Mohamed Adel Chehida: La seule voie est la légalité
Mohamed Adel Chehida - Au mois de décembre 2000 j'avais fini de faire l'équivalence de mon titre de docteur en médecine en Italie, afin de pouvoir m'inscrire à l'ordre des médecins italiens, pour pouvoir exercer la médecine en Italie. Je devais aussi changer le statut de mon permis de séjour pour le convertir en permis de séjour pour travail, ce qui fut réalisé sur le quota réservé dans le décret annuel à l'époque fixant le quota des travailleurs tunisiens autorisés à intégrer le marché du travail en Italie.
Depuis quelques années, il n'y a plus de décrets fixant les quotas des flux migratoires vers l'Italie, et contrairement aux préjugés liés à la crise économique qui sévit en Europe et particulièrement en Italie, le manque en main d'œuvre qualifiée est bien réel et assez ressenti de ce côté-ci de la mer méditerranée.
L'évocation de ces souvenirs personnels m'amène à évoquer le thème de la légalité si cher, notamment, à l'administration italienne et la gestion du phénomène migratoire de l'aveu même des politiciens de la droite et même l'extrême droite italienne.
Cette même légalité ne devrait pas être l'apanage exclusif de l'argumentaire des interlocuteurs européens de la Tunisie, car elle pourrait et devrait pouvoir être évoquée à bon escient par les responsables politiques tunisiens qui auront à recevoir leurs homologues italiens et français dans les prochains jours.
Deux visites ont été d'ores et déjà annoncées, celle du ministre de l'intérieur français, ainsi que celle de la ministre de l'intérieur de l'Italie.
Ce n'est un secret pour personne, que dans le sillage des répercussions politiques immédiates du tragique attentat de Nice, le dossier du rapatriement en Tunisie des immigrés irréguliers et notamment ceux fichés S d'entre eux, sera mis sur la table des rencontres qui réuniront ces ministres de l'intérieur avec leur homologue tunisien.
Il y a bien plus, la ministre de l'intérieur italienne aurait l'intention d'exiger avec appui de la commission européenne de la coopération, la possibilité de faire dorénavant rapatrier tous ceux qui arriveront clandestinement en Italie et ce presto illico.
Les enjeux sont de taille comme on peut aisément l'imaginer aussi bien pour la Tunisie que pour ses partenaires stratégiques européens.
Toutefois, à côté de la nécessité pour lesdits partenaires de réviser dans l'urgence et l'immédiat, leurs stratégies et attitudes sécuritaires migratoires, après cet énième attentat commis par un immigré irrégulier tunisien sur le sol européen, il existe des impératifs tout aussi importants, en l'occurrence, le soutien indéfectible que ces mêmes protagonistes devraient assurer à l'achèvement de la transition démocratique en Tunisie.
Et c'est seulement en insistant sur le volet de la légalité et son corollaire lié au retour aux quotas de flux migratoires sécurisés et bien contrôlés, que la partie tunisienne pourrait susciter des négociations au lieu de subir des diktats.
En effet, il n'est aucunement dans l'intérêt de l'Europe, notamment de pays comme l'Italie ou la France d'abandonner la Tunisie à son sort, au risque de la voir devenir un No Homeland et une terre tellement appauvrie qu'elle pourrait être conquise par le premier preneur, éventuellement malintentionné envers l'Europe.
L'enjeu serait alors de savoir comment saisir la balle au bond pour l'envoyer dans le camp des partenaires stratégiques, en alignant sur la table des tractations, leurs exigences légitimes, en sécurité, avec les besoins urgents tunisiens en débouchés pour les jeunes chômeurs diplômés et qualifiés pouvant correspondre au marché de l'emploi européen, et ce à travers, de l'évocation de la nécessité d'une réactivation des flux migratoires réguliers, qui pourrait soustraire, par le biais d'une politique de coopération migratoire, ces flux aux trafiquants de la traite humaine et aux candidats au jihadisme.
Ça serait aussi le moyen le plus sûr, sur le plan humanitaire, de soustraire les migrants aux tragédies qui ponctuent les naufrages auxquels sont exposés les migrants clandestins, lors de leurs traversées de la mer méditerranée.
Ainsi donc, une laborieuse négociation menée par des personnes rompues au dialogue en circonstances difficiles et asymétriques, pourrait offrir à la partie européenne, l'occasion de ne pas faire l'amalgame entre immigration et terrorisme que nourrissent en revanche de leurs vœux les partis politiques de la droite et extrême droite aussi bien italiens que français.
Ceci étant dit, une hypothèque pèsera lourdement sur ce genre de négociations, à savoir, les sorties médiatiques et les déclarations officielles émanant de certains députés et responsables politiques tunisiens qui ont contribué par leur manque de vision et de pondération à assombrir le cadre des relations diplomatiques tuniso françaises.
En ce qui concerne la politique d'immigration italienne, il faut absolument qu'elle change, car la loi Bossi-Fini, n'a créé jusqu'à maintenant, que des«immigrés suspendus » (ceux dont le permis de séjour a expiré et ne sont plus en condition de le renouveler) ou bien des immigrés clandestins fantômes qui disparaissent dans la nature une fois sortis ou échappés des centres d’identification.
On parle de 600000 clandestins ( toutes nationalités confondues) en Italie, compte tenu de ceux qui ne se sont pas présentés lors de la dernière « sanatoria».
Il est évident que cela constitue un risque pour la sécurité de tous. une stratégie pour absorber 500000 immigrés réguliers , non seulement haut cadres et médecins, sur une période moyenne de cinq ans constitue à mon sens une base de négociation entre nos responsables tunisiens et leurs homologues. C’est ainsi qu’on pourrait aider indirectement la Tunisie économiquement par sa propre diaspora, c’est ainsi qu’on aura une immigration contrôlée et des immigrés bien identifiés et, enfin, c’est ainsi qu’on barrera la route aux trafiquants de la traite humaine, et peut être qu’on pourrait par la même occasion prévenir des actes ignobles contres des innocents.
Docteur Mohamed Adel Chehida
Associazione dei Tunisini in Italia -ATI-