Tunisie: Quand l’espoir s’en va !
Par Azza Filali - Dans notre pays, l’espoir a plié bagage. A-t-il pris l’avion avec passeport et visa ? A-t-il embarqué de nuit pour Pantelleria ? Toujours est-il qu’il est absent de nos villes, de nos campagnes, tout comme de l’humeur de nos citoyens ou des prévisions de nos politiques. Pour s’en persuader, il suffit de faire défiler quelques informations instructives quant au naufrage de cet espoir dans notre pays. Attachez vos ceintures !
Commençons par les médicaments, un secteur vital. Le nombre de 500 médicaments en rupture de stock, pour non-paiement aux firmes productrices a été annoncé par la pharmacie centrale. Etre Tunisien et être malade, voilà deux assertions incompatibles… Pour être sincère, s’il fallait choisir entre les deux propositions je serais dans l’embarras le plus total…
Jeudi 7 janvier, les hôpitaux seront déserts pour cause de grève générale des médecins hospitaliers, en raison de la non application des accords passés avec le gouvernement, le 6 octobre dernier.
Mardi 5 Janvier, le ministre de l’intérieur a été démis de ses fonctions par un chef du gouvernement, mécontent de voir son ministre outrepasser ses prérogatives et se défaire de hauts cadres du ministère sans le prévenir. Ce ministre est par ailleurs officieusement obéissant au président de la république qui, désormais, se déclare chef des forces de l’ordre y compris celles qui sont armées, incluant de ce fait gendarmerie et garde nationale. Le conflit entre les deux têtes de l’exécutif, s’envenime de jour en jour.
Au parlement, l’honorable député Seif Eddine Makhlouf, de retour d’un voyage à l’étranger (avec passeport spécial) voyage ayant duré plus de cinq jours, n’a pas respecté le confinement imposé par la réglementation et s’est présenté à l’assemblée, le lendemain de son retour. Le président du parlement, informé de l’anomalie, n’a pas bougé d’un iota. Que peut-il face au chef d’un clan qui lui sert de bouclier et de bras armé contre ses adversaires, à l’intérieur du parlement tout comme à l’extérieur ? Quant au risque de Covid pour les autres députés, c’est le dernier des soucis de Rached Ghanouchi. Résultat : une députée a subtilisé la clé de la grande porte de la salle de réunions, estimant ses collègues indignes de passer par cette porte et les contraignant à emprunter les petites entrées. Cet acte a, certes, une forte portée symbolique. Dommage qu’il soit empreint de l’agressivité, désormais coutumière à l’ARP. Cette agressivité, parvenue il y a quinze jours, aux échanges de coups et blessures, a obligé ce matin à l’arrêt de la séance plénière. Encore une coutume désormais bien ancrée dans notre bonne assemblée…
Deux hauts responsables viennent d’être jetés en prison : le chef du parti ‘QalbTounes’ et le ministre de l’environnement(le papa de la Q5). Il semble qu’ils seront suivis par d’autres responsables politiques, de sorte que nous aurons bientôt un gouvernement sous les verrous et un autre en exercice « provisoire », ceci à condition que Mr Mechichi soit maintenu à son poste…
Depuis près d’un mois, des prémices de dialogue national, ont été proposés au président Saied par le secrétaire général de l’UGTT. Cette proposition semble avoir eu l’aval de son excellence. Toutefois, M. Saied exige que ce dialogue comporte non seulement les personnalités politiques et économiques mais aussi de jeunes tunisiens. Se pose alors le problème du choix de ces jeunes : combien seront-ils ? Comment les choisir ? Piquer les meilleurs de chaque promotion à l’université ? Faire appel à ceux qui battent des records de présence aux cafés pour tuer le temps ? Ou bien tirer au sort, parmi de parfaits inconnus ? Ces modalités risquent de retarder la tenue du fameux dialogue et c’est une bonne chose. Qu’attendre d’une réunion gigantesque qui consistera en parlotes successives, ou en consensus quasi-impossible à obtenir de la part de groupes pour la plupart opposés les uns aux autres ? C’est que dans notre « panorama » politique, tout le monde est fâché contre tout le monde… Donc, retarder voire annuler le fameux dialogue est ce qui peut nous arriver de mieux.
