Tunisie: Dialogue, dialogue…quand tu brides l’action
Par Riadh Zghal - La question se pose alors : le dialogue entre les composantes de la classe politique est-il encore possible ? Ou plutôt est-il nécessaire et que faut-il en attendre ? Et si le pays avait surtout besoin d’un sursaut pour l’action bien réfléchie et efficace afin de sortir de sa crise aux multiples facettes ?
Comment croire en un dialogue possible entre des factions partisanes dont les querelles incessantes et violentes à l’ARP, diffusées sur antenne, donnant l’exemple aux citoyens - individus et groupes – qui s’y mettent à leur tour ? Comment croire en la pertinence d’un dialogue au sommet alors que c’est justement le sommet de la gouvernance qui est mis en cause et fait l’objet de défiance?
Et pourquoi traîner dans des « dialogues » inopérants si tous savent où se situe le mal et que, pour en guérir, cela ne peut se faire que dans la douleur d’autant qu’on a laissé tous les maux s’installer durant une décennie de luttes pour le pouvoir ?
Force est de reconnaître aujourd’hui que le peuple tunisien est saturé de paroles, celles des politiques autant que celles des plateaux de radio et de télévision. A quoi cela rime-t-il d’en rajouter une couche alors que c’est l’action salvatrice qui manque le plus ?
Pourtant, tout le monde sait ce dont a besoin le pays : les réformes en profondeur que les querelles politiques ont empêché de réaliser, une démocratie réelle, celle qui favorise de meilleures conditions de vie pour l’ensemble des citoyens.
Il faut reconnaître que parmi les gouvernements qui se sont relayés à la Kasbah depuis 2011, certains ont tenté de faire bouger les lignes à leurs pertes et profits. Malheureusement, ce sont les pertes qui ont le plus souvent dominé !
C’est l’heure maintenant d’arrêter de perdre du temps et des opportunités en conjectures sans fin et de passer à l’action au service du bien commun. On pourra commencer par tirer parti des erreurs constatées depuis 2011, des erreurs qui ont fait échouer la dynamique enclenchée par la révolte en voie de se transformer en révolution grâce à tous les changements espérés. Cela n’a pas été le cas en l’absence de projets autres que celui politique et l’on voit la médiocrité des résultats du fait que le social et l’économique étaient «loin des yeux, loin du cœur».
Des acquis politiques ont été réalisés sans conteste, même si cela n’est pas satisfaisant pour tous. Attaquer les problèmes économiques et sociaux si complexes a certaines exigences dont :• La définition des priorités dont, en premier lieu les réformes en profondeur exigées par les bailleurs de fonds si l’on veut éviter la faillite et la réalisation des projets prévus et restés en souffrance, particulièrement dans les régions.
• La révision de toute la batterie de lois et de décrets non compatibles ni avec le contexte actuel, ni avec la constitution et qui bloquent aussi bien la productivité administrative que l’investissement économique.
• La révision du système de gestion des ressources humaines de la fonction publique de manière à stimuler l’engagement au travail de tous les employés et à mettre fin au laxisme qui a tant coûté au pays.
• Le redéploiement des employés selon les besoins de l’activité administrative que ce soit au niveau de l’administration centrale ou régionale. Un tel redéploiement servira à soulager certaines institutions d’un sureffectif et à renforcer le capital humain d’autres structures administratives, particulièrement dans les régions.
• La prise en considération d’une demande pressante pour une démocratie de proximité, et le travail sur les moyens de la structurer. Certes les Tunisiens en général, y compris l’élite, sont conditionnés par leur perception univoque du pouvoir centralisé et sont donc peu enthousiastes pour la décentralisation et l’autonomie. Pourtant, cela est inévitable s’il faut stimuler une dynamique de progrès dans tout le territoire sans exception. Lorsque les populations locales n’ont pas voix au chapitre des décisions, on ne peut s’attendre à un engagement de leur part dans la mise en œuvre des choix adoptés.
• L’engagement réel sans concession dans la lutte contre la corruption par les moyens juridiques certes mais pas seulement. La réforme de la fonction publique, la rénovation de la législation, la digitalisation des services, le contrôle social de proximité grâce à la démocratie délibérative en vigueur localement peuvent tous y contribuer.
• L’engagement des pouvoirs exécutif et législatif à l’application des lois à tous sans distinction.
Afin de réussir dans toutes ces entreprises, il faudra qu’il y ait un répondant social, une acceptation des changements, et on sait que l’on est dans un environnement marqué par le manque de confiance dans les institutions et particulièrement celles de l’Etat. L’acceptation des changements appelle des résistances, réduire les effets bloquants de ces résistances nécessite de la pédagogie. En effet, pour que la démocratie prenne pied dans une société, il y a nécessité de changements au niveau mental - représentations, valeurs, attitudes – pour arriver enfin au changement des comportements. Par ailleurs, il n’y a pas de pédagogie qui porte ses fruits sans l’existence d’une vision, d’une stratégie, d’objectifs clairs à atteindre sachant que leur réalisation va s’accompagner de sacrifices que la société sera disposée à accepter.
La révolte de 2011 a généré des espoirs certes démesurés. Aujourd’hui, la déception est à la mesure de ces espoirs. C’était un moment d’extase, d’enthousiasme mais un moment sans vision, sans conscience des troubles de la transition et de leur coût. Il y avait aussi des opportunistes qui ont largement profité de ce flou politique et organisationnel, accédé au pouvoir ou aux sources de richesse ou les deux à la fois, soit en puisant dans les ressources de l’Etat, soit au moyen de l’extorsion, soit en s’attelant à l’économie souterraine dans toutes ses variantes. Ils pouvaient miser sur l’impunité tant que la corruption se diffusait partout, formant une véritable métastase qui a envahi sans distinction tous les domaines où il y a une demande de service, qu’il soit administratif, économique ou éducatif.
Plus que jamais, pour sortir de l’impasse, le pays a besoin de mobiliser ses meilleures compétences. Un stock de compétences réside dans les jeunes et dans les personnes expérimentées qui ont fait preuve de leur engagement envers l’intérêt général…Il s’agit de réaliser des progrès en continu pour réduire, voire éradiquer, cette méfiance généralisée à l’égard de l’Etat et de ses institutions.
Maintenant que la société civile s’est réveillée et qu’elle est vibrante et se fait entendre, il faudra reconnaître que le processus démocratique dans notre pays est manifestement en marche. Ceux qui appellent à une nouvelle dictature seront, tôt ou tard, fortement déçus.
Riadh Zghal