas été pris en compte et critiquer d’une manière acerbe le confinement express de 4 jours décidé par le gouvernement.
De grâce, que nos gouvernants n’imputent plus la responsabilité des pertes humaines considérables au seul déni des citoyens et à leur incivisme ! Qu’ils ne se dérobent plus à la responsabilité qui leur incombe dans la dégradation de la situation sanitaire et surtout qu’ils rectifient le tir avant qu’il ne soit trop tard.!
L'Etat doit assumer la responsabilité de la progression exponentielle de la maladie, sortir de sa léthargie, prendre des mesures dissuasives et les mettre en œuvre pour limiter la propagation du virus. Il doit arrêter de prendre des mesurettes et assurer l’application rigoureuse des mesures prises au lieu de ressasser ses sempiternelles menaces de sanctions exemplaires à l’encontre des contrevenants, rarement suivies d’effets, ce qui porte atteinte à sa crédibilité.
Tout se passe comme si les Tunisiens (gouvernement, experts, médias et citoyens) s’étaient donné le mot pour laisser faire la maladie, comme s’ils s’étaient résignés à envoyer au sacrifice un bon nombre des leurs ou comme s’ils s’étaient complu dans le déni. Attendent-ils l’hécatombe pour repartir en guerre contre le virus ?
A suivre
Habib Mellakh
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