Marouane El Abassi: 2021, un nécessaire optimisme de combat!
Par Marouane El Abassi. Gouverneur de la Banque centrale - A la nécessaire réussite de la transition démocratique, la Banque centrale de Tunisie s’inscrit totalement dans une approche non conformiste… réfléchie.
La philosophie de sa démarche s’articule autour de trois valeurs clés: la confiance, la responsabilité et le travail.
La Banque centrale veut tout d’abord adresser un message de reconnaissance et de remerciements à tous les employés du secteur bancaire et financier. Elle exprime toute sa compassion et sa sollicitude avec tous ceux qui ont perdu un proche dans l’exercice de ses fonctions.
La crise sanitaire du Covid-19 a touché la Tunisie de plein fouet. Elle a constitué une épreuve de stress réel qui a mis à nu les limites de tous les acteurs économiques.
Face à cette crise inédite, et convaincue de l’importance des entreprises dans la croissance économique, la Banque centrale a su réagir. Les mesures préventives prises par la BCT depuis l’avènement de la crise du Covid-19 ont ciblé à la fois le secteur bancaire, financier et réel pour préserver la stabilité économique et financière du pays.
Malgré tous les reproches adressés au secteur bancaire et financier, celui-ci a prouvé sa résilience et continue d’assumer sa responsabilité économique et sociétale pour soutenir convenablement les efforts des autorités à préserver le tissu économique.
Il est donc impératif de poursuivre les efforts pour instaurer des mesures sectorielles adéquates (pactes sectoriels, aides financières spécifiques) et mettre en place des mécanismes pour le redressement des entreprises affectées par les impacts de la crise. A titre d’exemple, des financements spécifiques de relance économique devraient être opérationnels au cours du 1er trimestre de l’année 2021, qui visent à apporter aux entreprises fragilisées un soutien supplémentaire pour le financement et la restructuration.
Cela a été rendu aujourd’hui possible grâce à la conduite durant ces dernières années d’une politique monétaire et de taux de change plus rigoureuse ayant permis de dégager de bonnes marges de manœuvre pour donner une réponse forte à la crise. Grâce à cette politique proactive, la BCT a réussi à juguler l’inflation, à freiner l’amplification des déficits extérieurs, à stabiliser le taux de change et à reconstituer le stock des réserves en devises, ce qui a renforcé notre résilience face à la crise, préservé notre crédibilité auprès des instances financières internationales et garanti notre solvabilité malgré les retombées sévères de la crise sur les finances publiques.
Engager et donner confiance à toutes les parties prenantes
Les effets de la crise ne sont pas encore tous perceptibles et les mesures prises n’ont permis que de les atténuer momentanément. Nous savons aujourd’hui que la sortie de crise va être longue et pénible et que les incertitudes vont encore perdurer et les solutions ne peuvent pas être proposées seulement par la politique monétaire.
Des réflexions sont actuellement engagées avec les différentes parties prenantes afin de donner naissance à une solution concertée, avec une approche englobant l’ensemble de l’écosystème et la mobilisation de toutes les forces pour créer la synergie souhaitée. Parmi ces forces, le secteur bancaire se doit de jouer un rôle prépondérant de soutien aux entreprises, au ménage et à l’économie de manière générale mais aussi les partenaires financiers de la Tunisie.
Les retombées du Covid-19 ont mis en exergue le rôle important que devrait jouer le système bancaire en temps de crise pour soutenir les entités fragilisées et les aider à surmonter les difficultés financières qui peuvent mettre en péril leur pérennité.
C’est pour cette raison que la BCT, et depuis l’avènement de la crise, a desserré sa politique monétaire. La transmission de la baisse du taux directeur aux taux débiteurs bancaires, la fourniture de la liquidité aux banques et l’assouplissement de la politique de collatéral ont permis de réduire les charges financières des entreprises et mobiliser le financement approprié pour les entités touchées par la crise. Ces mesures devraient soutenir les dispositions prises par le gouvernement, en dépit des contraintes budgétaires, afin de limiter la portée de la crise et protéger le tissu productif.
