News - 26.12.2020

Samy Ghorbal - Covid-19: le monde plongé dans une incertitude radicale

Samy Ghorbal - Covid-19: le monde plongé dans une incertitude radicale

Une crise sanitaire doublée d’une crise économique d’une ampleur inédite, aux allures de choc de civilisations. L’irruption brutale et inattendue du Covid-19, à la fin de l’hiver 2020, est venue bousculer nos certitudes les plus établies. Cette pandémie, qui a fini par rattraper la Tunisie, a détruit des pans entiers du système productif et éducatif. Elle a monté les générations les unes contre les autres, et miné un peu plus la confiance dans le politique. Elle s’est immiscée au cœur de notre intimité, en questionnant nos modes de vie, notre civilité et notre rapport à l’autre. Réclusion volontaire, repli sur le noyau familial, mise à distance physique, masques, fin des grandes célébrations communautaires festives et religieuses, report des grandes manifestations sportives : la crise du coronavirus, si elle devait se prolonger, s’apparenterait alors à une rupture anthropologique d’une violence assez unique en temps de paix.

Plus que tout, plus encore que la peur de la mort, c’est l’incertitude radicale engendrée par le Covid-19 qui nous est insupportable. Incertitude sur la durée de la pandémie, incertitude sur la possibilité d’obtenir rapidement un vaccin qui soit à la fois sûr et efficace, incertitude sur les parades et les politiques de prévention à mettre en œuvre pour se prémunir contre de « nouvelles vagues », enfin, incertitude sur l’origine de ce mal.

Près de onze mois après le signalement à l’OMS de cas de pneumonies atypiques dans la région chinoise de Wuhan, nous savons finalement bien peu de choses sur les conditions d’émergence de cet agent pathogène baptisé SARS-Cov-2. Ce nouveau coronavirus est apparenté au SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère, apparu en Chine en 2002 et disparu mystérieusement en 2004) et au MERS (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient, apparu en Arabie Saoudite en 2012 et éradiqué trois ans plus tard). Avec une létalité réelle variant entre 0,1 et 0,5%, le SARS-Cov-2 est heureusement infiniment moins mortel que ses devanciers, le SRAS (10 à 15% de létalité) et le MERS (jusqu’à 30%). Mais il est hautement contagieux. Il se transmet par les mains au contact des muqueuses de la bouche, du nez et des yeux, par les fameuses gouttelettes, et par voie aérienne, en milieu confiné (aérosol). Surtout, et c’est ce qui le rend plus incontrôlable, il peut être propagé par des sujets totalement asymptomatiques. Ce mécanisme, les médecins, pourtant en alerte, mettront plusieurs semaines à le comprendre. C’est ce mode de transmission très particulier qui est à l’origine de la suspicion généralisée qui s’est emparée de nos sociétés au cours de ces derniers mois.

Un épais brouillard continue d’entourer la date réelle de l’apparition du SARS-Cov-2. L’enquête, loin de se cantonner aux milieux scientifiques et médicaux, a fini par devenir un sujet de controverse géopolitique entre l’Amérique de Donald Trump et la Chine de Xi Jinping. On a d’abord cru que le virus avait commencé à circuler en décembre 2019 dans la province du Hubei, et que le point zéro de la contamination se situait dans le fameux marché aux animaux vivants de Wuhan, prestement rasé par les autorités chinoises après le début de l’épidémie. Les enquêtes épidémiologiques menées ultérieurement dans plusieurs pays d’Europe, notamment en France et en Italie, ont cependant montré que le virus circulait déjà à bas bruit sur le Vieux Continent dès la mi-novembre. Des images satellites des parkings du principal centre hospitalier de Wuhan ont ensuite montré que cet établissement affichait une activité inhabituelle dès la fin de l’été 2019. L’agent pathogène, encore inconnu, circulait donc déjà dans la région dès cette époque.

La diffusion mondiale du virus a peut-être été facilitée par les jeux mondiaux militaires organisés du 18 au 27 octobre 2019 à Wuhan, en présence d’athlètes venus des différents endroits du globe. Des participants français ont affirmé avoir été malades, et se souviennent de symptômes d’une forte grippe, qui aurait touché simultanément plusieurs délégations. Mais ce « cluster zéro », s’il venait à être confirmé, ne nous dit toujours rien de son origine.

Très vite mis au banc des accusés, le pangolin, ce petit mammifère africain au corps recouvert d’écailles, n’a peut-être joué aucun rôle dans la transmission à l’homme du fameux SARS-Cov-2. On a d’abord cru que l’infortuné mammifère pouvait être « l’hôte intermédiaire » entre le réservoir animal du virus - la chauve-souris du Yunnan - et l’être humain. La thèse avancée était celle d’une contamination accidentelle dans un marché aux animaux vivants. Un phénomène similaire s’était produit en 2002 au moment de l’apparition du SRAS : à l’époque, un autre petit mammifère braconné, la civette, avait servi d’hôte intermédiaire. Le SARS-Cov-2, à l’instar du SARS-Cov-1 (le virus du SRAS), existe à l’état endémique chez des populations de chauves-souris chinoises, qui jouent donc le rôle de réservoir animal pour le virus. Une transmission directe de la chauve-souris à l’homme est cependant impossible. Il faut un « hôte intermédiaire » pour franchir la barrière des espèces. Des analyses plus poussées du génome du coronavirus présent chez le pangolin et des souches circulant chez l’homme depuis 2020 disculpent le petit animal.

