Faten Kallel: La Tunisie doit se réinventer...
La Tunisie submergée par la complexité de sa crise sociale, économique et politique, semble ne pas se rendre compte des enjeux de la phase. Des enjeux qui dépassent largement les équations d'équilibres budgétaires, de croissance et de chômage, et qui seraient plutôt de l'ordre de la philosophie de vie et de l'idéal. En somme, de quoi donner à ses citoyens l'envie de mettre un pied devant l'autre pour avancer et instaurer la cohésion autour d'un projet commun.
La Tunisie doit se réinventer urgemment, impérativement... Et ce en rompant totalement avec les concepts qu'elle a connu auparavant et qui se sont avérés inefficaces. Elle doit se transformer d'une société désunie, gangrénée par le rejet, à une communauté tolérante et ouverte, aux identités multiples mais capables de cohabiter, elle doit aussi passer de l'état d'appendice d'économies à une économie à part entière qui sert les besoins des siens avant tout.
Dans cette nouvelle Tunisie, l'Etat sera nous tous, qui sommes prêts à nous inscrire dans la démarche de transformation, chacun apportant sa pierre à l'édifice. Un Etat fort par sa vision, son union, sa flexibilité, son efficacité, et surtout pas par sa main mise et son pouvoir d'ingérence. Un état où la liberté d'entreprendre est le moteur, la bonne foi une règle et le développement des potentiels l'enjeu principal.
Dans cette nouvelle Tunisie, nous veillerons à être une communauté résiliente, qui accepte toutes les différences et les canalise. Une société qui rompt avec les normes frustrantes et qui permet à tout un chacun, homme ou femme, quelque soit son âge, ses croyances, ses orientations et ses choix, de se révéler positivement et d'orienter son énergie pleinement vers l'action bénéfique.
Au-delà des lois qui répriment la violence, il serait nécessaire de promouvoir les comportements positifs et les bienfaits de la tolérance et de la diversité sur le développement socio-économique. Car c'est de la diversité que nait la créativité et l'innovation.
Dans cette nouvelle Tunisie, nous adopterons une nouvelle vision du citoyen, qui sera l'objet de toute notre attention, dont l'épanouissement sera le point de départ de toutes nos politiques économiques et sociales. Dans ce sens, un effort particulier devra être porté à deux catégories, d'abord les 0-18 ans, qui devront bénéficier de toutes les conditions propices à leur équilibre et à la réalisation de leur potentiel. Ensuite les 70 ans et plus, nos seniors, qui méritent une vie apaisée, digne et dynamique, sans conflits, basée sur la transmission générationnelle nécessaire à la pérennité de chaque société.
Enfin dans cette nouvelle Tunisie, nous seront amenés à repositionner le tunisien dans le monde, de manière à ce qu'il puisse s'y projeter. Pour cela nous œuvrerons à ouvrir les horizons et accompagner nos talents à briller, mais aussi à faire de la Tunisie une terre d'accueil où les énergies venues de toutes parts interagissent. Si l'Afrique sera notre priorité, elle ne devra pas l'être par opportunisme, mais parce que nous faisons face aux mêmes défis, économiques, sociaux et environnementaux en tant que pays du même continent, et que notre solidarité nous rendra plus forts face aux challenges futurs.
Nos choix devront être réfléchis autour de la somme des impacts économiques, sociaux et environnementaux qu'ils engendreront, la qualité des emplois qu'ils créeront, leur durabilité, mais surtout dans quelle mesure seront-ils capables de servir la communauté, ou la desservir. Notre éducation ne sera plus pensée seulement autour de la performance, mais devra s'adapter à tous les types de profils et de potentiels. Le citoyen devra être pris en considération dans tous les aspects d'une vie digne et saine, du contenu de son assiette à la qualité de son sommeil, en passant par ses espaces de vie. A partir de là nous saurons exactement de quels biens et services nous aurons besoin et par conséquent les chaines de valeur à développer, la gouvernance qui s'y rapporte, vers plus ou moins d'état, la place du secteur privé, la forme des entreprises, la monnaie d'échange, le financement et enfin notre rapport au reste du monde.
La Tunisie du 3ème millénaire, démocratique, libre, se doit d'être bienveillante, construisant sa vision autour du bien être de chacun et de l'intérêt des générations futures. Une Tunisie capable d'accueillir le monde, une terre où les énergies interagissent, fusionnent et produisent pour l'intérêt commun. Une Tunisie rayonnante, capable d'exporter un modèle de vie inspirant, respectueux de l'être humain, de l'équilibre des sociétés et de l'environnement. Car à l'ère de la révolution technologique, des grands bouleversements climatiques et de la globalisation, les pays qui s'en sortiront à long terme ne sont pas forcément ceux qui courent derrière les exploits chiffrés, mais ceux capables d'apaiser les liens humains, de maîtriser leur rapport à la nature et à la consommation, et de concevoir un modèle économique et social où les besoins et les moyens évolueront en harmonie, avec pour objectif principal d'instaurer un bien-être général et durable. C'est à partir de ce genre de pactes que nous seront capable de cerner à court et moyen termes l'étendue de l'action à entreprendre et la teneur des sacrifices à concéder.
Alors sommes nous capables de réinventer cette Tunisie? Une Tunisie qui maîtrise ses choix, qui définit ses propres indicateurs de réussite, qui optimise ses ressources, humaines et naturelles, et qui intègre le monde de manière proactive et positive? Une Tunisie qui séduit d'abord les tunisiens, et qui à travers eux rayonnera avec bienveillance sur son environnement?
Je porte cette conviction, sans naïveté quant à la lourdeur de la tâche, qu'à force de travail, de sérieux et surtout de respect les uns envers les autres, qu'une Tunisie meilleure est possible.
Faten Kallel