Un gage de confiance qui s’est confirmé en pleine pandémie sanitaire : la Tunisie a été le premier pays de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) à accéder à la nouvelle facilité du FMI, destinée à répondre aux besoins urgents de financement du budget et de la balance des paiements causés par la pandémie de Covid-19. La Tunisie s’est vu accorder 545,2 millions de DTS (l’équivalent de 745 millions de dollars), soit 100 % de notre quote-part. Aussi la mission de consultations au titre de l’article IV des statuts du FMI se tient actuellement à distance avec les autorités tunisiennes pour évaluer les politiques économiques et financières.
Gagner le pari de la digitalisation
La BCT demeure aussi fortement convaincue que l’écosystème tunisien de l’innovation sera « le » catalyseur de la prochaine phase, phase qui sera sous le signe de la transformation digitale.
Le Covid-19 a donné la preuve irréfutable que la transformation digitale est inéluctable. L’heure est sans doute décisive pour s’y mettre ! La Tunisie en est largement capable avec un écosystème national des Fintechs foisonnant de jeunes et brillantes compétences qui ont fait leurs preuves en Tunisie comme à l’international.
L’exemple édifiant était de servir dans un laps de temps record les aides sociales via le canal digital au profit d’une population à faible revenu de 370 mille bénéficiaires.
Cet exemple a permis de convertir une action temporaire en un cadre dédié à la normalisation du paiement mobile couvrant, outre la tarification, divers aspects de sécurité, d’instantanéité, d’irrévocabilité, d’interopérabilité, de transparence et de traitement des réclamations.
Reste à transformer l’essai et accélérer la digitalisation dans des domaines très divers tels que les paiements en ligne ou mobile ! Chose qui sera faite courant 2021 puisque la BCT, avec l’adhésion des différents acteurs concernés, envisage de fiabiliser davantage et de pérenniser la digitalisation des paiements pour embarquer plus de niches de populations et de l’étendre à plus de services de paiement. Pour ce faire, la BCT a opté pour un rôle de facilitateur via la mise en place de mécanismes spécifiques pour se rapprocher des acteurs innovants, les comprendre, tout en construisant des ponts solides avec eux ainsi qu’adapter la réglementation pour leur permettre d’opérer.
Il s’agit notamment de la création d’une entité technologique au sein même de l’Institut d’émission, l’Unité de l’innovation et des Fintech en l’occurrence. Elle a pour objectif de faciliter l’interaction avec l’écosystème des Fintechs et le pilotage des différents mécanismes d’appui aux acteurs innovants afin de favoriser l’innovation dans les services financiers et contribuer à l’inclusion financière.
Parallèlement, la BCT a mis en place une Sandbox réglementaire qui est un espace de test permettant aux Fintechs de tester leurs solutions à petite échelle et dans un environnement contrôlé. Actuellement, quatre solutions s’appuyant sur des technologies de pointe telles que l’intelligence artificielle et la blockchain sont testées et elles ont trait à l’E-KYC, la compensation transfrontalière, la crypto-monnaie et la monnaie centrale digitale.
Aussi, la mise en place du BCT-Lab traduit la volonté d’instaurer une nouvelle dynamique pour la Banque centrale qui tend vers la transformation de ses métiers et sa relation avec son environnement. « Lab » permettra ainsi à la BCT de faire appel aux entreprises innovantes pour l’accompagner dans la digitalisation de ses processus et services.
Ainsi et en vue de booster le paiement électronique, et afin de renforcer davantage la synergie avec le gouvernement, la BCT vient de signer avec le ministère des Technologies de la communication deux protocoles d’entente, dont le premier porte sur le contrôle et la surveillance des services de paiement pour une meilleure optimisation des efforts et efficacité dans l’exercice de leurs missions respectives, et le deuxième vise le renforcement de la coopération et l’échange d’expériences dans le domaine de la technologie financière.
Intérêt et avancement PPI
Aussi, misant sur le potentiel de développement à l’international dont disposent nos e-commerçants artisans et professionnels pour soutenir la croissance, la BCT est plus que jamais convaincue qu’il est inéluctable de mettre à leur disposition des conditions meilleures d’accès et d’échange pour intégrer l’espace commercial international.
C’est pour cet objectif qu’elle est en train d’œuvrer avec le gouvernement, malgré un contexte moins favorable, pour déployer une plateforme de paiement international en multipliant les contacts pour renouer les négociations, dans un second round, avec PayPal ou engager des discussions avec d’autres plateformes de renom.
Marouane El Abassi
Gouverneur de la Banque centrale
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