Saïed – Mechichi : Duel au sommet, blocage annoncé
« Ça suffit ! Ça suffit ! Ça suffit ! Nous avons tant enduré ces dix dernières années, par respect. Mais, nous n’hésiterons pas à clamer haut et fort ce que nous considérons comme juste et à assumer pleinement notre charge. » La voix ferme et indignée et le verbe haut, Kais Saïed a directement rappelé à l’ordre le chef du gouvernement et ceux qui le soutiennent, le parti Ennahdha, en premier lieux, sans les désigner nommément. Dans une adresse d’ouverture du conseil de sécurité national convoqué lundi matin en format élargi, le président de la République a tonné pendant près d’une heure d’un réquisitoire accablant.
« Votre remaniement n’a pas respecté les dispositions constitutionnelles de délibérations en conseil des ministres et autres procédures, des ministres proposés sont sous poursuites judiciaires et ne seront pas admis à prêter serment, si investis, la représentation de la femme est minorée… » Sans feutrer ses griefs à l’encontre du chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qu’il avait lui-même proposé il y a six mois, il multiplie les mises en garde. Plus encore, il dénonce des manœuvres de torpillage visant son action et des accointances avec l’étranger…
La charge des salves lancées en orgue de Staline est si puissante qu'elle laisser interroger quant aux chances de voir les fils se renouer un jour, même si en politique, rien n'est impossible.
Un plénum significatif, pris à témoin
Le format choisi pour exercer une mise en demeure, sinon prononcer un acte d’accusation », se prête bien pour marquer la gravité de la situation et la solennité de la démarche au sommet de l’État. Le conseil de sécurité nationale réunit en effet autour du président de la République, le président de l’ARP, le chef du gouvernement, les ministres de la Justice, de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères et des Finances (en charge des douanes), ainsi que le conseiller en sécurité nationale qui en assure le secrétariat et le directeur général de la Sécurité présidentielle. Le chef de l’État est loisible d’y inviter toute personne dont il juge la présence nécessaire. Kais Saïed ne s’en est pas privé. C’est ainsi qu’ont été conviés la ministre partante, Thouraya Jeribi, les présidents de la Cour des Comptes et du Tribunal administratif, le médecin général de brigade, Mustapha Ferjani, directeur général de la santé militaire, Hachemi Louzir, directeur général de l’Institut Pasteur de Tunis et la députée d’Ettayar Sémia Abdou, chargée au sein de l'ARP, des Relations avec la présidence de la République. Le plénum, pris à témoin par Saïed est significatif.
« Des fatwas au gré des alliances »
« La situation est devenue inacceptable, encore plus compliquée dans un contexte encore plus compliqué. A peine constitué, le gouvernement est l’objet de remaniement, sous l’influence de nouvelles alliances. Chaque jour apporte une fatwa, et une nouvelle lecture et exégèse. Une constitution taillée sur mesure en 2014, loin des attentes du peuple et de ses aspirations. Au changement des alliances, on veut changer l’interprétation de ses dispositions. Des déclarations enflammées et irresponsables se multiplient chaque jour, trahissant un mal endémique, qui risque incurable ni par les vaccins, ni par la réanimation. Nous ne laisserons pas la Tunisie vaciller ou tomber. Nous demeurons vigilants quant à sa protection. »
« Torpillage systématique »
Le « système en place », a-t-il ajouté, a œuvré pour faire avorter tout ce que j’entreprends. L’obligation de réserve m’empêche de révéler les accointances avec l’étranger. Je me limiterais à mentionner les manœuvres de torpillage fomentées à partir de Tunis, contre mon initiative présentée au conseil de sécurité de l’ONU. Aussi, et dans une course contre la montre, je me suis employé à faire reporter l’échéance fixée pour la récupération des biens et avoirs confisqués à l’étranger et obtenir pour cela les procurations nécessaires. Mais, ils se sont ligués pour entraver ces démarches, probablement de connivence pour se partager ces prises. »
Niet aux milices
Faisant indirectement allusion à la proposition d’Ennahdha de faire appel à ses militants pour soutenir les forces de l’ordre dans le maintien de la sécurité lors des mouvements de protestation, le président Saïed oppose un niet catégorique. « Aucune force, quelle qu’en soit, autre que celle de l’État, ne saurait agir ! » Il rappelle qu’il avait décelé ces mêmes tendances en 2012, lors de l’élaboration de la Constitution, et il s’y était déjà fermement opposé.
