Pr Amor Toumi: L’ouragan «covidaire» entre urgence, vigilance et responsabilité
Par Pr Amor Toumi - La présente pandémie ne cesse de troubler le monde entier en paralysant les économies et en semant le désarroi à l’échelle individuelle et collective. Depuis un an la planète vit dans l’angoisse et chaque jour nous nous réveillons avec des chiffres illustrant la situation locale et internationale. Que faire ? Céder à la panique ou adopter une politique de déni ? Regarder la réalité en face et agir ou faire la politique de l’autruche ? Malheureusement les expériences des différents pays ne permettent pas, à la date d’aujourd’hui, de proposer une approche sereine de la prise en charge de cette pandémie.
Les seuls points admis dans le monde (mais qui ne font pas l’unanimité) concernent les mesures préventives : le port des masques, la distanciation, le lavage des mains (ou l’utilisation de gel hydro-alcoolique) et l’aération. En matière de diagnostic la référence est la PCR. Cependant il est fondamental que les tests antigéniques soient banalisés pour atteindre le grand public. Je suis persuadé que petit à petit ils seront pratiqués à la descente des moyens de transport transfrontaliers ainsi que lors des réunions et lors de l’accès à certaines structures tel que les hôpitaux. Sur le plan thérapeutique, par contre, c’est la discorde en raison de l’absence de réponse adéquate excepté, peut être, l’oxygénothérapie précoce.
Qu’en est-il à ce jour?
1ère approche: C’est la recherche d’un traitement courant basé sur nos expériences de lutte contre le MERS-Cov (Middle East Respiratory Syndrome) et le SRAS-Cov (Severe Respiratory Acute Syndrome). Cette approche a permis de mettre en exergue l’Hydroxychloroquine associée à l’Azythromycine. D’autres produits ont été proposés dans ce cadre comme la Doxycycline ou la Colchicine (essai Canadien en cours), en se basant sur une action indirecte sur la réplication virale grâce à un pouvoir Zinc ionophore ou sur leur capacité à inhiber la division cellulaire. L’utilisation concomitante du Zinc, de la Vitamine D et de la Vitamine C est préconisée. Il en est de même pour les anticoagulants qui permettent d’éviter les problèmes circulatoires en cas de complication. Le vaccin du BCG a été étudié sur le plan épidémiologique et non thérapeutique. L’utilisation des Corticoïdes est controversée. Autant il y a une unanimité sur l’utilisation de la Dexaméthasone dans les formes sévères, autant les avis sont partagés dans les phases précoces. C’est ainsi que l’utilisation de la Prédnisolone (si CRP élevée) est jugée utile par certains, dans les phases précoces, et déconseillée par d’autres (OMS pour la Dexaméthasone). Actuellement d’autres produits sont proposés, toujours dans le cadre des médicaments abordables pour les atteintes non sévères ; la Bromhexine (plusieurs études internationales) et le Clofoctol (le médicament de l’Institut Pasteur de Lille).
Aucune de ces thérapeutiques n’a fait à ce niveau l’unanimité
2ème approche: Elle a été mise en place en parallèle avec la première. Certains laboratoires ont pris le train en marche pour proposer des produits à activité antivirale. C’est le cas du Remdésivir et du Lopinavir/Ritonavir (Kaletra). Leur utilisation fût un échec et ce malgré le soutien des deux Agences majeures dans le monde (FDA/USA et EMA/UE), notamment pour le Remdesivir. Pour donner une idée au lecteur sur ces enjeux, de nombreux chercheurs ont évalué le prix de revient d’une injection de Remdesivir à 1$. Elle est vendue actuellement à plus de 300$. Vous comprenez l’acharnement des uns et des autres pour défendre ces produits. L’étude de l’OMS (SOLIDARITY) a montré l’inefficacité de ces produits ainsi que celle de l’Hydroxychloroquine.
3ème approche: C’est la piste biologique, qui, dans certains cas, a été préconisée de manière assez précoce. C’est ainsi que les plasmas de malades guéris ont été utilisés pour conférer une immunité passive aux sujets malades sur la base des anticorps qu’ils contiennent. L’évolution logique a été l’utilisation d’anticorps monoclonaux qui empêchent la fixation du virus sur la cellule. Ce sont les fameux cocktails donnés au Président Trump (produit de Regeneron/Roche). Il est difficile de se prononcer sur ces produits car ils seront, à mon avis, hors de portée de nos moyens pour une utilisation massive (prix en dizaine de milliers de $US).
