La 5G, une occasion pour réduire le déséquilibre régional
Par Pr Ridha Bergaoui - La 5G, cinquième génération de la communication mobile permet essentiellement un accès à Internet ultra-rapide et de bonne qualité. La Tunisie a pris la décision (comme d’ailleurs la plupart des pays développés) de se lancer très prochainement dans cette nouvelle technologie très prometteuse. Nous essayons dans ce qui suit de présenter les effets possibles de l’introduction de la 5G sur le déséquilibre régional en matière de développement.
Le numérique, une vraie révolution
Depuis la fin du siècle dernier, la numérisation a envahi tous les domaines et a permis de mieux s’organiser, d’être plus efficace et de rendre de nombreux services au citoyen. Les technologies du numérique ne cessent d’évoluer et de se multiplier. On parle désormais de digitalisation, nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), d’Internet, de Big Data, d’intelligence artificielle, d’IOT… Sur le plan pratique, on trouve le e-commerce, e-learning, e-administration, télétravail, télémédecine…
L’arrivée de l’Internet, avec ses diverses facettes dont le courrier électronique (E-mailing) et les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, Linkdin…), est sans conteste l’événement le plus important qui a marqué ce début de 21ème siècle.
Les progrès énormes réalisés dans le domaine des télécoms et de la téléphonie mobile, associés au développement du web ont entrainé un changement radical de nos habitudes aussi bien au travail que dans les lieux publics et privés. La robotique, les drones et les outils connectés (IOT ou Internet Of Things) ne relèvent plus de la science fiction mais sont désormais une réalité.
La pandémie de la covid-19, qui, afin de réduire la propagation du virus, a imposé la limitation de la mobilité individuelle des gens et des flux commerciaux internationaux, a été sans conteste un accélérateur de l’usage quotidien de la digitalisation. Celle-ci a facilité les démarches aux citoyens et leur a permis de résoudre nombre de leurs problèmes facilement, rapidement et sans se déplacer.
La fracture numérique (FN)
Malheureusement, le développement du numérique et d’Internet n’est pas équitablement partagé. Les pays pauvres et en voie de développement en profitent beaucoup moins que les pays riches. Au sein d’un même pays (y compris les pays les plus développés), des écarts importants existent entre grandes villes et les régions rurales et enfin de nombreuses différences existent entre les habitants d’une même région en fonction de la situation économique, du niveau d’instruction et des besoins personnels. Ces écarts dans la disponibilité et l’usage du numérique et d’Internet représentent schématiquement ce qu’on appelle la fracture numérique.
Dans les pays développés démocratiques, la lutte contre la FN est une préoccupation majeure de la plupart des autorités. Mettre Internet à la portée du citoyen et démocratiser l’accès au web a été souvent un argument électoral important. Chez nous, lors de la campagne électorale pour les municipales de 2018, Rached Ghannouchi avait promis le Wifi gratuit dans les espaces publics dans les municipalités où Ennahdha sera élue.
Le déséquilibre régional
En matière de développement économique et social, schématiquement, la Tunisie se trouve divisée en deux. On distingue d’une part le grand Tunis ainsi que les zones côtières et d’autre part les régions intérieures. La capitale et les côtes, orientées les services et le tourisme, disposent d’une infrastructure importante et connaissent une activité économique intéressante. Ces régions ont toujours représentées un attrait certain pour les jeunes issus des régions intérieures du nord-ouest, le centre et le sud. Celles-ci, à vocation essentiellement agricole ou minière et énergétique, disposent d’infrastructures souvent défaillantes et des conditions de vie difficiles.
Au niveau national, ces régions connaissent les taux de pauvreté, de chômage et d’analphabétisation les plus élevés. Cette situation est à l’origine de flux migratoires internes et externes importantes, de mécontentement, contestations et de mouvements sociaux divers parfois très graves. Ces régions ont été à l’origine du soulèvement fin 2010 qui s’est soldé par la fuite de Ben Ali et la chute de son régime dictatorial. Malgré les nombreuses promesses faites par les différents gouvernements qui se sont succédé après la révolution, la situation a très peu évolué surtout avec les crises tant politiques, économiques que sanitaire (avec la covid-19 et ses conséquences désastreuses sur le travail et les affaires) que connait le pays.
La fracture numérique en Tunisie
La Tunisie est l’un des premiers pays africains à avoir adopté le numérique. Depuis 1990, notre pays n’a cessé de développer ses infrastructures et à investir dans la formation des jeunes aux divers métiers du numérique.