Restructuration du gouvernement et non remaniement
Quant au remaniement que Mechichi se propose d’opérer, le chef de l’État rappelle « en constitutionnaliste » que rien n’oblige le chef du gouvernement à le soumettre à l’investiture de l’ARP. La Constitution ne l’a pas stipulé, et c’est juste mentionné dans le règlement intérieur de l’ARP dont la portée ne dépasse pas le périmètre de l’Assemblée, soulignera-t-il. Il est cependant nécessaire de se conformer à la constitution. Il ne s’agit pas dans le cas d’espèce, d’un remaniement, mais d’une restructuration. Il n’y a pas eu délibération en conseil des ministres sur cette restructuration. Seule une lettre nous a été adressée et une autre lettre, dans le même sens nous est parvenue de l’ARP. Le président de la République n’en a pas été avisée auparavant.
Bourguiba, lui-même, avait respecté les formes
Fulminant contre le débarquement de Taoufik Charfeddine, qui lui est proche, Kais Saïd s’en tient à la forme. « Le ministre de l’Intérieur a été limogé par un décret gouvernemental pris par le chef du gouvernement qui s’était autoproclamé lui-même pour en assurer l’intérim, dit-il. Dans les décrets gouvernementaux, la signature porte également le contreseing du ministre concerné. Même Bourguiba, lorsqu’il avait concentré entre ses mains, en plus des charges de Grand Vizir, les pouvoirs de ministre des Affaires étrangères et de la Défense nationale, en avril 1956, il en avait respecté les formes et demandé au Bey de prendre un décret y afférent et d’y apposer son sceau, que Bourguiba avait probablement fait préparer lui-même. »
La Présidence n’est pas une boîte aux lettres
Visiblement indigné, le chef de l’État hausse le ton. « La présidence de la République n’est pas une simple boîte aux lettres qui reçoit le courrier et signe les textes ou organise les cérémonies de prestation de serment, prévient-il. C’est elle qui préserve l’État et veille à sa pérennité. Parmi ceux qui sont proposés à des postes ministériels, il y a une personne qui est sous poursuites judiciaires dans une affaire de malversation financière (j’en détiens le dossier) et trois autres, sous présomption de conflit d’intérêt. »
De la forfaiture
Cherchant à garder une issue ouverte, il en balise les conditions. « Je ne veux pas bloquer le fonctionnement des institutions de l’État, mais ces institutions doivent se conformer à la Constitution, déclare Kais Saïed. Comment voulez-vous que le chef de l’État garant de la constitution soit sollicité pour respecter la constitution alors qu’il voit celle-ci, de ses propres yeux, violée. Le serment ne saurait être prêté par celui qui est impliqué dans une affaire en justice, ou pourrait l’être un jour. La prestation de serment, n’est pas un acte formel, mais une question fondamentale. La forfaiture, quand on trahit son serment, est condamnable.
Où sont les femmes ?
Montrant son attachement à la parité en matière de genre, il ne peut se retenir de demander au publiquement à Mechichi : Pourquoi la femme a été minorée au sein du gouvernement. La femme n’est pas une poudre cosmétique de maquillage. Elle assume pleinement son rôle et elle est capable de défendre les droits ce dont d’autres sont incapables ou s’en dérobent. »
Quant à ceux qui s’écartent du droit chemin…
Salve finale. « Ça suffit ! Ça suffit ! Ça suffit ! tonnera-t-il. Nous avons tant enduré ces dix dernières années, par respect. Aux personnes et aux institutions. Mais, nous n’hésiterons pas à clamer haut et fort ce que nous considérons comme juste et à assumer pleinement notre charge. C’est ce dont je me suis engagé vis-à-vis du peuple, sans concession. J’ai beaucoup œuvré loin des feux de la rampe, beaucoup plus que vous ne pouvez l’imaginer. Mais, aussi j’ai les moyens juridiques pour préserver l’État, la révolution, et le peuple tunisien. Je ne vous crois, vous aussi, que sur la même voie. »
Ultime mise en garde : « Quant à ceux qui s’en écartent et choisissent la leur, la loi, Dieu, le peuple et l’histoire en jugeront. » Clap fin. Blocage annoncé, au sommet de l’État.
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Tous les cancres opérant en politique ont besoin de ce genre de cours magistral et ils sont vraiment en grand nombre.
Un président qui veut coûte que coûte ravir le pouvoir. Point. Il n'admet pas que celui qu'il a lui même choisi ne soit pas sous ses bottes et prenne son indépendance