Taoufik Habaieb: Ce qui nous divise, ce qui nous rassemble
C'est une bonne année 2021 qui commence! L’espoir que fait naître le vaccin contre le Covid-19 est à lui seul motif d’optimisme. Après une folle année faucheuse et un train ininterrompu de mauvaises surprises, tous aspirent à rompre avec ce cycle infernal du mal ravageur, de confinements en série, de pertes d’emplois et de revenus. Outre son cortège de morts.
Vieux démons et doutes ancestraux ont soudainement ressurgi. Ils n’ont fait qu’exacerber les paradoxes d’un peuple déjà en errance. Les facteurs de dislocation sont multiples.
Ce qui nous divise devient encore plus profond, encore plus clivant.
Les inégalités ne sont plus acceptées. Dix ans après janvier 2011, l’aspiration à la dignité est encore plus forte. Cette pressante revendication couvre plus largement l’accès à l’emploi, aux soins de santé et à des services publics de qualité. Sans exclusion, ni favoritisme.
La malversation généralisée est vigoureusement dénoncée. Elle gangrène le pays, corrompt la société, intoxique l’économie et fausse toutes les règles. La puissance acquise par les barons de l’illicite vampirise l’appareil de l’État et attente à ses institutions.
L’Islam politique, affiché modéré, cède le pas à l’extrémisme religieux. L’appel à la peine de mort, la dégradation du statut de la femme, ou encore le rejet de l’égalité successorale, revendiqués sous la coupole du Parlement, annoncent l’avancée d’une pensée des ténèbres qui entend s’exercer aujourd’hui. Le comble, c’est que ce discours misanthrope trouve écho auprès de larges franges de Tunisiens qui se complaisent dans un conservatisme à contre-courant du progrès.
Le populisme vient tout achever. Au risque de tout déconstruire, il attise les passions, défend le sectarisme, cultive les ferments de l’insurrection, face à l’autorité de l’État. C’est l’unité de la nation qui est alors mise en danger.
Les risques sont multiples et graves. Personne ne les pointe fermement du doigt, n’agit suffisamment fort pour en prémunir la nation. Dans ce chacun-pour-soi, l’ego politique l’emporte sur l’intérêt général, et le court terme sur le devenir commun.
Pourtant le lien fondamental salutaire existe. Il n’attend qu’à être déterré, renforcé, redéployé, pour nous en sortir.
Ce qui nous rassemble sera alors plus fort. Que manque-t-il à la Tunisie pour surmonter ces moments difficiles ? Mise sur les rails de la démocratie dans la promesse de sa plénitude, elle dispose d’atouts majeurs qu’il suffit d’activer.
La crise économique, aussi catastrophique soit-elle, n’est pas irrémédiable. Le pays peut s’en sortir, moyennant une vision claire, des priorités bien hiérarchisées, un programme d’austérité généralisé et une gestion rationalisée. La relance sera au bout.
La précarité n’est pas impossible à vaincre. En érigeant la solidarité, en favorisant une meilleure redistribution des ressources et en gommant les inégalités, les résultats seront rapides à produire leurs effets bénéfiques.
Les tiraillements politiques violents restent à désamorcer. C’est la classe dirigeante qui en est responsable et c’est elle qui doit être mise en demeure pour en venir à bout. Dans une folle course au pouvoir, tous cherchent à renforcer leurs positions, préserver leurs acquis, défendre leurs intérêts. Peu importe, à leurs yeux, le quotidien du Tunisien, sa souffrance et son désespoir. Ce qui les effraye, cependant, c’est le déballage public des affaires, l’emballement de la justice pour leur demander des comptes. Point de trêve, la meilleure défense, croient-ils, c’est l’attaque, les réseaux sociaux sont inondés de vraies et de fausses dénonciations.
N’est-il pas grand temps que cesse toute cette hystérie collective? Le pays ne se gouverne pas par une fuite en avant, ni une soumission aveugle à la vox populi. Il exige sérénité, clairvoyance, courage et leadership. Lassés par tant d’épreuves, traumatisés par tant de brutalités, les Tunisiens aspirent légitimement à retrouver le bien-être qu’ils appellent de tous leurs vœux. Est-ce impossible ?
Meilleurs vœux de bonne et heureuse année 2021.
Taoufik Habaieb