L’usage du numérique et l’accès à Internet supposent trois préalables essentiels:
• une connexion Internet de qualité
• du matériel de connexion (PC, tablette ou Smartphone)
• suffisamment de connaissances pour utiliser correctement ces technologies, se connecter et naviguer dans le web.
Force est de constater que des écarts importants existent entre les régions. Le grand Tunis avec les zones côtières sont favorisés par rapport au reste du pays. Les régions de l’intérieur et les zones rurales intéressent peu les fournisseurs du portable et d’Internet en raison du manque de rentabilité. Les fournisseurs surtout privés préfèrent investir dans les régions à fortes densités humaines et de trafic pour amortir rapidement leurs équipements très onéreux. D’où l’existence de nombreuses zones blanches non connectées.
La pauvreté et les faibles ressources financières des citoyens des régions de l’intérieur ne leur permettent pas de s’équiper (pour profiter pleinement du Web, il est préférable de disposer d’un PC plus pratique à utiliser qu’une tablette ou un téléphone portable) et de se payer une connexion Internet.
Enfin, pour accéder au web et naviguer, il est nécessaire d’avoir un minimum de formation en matière d’utilisation des différentes commandes. Ce ci suppose un niveau minimum pour pouvoir lire les instructions et y répondre. Le taux d’illettrisme (on parle même d’illectronisme) étant plus élevé dans les zones rurales et reculées, l’utilisation du PC et la navigation dans le web pose problèmes.
La plateforme Sajalni
Ces dernières années, la téléphonie portable s’est bien développée, aussi bien dans les régions côtières qu’à l’intérieur du pays. Il semble par ailleurs que 60% des téléphones portables en circulation dans le pays proviennent des circuits informels. C’est grâce à ces circuits qu’on peut se procurer à bas prix un téléphone portable qui permet aussi bien de communiquer que de vous connecter à Internet. Ces circuits informels ont permis ainsi une certaine démocratisation du numérique. A partir du 1er janvier 2021 il n’est plus possible d’utiliser un portable acheté du marché parallèle. Ceci risque d’entrainer une hausse des prix et de creuser encore la fracture numérique.
Un déséquilibre régional qui ne cesse de se creuser
Avec l’installation de la 5G et le développement du numérique, les régions défavorisées risquent de se trouver encore une fois pénalisées. La fracture numérique de plus en plus importante peut se superposer à une fracture économique et sociale déjà bien installée. Ceci est de nature à creuser encore l’écart entre la capitale ainsi que les côtes et les régions de l’intérieur du pays. Cette situation serait à l’origine de frustrations et de mécontentements et risque de générer des tensions sociales graves. Il est nécessaire de se prémunir et d’une façon générale de faire l’effort de réduire les écarts régionaux. Il faut renforcer l’intervention de l’Etat dans les régions défavorisées. Des programmes spécifiques, élaborés en concertation avec les habitants, doivent être mis en place dans les meilleurs délais pour le développement de ces régions, la création d’emplois et l’amélioration des infrastructures et du cadre de vie des citoyens.
Réduire la fracture numérique
La démocratisation de l’accès à Internet et les NTIC contribuent à améliorer le cadre de vie du citoyen. Ces technologies lui facilitent l’accès aux services, tant publics que privés, pour résoudre nombreux de ses problèmes quotidiens (payer ses factures, se renseigner sur les horaires ou les formalités, commander et acheter en ligne…) et lui épargner ainsi temps et argent. Elles peuvent être également génératrices d’emplois et de création de micro-entreprises et entrainer des dynamiques de développement intéressant.
Il est nécessaire de mettre au point un plan national de lutte contre la FN et faire profiter toutes les régions du pays de la 5G. Ce plan, qui intéressera uniquement les régions défavorisées, doit englober les points suivants : le réseau Internet (couverture et qualité), la création et la multiplication de points d’accès gratuits, l’acquisition à prix réduits de terminaux de connexion, la formation et l’enseignement de notions élémentaires d’informatique et d’Internet et enfin la négociation auprès des fournisseurs de prix réduits pour les abonnements et des connexions Internet.
Pour conclure, la 5G ne doit pas être une cause de plus de l’isolement et la désertification de nos régions intérieures déjà défavorisées mais une occasion pour les désenclaver, les repeupler et les développer. Avec le développement de la digitalisation, la robotisation et du travail à distance, de nombreux pays connaissent une fuite des habitants des grandes villes et un retour à la campagne où les conditions de vie sont beaucoup plus agréables.
Pr Ridha Bergaoui
Professeur Universitaire