Une gabegie sans précédent affecte la totalité de la classe politique, marquée par des conflits sans fin dans lesquels l’ego joue un rôle majeur. Premier conflit : celui opposant M. Kais Saied à M. Mechichi. Conflit remontant à l’incident du fameux ministre de la culture malvoyant, soutenu par l’un, démis par l’autre. Conflit en vérité résultant de velléités d’autonomie et d’indépendance affichées par le chef du gouvernement et qui ont fortement déplu à monsieur le président : celui-ci, dans son choix de Mechichi, attendait d’avoir à la Kasbah un élève docile, simple exécutant des décisions prises à Carthage. Or, voici que l’élève hausse le ton, affiche des velléités d’autonomie, allant même jusqu’à ordonner à ses ministres de le « prévenir », lorsque le chef de l’Etat les convoque.
Gabegie aussi entre les partis politiques : il n’y en a pas deux qui soient alliés et marchent du même pas. L’extrême de la gabegie a été le « lâchage » de Nabil Karoui par Rached Ghanouchi, lui qui ne serait pas aujourd’hui installé au perchoir de l’assemblée sans le vote massif de QalbTounes. Vote ordonné par Nabil Karoui à ses troupes. Mais, l’oubli et la trahison sont monnaie courante sous la coupole. Désormais, il semble que Karoui et son parti représentent plus un poids qu’une aide ; dès lors pourquoi ne pas le renvoyer à la Mornaguia, le temps de voir venir ?
Outre l’endettement colossal de la Tunisie auprès des institutions internationales, un dossier d’endettement chiffré à 3000 milliards, attribué aux tractations de certains avec la BFT porte en lui, l’odeur nauséabonde du vol et de la traîtrise à l’égard de l’Etat. Sans entrer dans des détails qui m’échappent, il est bon de rappeler que certains Tunisiens ont contracté des crédits inconsidérés auprès de cette banque, crédits qui n’ont jamais été remboursés. Le montant global se trouve désormais à la charge de l’Etat Tunisien, après un communiqué paru au journal officiel sous le gouvernement d’Elyès Fakhfakh.
A travers le pays, le mécontentement et la trop longue attente des citoyens ont déclenché une colère qui se mue en agressivité au moindre accroc. Il y a quelques jours, voici la SNCFT qui déclenche une grève sauvage. Après les accords obtenus entre « El Kamour » et le gouvernement, chaque gouvernorat y va de sa colère, réclamant les mêmes privilèges, dans les mêmes délais. Tout se passe comme si les Tunisiens avaient épuisé leur capital patience et que les conditions socio-économiques des familles se détériorant de jour en jour ne leur permettent plus d’attendre les vaines promesses des dirigeants.Ceci se reflète dans les faits divers qui émaillent nos journées et dont la brutalité n’a d’égal que la barbarie. Impossible ici de ne pas avoir une pensée pour la mort horrible du jeune médecin de Jendouba, celle non moins horrible de la petite fille tombée dans une bouche d’égout mal refermée. Comment ne pas évoquer la dernière « horreur » : ces ‘agents de l’ordre’ qui ont cru bon de tirer à bout portant sur une voiture refusant de s’arrêter en période de couvre-feu !
Tout comme le reste, l’espoir s’épuise au fil des jours. Ses ingrédients essentiels, à savoir la patience et la confiance dans le vis-à-vis, mâtinées par une joie à la perspective des lendemains, tout cela s’effiloche et s’en va lorsqu’un trop plein de misère, de souffrance et de temps submerge les consciences individuelles et sociales.
Dix ans, c’est trop long dans une vie, c’est trop dur pour garder confiance et continuer à croire. Cela fait des êtres désabusés, ayant souvent perdu le goût de faire et d’entreprendre ; le goût de vivre tout simplement…
Azza Filali