Abdelwahed El Abassi: Du bon usage du confinement général face à l’aggravation de la pandémie dans notre pays ?
Par Abdelwahed El Abassi - Commençons par quel contenu donner au confinement Général (CG). L’éventail était tellement large au printemps passé avec une quasi hibernation dans la vie sociale et économique alors que durant cette deuxième vague le travail direct ou à distance ainsi que la scolarité sont généralement maintenus dans les pays qui ont confiné. Ces derniers ont pour la plupart demandé de limiter la mobilité et les contacts aux seules activités essentielles (travail, faire les courses, marche…). En Tunisie quand on parle de CG, le travail ainsi que la scolarité des enfants sont les premières cibles touchées alors que d’autres dispositions sont peu ou prou concernées en fonction des régions et des quartiers.
Le questionnement concerne le CG dans tout le pays et pas celui, limité dans le temps et dans l’espace, visant à limiter les mouvements vers et en dehors des zones à forte transmission ni celui ciblé recommandant de limiter les mouvements, les contacts et les groupements quand la situation épidémiologique l’exige. Ces derniers font partie intégrante des mesures de contrôle et dont il faut faire bon usage.
Des questions souvent sans réponses
• Quelles sont les données probantes montrant de façon irréfutable une efficacité du CG non confondue avec les mesures spécifiques qui lui sont associés (gestes barrières, dépistage, isolement des cas et confinement des contacts...) et qui ne sont pas basées sur des simulations théoriques, certes intéressantes, mais hypothétiques ? Un confinement général de deux ou trois semaines, sans avoir fait le nécessaire pour le respect et le renforcement des mesures de prévention et de contrôle connues pour leur efficacité, va-t-il régler le problème ?
• Au stade actuel de la circulation communautaire du virus, le CG empêchera-t-il le virus de poursuivre sa transmission au sein des familles confinées en profitant de la proximité et du peu ou pas de respect des gestes barrières dans les foyers ?
• Que ferons nous au bout de ces deux ou trois semaines si la situation reste préoccupante ? Ajouter une extension ? Jusqu’à quand ?
• Nous sommes sur un plateau irrégulier d’incidence, qui connait un rebond important et pourrait en connaitre d’autres au moins jusqu’au printemps. Est ce qu’on va refaire un confinement général de deux ou trois semaines à chaque rebond important ?
• Dans une approche de santé publique et de politique publique, a-t-on mis en balance les conséquences graves du confinement général sur la santé et ses déterminants, en particulier sur la survie de larges franges de la population et sur l’éducation des enfants? Ne pas le faire, explicitement et en toute transparence, ne relève-t-il pas au mieux d’une méprise éthique et politique au sens noble de ce dernier mot ?
• L’Etat et le pays ont-ils les moyens pour compenser et mitiger les conséquences économiques et sociales d’un CG ? Occulter de fait les réponses à cette question n’est-il pas une suggestion pour continuer à hypothéquer l’avenir et la souveraineté du pays par le recours aux crédits ?
• Avant de recourir à des mesures générales aussi drastiques que le CG dans tout le pays, dans une version qui va certainement affecter essentiellement le travail ainsi que la scolarité des enfants et dont l’efficacité est incertaine mais les conséquences gravissimes, est ce qu’il n’y a pas d’autres options permettant de freiner la progression de la pandémie et d’en mitiger les effets ?
On peut faire autrement
Ceci passe nécessairement par un plus grand respect et une montée en puissance avec les mesures barrières ainsi que d’une réactivité renforcée du système de santé pour le contrôle de la pandémie. Il faudrait notamment de :
• Faire en sorte que le respect des mesures barrière devienne l’affaire de toutes les parties, pas seulement celle du gouvernement et de sa police, en impliquant les communes et la société civile.
• Trouver la communication adéquate pour expliquer que les mesures barrières doivent être respectées dans la durée et poursuivies même après le démarrage de la vaccination durant au moins une année.
• Monter en puissance avec le respect des mesures barrières à chaque fois que la situation l’exige en limitant le mouvement des personnes aux activités essentielles, travail, éducation des enfants, courses domestiques, soins, marche quotidienne.
• Redoubler les efforts et faire preuve d’imagination pour mieux protéger les plus vulnérables aux complications de la Covid-19 (personnes âgées et ou avec certaines comorbidité). Le moins ils sont exposés au risque d’infection le plus seront réduites les formes graves et la mortalité attribuée à cette maladie.
• Renforcer l’habilitation et l’implication de la première ligne du système de santé, publique et privée dans le contrôle de la pandémie et la prise en charge précoce des patients.
Une approche et des mesures qui pouvaient et peuvent encore faire diminuer la pression sur les services de réanimation des hôpitaux d’autant plus que c’est en amont qu’on peut mieux et plus sauver des vies.
La peur du SRAS CoV2 est légitime. Elle exige de faire les meilleurs ou les moins mauvais choix stratégiques compte tenu de notre contexte, sanitaire, social, économique et géographique, ainsi que de l’évolution des connaissances sur ce virus et des moyens pour le combattre. Ceci se fait certainement mieux quand la lucidité gagne contre la contagion de la panique et quand une communication responsable, objective et transparente explique les différentes facettes de la crise sanitaire liées à la Covid-19. Surtout il faudrait que chaque partie assure sa part de responsabilité et que l’on sorte cette crise des champs des querelles politiciennes.
Dr Abdelwahed El Abassi
Ancien haut cadre international de l’UNICEF et de l’OMS