De Trump à Biden: la force de la symbolique
Emna Ben Arab - Donald Trump a quitté hier la Maison Blanche en laissant derrière lui plus de 400.000 victimes et 24 millions de contaminés du Coronavirus, une pandémie qu’il qualifia au début de son apparition d’énorme canular « a hugehoax ». Il a ensuite contesté avec une véhémence, qui s’est transformée en dangereuses allégations, les résultats des élections du 3 novembre et a exigé le comptage des voix et la comptabilisation des bulletins de vote dans plusieurs circonscriptions. Pire que cela, ses discours contestataires ont chauffé à blanc une immense foule de partisans convaincue de la confiscation de la victoire de leur leader et qui a envahi le siège du parlement américain, Sénat et Chambre des Représentants réunis en séance solennelle pour confirmer l’élection de Joe Biden, laissant 5 morts et de nombreux blessés, sans parler des actes de vandalisme perpétrés contre le Capitole, symbole de la démocratie américaine.
Malgré les innombrables tentatives de contestations, le départ disgracieux de Trump de la Maison Blanche était inéluctable. Triste journée que ce 20 janvier pour la démocratie avec un président sortant qui boude une cérémonie d’investiture(1) hautement symbolique de l’ancrage d’une tradition qui traduit le caractère civilisé, courtois et pacifique de la transition politique. A l’exception de Jimmy Carter(2), tous les ex-présidents américains en vie étaient réunis pour ce moment historique qui marque l’inauguration du mandat présidentiel et qui a lieu devant le Capitole, le bâtiment qui abrite le Congrès, à Washington. Dans son discours d’adieu donné sur la base militaire d'Andrews, truffé de mensonges sur son bilan, et alors qu'il est sous la menace d'une seconde procédure de destitution qui pourrait l'empêcher de briguer un nouveau mandat, Donald Trump n’a même pas cité le nom de son successeur.
Dans le système américain, le processus de sélection assure en général que les candidats à la présidence des Etats-Unis ne puissent être ni des médiocres ni des amateurs(3). Cependant, rien ne garantit qu'un jour quelqu’un accède à la Maison Blanche alors que rien ne le désignait pour le poste de président des Etats-Unis.Ce fut malheureusement le cas de Donald Trump. Son mandat a non seulement entrainé la dégradation des relations internationales, isolant davantage les Etats-Unis, mais il a gravement nuit au fonctionnement même du régime politique américain dans l’avenir. Les charges multiples qui pèsent sur le président des Etats-Unis sont trop lourdes pour être portées par un homme aimant trop le pouvoir mais ne comprenant rien à la politique et aux institutions. De nombreux membres de son administration, titulaires de postes importants, qui travaillaient autour de lui mais jamais avec lui, ont été limogés ou l’avaient carrément quitté en cours de route parce qu’ils étaient effrayés par son ignorance ou désapprouvaient ses prises de position.
Donald Trump était réputé raciste, victime de troubles narcissiques, capricieux, incapable d'empathie, n’imaginant pas être un jour dans la peau d’un loser et tenant désespérément à de fausses certitudes. Bref, c’est un président qui est reconnu dès le début de son mandat pour être affecté de troubles de la personnalité par 25 000 professionnels de santé qui avaient pourtant signé une requête invoquant le 25ème amendement de la Constitution américaine qui prévoit la destitution d'un président "inapte à exercer ses fonctions". L'histoire de Donald Trump sera celle d’un président qui n’avait ni vision ni philosophie politique ou priorités stratégiques pour la nation et le monde, mais qui aura largement contribué à diviser l’Amérique et à déstabiliser la planète. Triste épisode dans l’histoire d’une démocratie américaine qui a longtemps servi de modèle.
L’arrivée de Joe Biden, 78 ans, sur le devant de la scène politique n’est pas fortuite. Elle est le couronnement d’une longue carrière politique commencée le jour de son élection au Sénat à la veille de ses 30 ans. Habile politicien, fin connaisseur des méandres de la politique politicienne, sans parler de sa capacité à mobiliser l’électorat afro-américain tout en parvenant à se faire entendre de l’électorat blanc, Biden sera vice-¬président en 2008. Le président Obama, avec qui il entretenait des relations de respect et d’amitié, lui confiera des missions cruciales et décisives : dossiers irakien et afghan, réforme de la santé, plan de relance économique.