Le mystère de l’origine reste donc non résolu. Au moins trois hypothèses sont envisageables. Première hypothèse : il existe un autre « hôte intermédiaire direct », probablement situé dans une espèce domestique ou d’élevage, et pas encore identifié. Deuxième hypothèse : le SARS-Cov-2 serait la mutation d’un coronavirus inconnu mais jusqu’alors relativement bénin, qui circulait sporadiquement chez l’homme et qui aurait acquis une virulence et une contagiosité accrue. Troisième hypothèse : le SARS-Cov-2 serait un virus de chauve-souris isolé par des scientifiques lors de collectes, et qui se serait adapté à d’autres espèces au cours d’études conduites en laboratoire, dont il se serait échappé accidentellement. Rien ne permet aujourd’hui de trancher.

La résilience africaine face à la pandémie de Covid-19 a pu constituer une autre source d’étonnement – et d’espoir. A fin octobre 2020, on dénombrait près de 44 millions de cas de contaminations et 1,17 million de décès dans le monde, mais seulement 1,73 million de cas et 42 000 décès en Afrique, alors que notre continent représente 17% de la population mondiale. On se souvient des mises en garde alarmistes des responsables de l’ONU et de l’OMS, prédisant une hécatombe en Afrique, en raison de l’absence d’équipements de protection adaptés et de la fragilité des systèmes de santé. Ce scénario cauchemardesque s’est réalisé en Amérique du Sud, mais ne s’est pas vérifié en Afrique, même si l’Afrique du Sud a payé un lourd tribut à la pandémie, avec plus de 700 000 cas et près de 19 000 morts.

La première vague du Covid-19 a pu laisser croire à un « virus anarchiste ». Il a mis à genoux les plus grandes puissances de la planète, comme les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Italie ou l’Espagne, certains grands pays émergents comme le Brésil, et a fait mine d’épargner les plus petits : le Vietnam, pourtant voisin de la Chine, où aucun décès n’a été déploré au cours des cinq premiers mois de la pandémie, le Portugal et la Grèce, en Europe du Sud, ou encore les pays les plus pauvres d’Afrique. La Tunisie a semblé miraculeusement tirer son épingle du jeu, alors que l’Égypte, l’Algérie et même le Maroc étaient durement affectés. La seconde vague qui submerge actuellement l’Europe, y compris les pays épargnés par la première vague comme la République Tchèque, ainsi que la Tunisie et le Maroc, a montré que rien n’était acquis. Que s’est-il passé ? Que pouvons-nous conclure ?

La première leçon qui s’impose est celle de la résilience des pays d’Extrême-Orient. La Chine, Taïwan, la Corée du Sud, le Japon, Singapour, habitués à la culture du masque, de la discipline et du contrôle social, ont fait montre d’agilité et de volontarisme. Au prix de mesures parfois drastiques, et en s’aidant des technologies les plus avancées, elles ont réussi à casser la première vague et à se prémunir contre la seconde. A l’inverse, les sociétés occidentales, plus ouvertes, plus débridées, plus inconscientes aussi, n’ont pas réussi à relever ce défi — à l’exception peut-être de l’Allemagne. L’épreuve a été particulièrement douloureuse pour les États-Unis.

La deuxième leçon tient à la saisonnalité du virus. Ce qui n’était au départ qu’une hypothèse semble prendre corps. L’accélération foudroyante de la deuxième vague européenne est étroitement corrélée aux variations de température. Le constat est également valable à l’échelle de l’Afrique. Les régions les plus touchées par le virus sont les régions méditerranéennes du Nord et la partie australe du continent : celles où les phénomènes de saison sont les plus marqués. A l’inverse, la dynamique de l’épidémie en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, où la première vague a été linéaire et d’une faible ampleur, de mai à août, n’obéit à aucun modèle connu. Le SARS-Cov-2 n’y a jamais percé et il se maintient sous des formes extrêmement sporadiques, engendrant une mortalité très réduite.

Comment expliquer cette « exception africaine »? Plusieurs hypothèses ont été avancées. La jeunesse de la population, tout d’abord, avec un âge médian de 21 ans en Afrique subsaharienne, contre 30 ans au Maghreb et au Brésil, et une quarantaine d’années en Europe de l’Ouest. Ce paramètre peut expliquer une plus faible incidence sur la mortalité, mais pas l’absence de transmission communautaire, car les sujets jeunes et asymptomatiques sont très contagieux. La thèse de l’immunité croisée – une immunisation au Covid-19 grâce aux anticorps acquis au contact d’autres coronavirus – ne saurait être totalement écartée. D’éventuelles interactions avec le paludisme et ses traitements, dont la fameuse chloroquine, mais aussi l’artemisia, méritent d’être explorées. Enfin, la variable de la température semble jouer un rôle décisif. Des variations brutales de température, entre l’intérieur et l’extérieur, semblent favoriser l’infection des organismes. De nombreux mystères demeurent.

La crise du Covid-19 illustre le degré de nos interdépendances et notre communauté humaine de destin, même si, paradoxalement, son premier effet aura été d’élever des barrières et de pousser chacun à s’isoler dans l’espoir de freiner la diffusion de ce mal invisible. Mais le coronavirus se joue des frontières. Sauf à imaginer notre avenir sous la forme d’un retour aux temps des forteresses médiévales, il est illusoire de penser que les États réussiront séparément à trouver des parades nationales à une pandémie. Il faut, en définitive, avoir foi en la science, qui nous libérera de ce cauchemar. Une incroyable compétition internationale s’est engagée pour la recherche d’un vaccin. Elle met aux prises la Chine, la Russie, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Elle aboutira probablement à la découverte simultanée de plusieurs vaccins. 2021 sera l’année du retour de l’espoir !

Covid-19: la Tunisie abasourdie

Ouvrage collectif sous la direction de Taoufik Habaieb

Préface de Samy Ghorbal

Edition Leaders, 2020, 360 pages, 30 DT

Disponible en librairies et sur www.leadersbooks.com.tn

Samy Ghorbal
Essayiste et consultant en communication

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