Roman - Soufiane Ben Farhat entre Le chat et le scalpel
Conteur né, Soufiane Ben Farhat est aussi, journaliste irréductible et surtout romancier attachant. A sa riche bibliographie éclectique et multilingues, y compris en italien, il vient d’ajouter un roman promis à un large écho. Sous le titre de "Le chat et le scalpel", publié aux Editions Nirvana, il plonge le lecteur dans une galerie de portraits, des scènes antagonistes et des situations des plus surprenantes.
C’est un chat qui se met près du cœur et ronronne, mais il tient un scalpel. Et pour cause, la trame des faits a lieu en 2018 sous les cieux tantôt enténébrés tantôt obscurcis et ensanglantés et de la radieuse Tunisie de l’après 2011. Une galerie de portraits qui regroupe près de deux-cents personnages dont une bonne douzaine de protagonistes. Soit un portrait de groupe écrit au scalpel. C’est d’abord, et dès les premières pages, le coup de poing, puis le coup de cœur. C’est un miroir de notre vécu insoutenable, de nos espérances froissées, de nos angoisses tenaces. Et le miroir vire par moments au mouroir.
Tout y est, une incursion au style naturaliste à Hay Hlel ici et maintenant, des retours en arrière aux périodes précoloniale, coloniale et des anciens régimes post-indépendance. Le merveilleux Nord-Ouest tunisien (Kesra plus particulièrement) y est superbement croqué, les Amazighs et Berbères y sont toujours les gardiens d’un temple inébranlable qui défie les âges. Et la Tunisie cosmopolite de jadis, creuset de cultures, de communautés diverses et de civilisations, s’offre en partage au Cap-Bon, à Nabeul et au prestigieux quartier Le Passage de Tunis.
Et puis, et puis, il y a des hommes et des femmes on ne peut plus représentatifs de la Tunisie actuelle qui s’apparente davantage à un chaudron qui bout. Saabra, Lima, Taoufik Granjou, Farid Bouchnak et Mehdi Qûrsu, pour ne citer que ceux-là, sont poignants, pétillants. Ils truculent, exubèrent et effervescent à leur manière. La révolution, ses espoirs trahis, son oued détourné, les intégristes, les terroristes, les politiciens véreux, les bambocheurs, les trafiquants et les autres, tout y est. Nous y sommes tous tant que nous sommes.
Cédons le commentaire à une universitaire française spécialiste du genre, E. Mouilleau : " Je viens de lire ce beau roman « Le chat et le scalpel » bien écrit, servi par un vocabulaire recherché et des phrases courtes, ce qui confère une belle dynamique au récit. Cet auteur écrit parce que les mots sont beaux. L’auteur nous présente un portrait de la société tunisienne post 2011, par petites touches impressionnistes, ciblées et bien croquées. L’analyse sans complaisance d’une société en crise, malade et désabusée, sans repères où tous les dévoiements sont permis : le bilan d’une décennie de chambardements.
Le narrateur, n’échappant pas à la crise de la cinquantaine, est un homme solitaire, tourmenté, (la tourmente des éléments entre en correspondance avec la tourmente sociale) désespéré de voir l’intelligence et ses références culturelles balayées par la bêtise, l’imposture et les certitudes.
La vraie réussite romanesque tient aux deux personnages féminins, la princesse berbère terrienne et la femme de la mer en rupture de ban par lesquelles le narrateur se dévoile. Ces deux femmes libres qui lui échappent lui donnent l’occasion de nous révéler sa vérité. Seule l’écriture peut tenter de surmonter la folie actuelle. Ce roman du désenchantement est une belle tentative de rester vivant."
Avec une plume alerte, des phrases courtes, des images poignantes, une approche discursive et narrative qui coule de source, Soufiane Ben Farhat nous gratifie d’une œuvre majeure. Un grand roman qui fera date, n’en doutons guère.
« C’est un roman marquant, commente un critique littéraire. Soufiane Ben Farhat est en contre-plongée et à la verticale de son travail de journaliste (https://lapresse.tn/75737/sofiene-ben-farhat-journaliste-et-chroniqueur-a-la-presse-la-tunisie-est-un-fait-culturel-majeur/). Il est vrai qu’il n’en est pas à sa première prouesse en la matière. Il a publié jusqu’ici douze livres et son roman "Le regard du loup" avait obtenu le prestigieux prix le Comar d’Or en 2010. N’empêche, il semble atteindre ici un nouveau palier de son art. Une écriture impressionniste et haletante, célinienne, avec un penchant pour le réalisme magique. »
Le chat et le scalpel
de Soufiane Ben Farhat
Editions Nirvana, 2020, Prix : 24 dinars – 20 euros
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