Hassen Zargouni: Populisme tunisien dites-vous ?
Origines: Crise socio-économique endémique et crise éducationnel et culturelle
La Tunisie a raté son arrimage à la mondialisation dès les années 90, le chômage y est très élevé à hauteur de 15% et de 30% pour les diplômés du supérieur, une croissance molle les années 2000 autour de 2% en moyenne, et une inflation relativement élevée notamment les 5 dernières années.
La massification de l’enseignement supérieur favorisant la filière générale au détriment de la formation professionnelle, avec 300 000 étudiants par an en moyenne contre 50 000 apprenants dans les centres de la formation professionnelle, la dégradation du baccalauréat par un boost absurde des 25% et une dégradation de la qualité des enseignements des cycles inférieurs avec un rang de bon dernier dans le concours international PISA sur 65 pays participants, nos élèves ont un retard de 3 à 4 ans par rapport au standard international à même âge. Ça a crée plusieurs générations où la culture n’a pas sa place, qui ne lit plus, moins d’un livre par en moyenne, ne s’ouvre plus linguistiquement, et manque de sens au point de se poser des questions identitaires...
Catalyseurs: Le creusement des inégalités et les réseaux sociaux
Les crises économiques et culturelles sont toujours accompagnées par un gap entre les classes sociales et élargissement du fossé perçu et réel entre les catégories socioprofessionnelles et cela est perceptible grâce notamment à l’étalage des richesses d’un côté par de nouveaux arrivants ainsi que certains rentiers, et des frustrations créées par la communication commerciale accessible à tous et favorisée par l’ultra ciblage des réseaux sociaux à tous, grâce aux 7.7 millions de comptes actifs Facebook notamment.
La haine, la toxicité, le complotisme, le négativisme envahissent alors la toile et créent les conditions du séparatisme, nous et eux, peuple et élite, bons citoyens et système corrompu,... situation favorisée par les algorithmes bases des réseaux sociaux mais aussi par le caractère marchand de la diffusion de fausses informations et le sensationnel car c’est ce qui attire les internautes et génère du coup du cash à ceux qui distille le fiel sur la toile.
Conséquences: Défi à la démocratie représentative et absence de cohésion nationale
Les réseaux sociaux, utilisés en masse par des gens frappés par la crise économique et culturelle d’une manière individualisée, où chacun peut s’exprimer à sa guise sans filtre ni régulation, deviennent le moyen de constituer une opinion publique et des orientations électorales, et où les idées et les informations les plus sensationnelles, les plus extrêmes, les plus loufoques parfois, sont partagées et appropriées par une masse sans immunité culturelle ou éducationnelle suffisante. Ces diffuseurs de statuts personnels et partageurs d’informations individuelles n’ont plus besoin d’être représentés par un conseiller municipal, un député ou même un président de la république. Ils ont pris les commandes à leur façon, en dehors d’un système institutionnalisé, loin des partis qui ne sont plus capables de former ou d’encadrer car non exemplaires.
La cohésion nationale, l’unité autour de la patrie se voit alors menacée car le fossé se creuse tous les jours entre une société politique avec de vieux arguments et un peuple jeune qui réagit différemment, autrement et souvent d’une manière destructrice de valeurs, entre des gens qui croient qu’ils incarnent le bon peuple face à une élite corrompue et incompétente à leurs yeux car elle n’a pas été capable de résoudre les problèmes du pays, et où les « nous » face aux « autres », les bons et les méchants,... une situation manichéenne qui affaiblit la nation, le pays et les gens aussi, tous les gens qui composant ce pays et en premier les couches précaires comme toujours en temps de crise.
Seul le temps pourra remédier à la situation que nous connaissons. C’est pour ça que ça risque d’être long, trop long hélas. A moins que le leadership politique se résoud à agir, à transformer le momentum politique actuel en une opportunité en alignant les volontés, toutes les volontés sur les objectifs du salut du pays et des citoyens. Un signal fort est attendu de la part des présidences. La Tunisie est un pays agile, il l’a montré de par le passé. Il pourra accélérer le temps et s’en sortir...
Hassen Zargouni