Elu en 2021 autour d’un programme qui le place en rupture avec son prédécesseur et qui vise à mettre hors jeu quatre ans de destruction systématique des acquis des Américains en terme de cohésion sociale et de multiculturalisme, égalité hommes-femmes, multilatéralisme et lutte contre le changement climatique, Joe Biden, le quarante sixième président des Etats Unis, a commencé dans la période de transition à former sa nouvelle équipe qui devra être validée par le Sénat, désormais à majorité démocrate après la victoire de ces derniers en Géorgie le 5 janvier. En effet, jusque-là bastion républicain, la Géorgie, qui n’avait pas été remportée par un démocrate depuis près de trois décennies, avait non seulement voté Joe Biden, mais a envoyé au Sénat, qui du coup perd sa majorité républicaine, deux candidats démocrates Raphael Warnock et Jon Ossoff(4).
Au lendemain de sa victoire, Joe Biden avait promis aux Américains une administration qui reflète son programme, « qui ressemble à l’Amérique » et qui sera appelée à servir le peuple américain par l’expérience et la compétence, par la diversité et la parité hommes-femmes. Promesses non démenties à commencer par le choix de la Vice-présidente. Pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, une femme, Kamala Devi Harris, fille d’un père jamaïcain et d’une mère indienne, démocrate et sénatrice, sera la Vice-présidente des Etats-Unis d’Amérique. Le reste suivra. Selon ses premières nominations, Biden a tenu ses promesses de gouvernement diversifié et féminisé.
Ainsi son cabinet, sitôt approuvé par le Sénat, sera qualifié de première dans l’histoire des Etats Unis en termes d’intégration des femmes et des groupes ethniques. Pour la première fois, il y aura :
• Une équipe 100% féminine chargée de la communication de la maison Blanche (7 femmes dont 3 de couleur et 1 latino lesbienne)
• Un hispanique qui prendra la direction du département de la Sécurité intérieure qui supervise notamment les questions d'immigration, surtout après une politique d’immigration restrictive et discriminatoire sous Trump
• Une femme qui est devenue (déjà confirmée par le Sénat le jour même de l’inauguration de Biden) directrice du Renseignement National chargée de superviser le CSN et la sécurité intérieure et de coordonner les différentes agences fédérales actives dans ce domaine, un poste occupé par des hommes jusque là
• Une femme qui occupera le poste de ministre du trésoraméricain, la première femme à occuper ce poste clé en plus de deux siècles
• Un Afro-Américain au Pentagone qui dirigera la première armée du monde
• Une femme de couleur qui dirigera le département du Logement et du Développement Urbain
• Une femme d’origine asiatique, nommée Représentante au Commerce
• Un ministre ouvertement homosexuel au ministère du Transport(5)
• Un latino à l’éducation
• Une nomination qualifiée d’historique qui est la ministre amérindienne nommée à la tête du Ministère de l’intérieur chargé des ressources naturellescomme les terres fédérales, les parcs nationaux, et les réserves indiennes.
• Un Afro-Américain à la tête de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA).
• Une équipe francophone et francophile au département d’état à leur tête Antony Blinken, créant ainsi une rupture avec la diplomatie trumpiste caractérisée par une incohérence jamais vue, qui favorise les initiatives personnelles aux dépends des canaux diplomatiques traditionnels et qui éprouve une hostilité ouverte pour le multilatéralisme ce qui a conduit à la détérioration des relations avec les pays alliés des Etats Unis
• Un américain musulman d’origine Pakistanaise, Ali Zaidi, quisera conseillé national adjoint sur le climat.
En plus, un nombre non négligeable de ses collaborateurs sont diplômés de Yale & Harvard(6), deux parmi les Grands Trois (The BigThree).
Ainsi, le gouvernement Biden marque d'ores et déjà un contraste avec l'administration sortante en accordant une plus grande place aux femmes et aux minorités, une forte symbolique en attendant le reste.
Emna Ben Arab, Ph.D
Professeur de civilisation américaine et de relations internationales, Université de Sfax
Ancienne députée
1) Avant lui 3 présidents sortants ont boycotté la cérémonie d’investiture: John Adams en 1801 (l’investiture de Thomas Jefferson), son fils John Quincy Adams en 1829 (l’investiture de Andrew Jackson) et Andrew Johnson en 1869 (l’investiture de Ulysses S. Grant)
2) Absent pour des raisons de santé
3) Le collègeélectoral est institué par les pères fondateurs pour garantir, entre autres, un choix judicieux du président, mais cela n’a pas été toujours le cas
4) Le Sénat américain se compose de 100 membres (2 de chaque Etat) et en cas d’égalité entre les républicains et les démocrates, comme c’est le cas aujourd’hui, c’est le VP qui sera le tie-breaker
5) Pete Buttigieg l’ancien rival de Joe Biden
6) Jake Sullivan, Ron Klein, Janet Yellen, NeeraTanden, Katherine Tai, Ali Zaidi