4ème Phase: C’est l’approche vaccinale. A l’heure actuelle, 154 produits sont en phase préclinique (expérimentation animale), 20 sont en phase 1 (essais d’innocuité essentiellement sur un nombre limité de personnes). 12 sont en phase 2 (essais d’efficacité et d’innocuité sur 200 à 400 personnes) et 10 en phase 3 (30000 à 50000 personnes). Les phases sont mises en place successivement après une évaluation concluante de la précédente. A la date de ce jour aucun vaccin n’a été approuvé dans le monde. Les annonces faites dernièrement le sont par des laboratoires qui doivent soumettre leurs résultats aux autorités. Aussi, il ne faut en aucun cas se précipiter, ni mettre la pression sur les décideurs pour arrêter une stratégie d’acquisition. En effet il faut prendre en considération ce qui suit:
• Le vaccin de Pfizer BioNtech doit être conservé à -100°F (-73,3°C) durant les étapes de transport et de stockage. Les pays en développement ont-ils les moyens de cette exigence? D’ailleurs de nombreuses personnes pensent qu’il s’agit d’une annonce spéculative à consonance boursière. L’article du Guardian (UK) du 12 Novembre 2020 relatif à la démarche du CEO de Pfizer, qui a vendu pour 5,6 Millions de $ d’actions suite à la hausse du cours des actions de ce laboratoire, renforce cette hypothèse
• Pour confirmer cette problématique liée au transport, à la distribution et au stockage, Moderna a annoncé que son vaccin doit être conservé à -20°F (-28,9°C).
• Stocker correctement les vaccins est un élément essentiel de la qualité des soins prodigués aux patients. Pour maintenir l'efficacité du vaccin, la chaîne de froid doit être maintenue non pas uniquement grâce à des super-congélateurs et une procédure de traçabilité de la température mais aussi en les branchant sur des groupes électrogènes adaptés.
• Outre ce problème de température, comment les pays en développement pourront gérer la problématique de la double injection à trois ou quatre semaine d’intervalle ? Il sera impossible de donner les deux doses au citoyen car il n’aura pas les moyens de les conserver à ces températures. Mais est ce qu’il trouvera sa deuxième dose le moment venu?
• Ces vaccins annoncés avec une efficacité de 80 à 92% conserveront-ils ce taux d’efficacité lors d’une utilisation massive ? De plus quelle est la durée de cette protection ? Elle se calcule en mois ou en années?
• A mon humble avis les autorités ne pourront pas évaluer correctement ces dossiers en raison des différentes pressions. Ils donneront tout au plus des EUA (Emergency Use Authorization) qui ne confèrent pas au produit la fiabilité requise en matière d’efficacité et de sécurité.
• A la date d’aujourd’hui aucun vaccin à ARNm n’a pu être commercialisé. Les essais pour réaliser un vaccin contre la rage ou contre certains cancers sur la base de cette technologie, ont été abandonnés en phase 1 en raison d’une certaine toxicité grave et de l’instabilité de ce type de produits.
• Les autres vaccins doivent être évalués conformément aux critères qui correspondent à nos pays (Conservation, nombre d’injection, efficacité…)
• Il va falloir que nos pays adhèrent de manière forte et volontaire à l’initiative du GAVI (Global Alliance for Vaccination and Immunization), associé à l’OMS et à de nombreux partenaires pour mettre à la disposition des pays en développement deux Milliards de doses pour faire face à leurs besoins selon des priorités bien définies. En plus de cette approche il faudrait que les pays en développement suivent de près l’évolution des dossiers de tous les pays en course pour les vaccins avec leurs propres critères.
• Autant il s’agit d’agir avec prudence, autant nous avons un devoir d’anticipation basé sur une lecture objective, réfléchie et sereine de toute évolution sur la scène vaccinale.
Il est certain que la solution vaccinale n’est pas l’unique réponse à cette pandémie, mais elle constitue une importante base pour assurer un futur à notre monde. La solution définitive à cette pandémie réside dans la découverte d’un médicament détruisant ou inactivant directement le virus.
Pr Amor Toumi
Professeur de Pharmacologie
Ancien Responsable au Ministère de la Santé
Ancien Haut Fonctionnaire de l’OMS (Genève)