Cheikh Sabah : l’Emir du Koweït, l’humaniste et le Tunisien de cœur qui nous quitte (Album photos)
Sa résidence, au milieu d’une roseraie à la Soukra, témoigne de son attachement profond à la Tunisie. Cheikh Sabah Al Ahmad Al Jaber Assabah, l’émir du Koweït qui vient de s’éteindre à 91 ans, suite à une longue maladie, était toujours resté un ami de la Tunisie et des Tunisiens. Tout récemment, en mars 2019, il avait tenu à honorer l’invitation de son vieil ami Béji Caïd Essebsi, pour se rendre en visite officielle en Tunisie et y conduire la délégation de son pays au 30ème sommet arabe. Ce furent trois jours de pur bonheur comme il n’avait cessé de répéter à Béji qui allait le voir chaque jour, le recevait au palais de Carthage et lui réservait au-delà du protocole un accueil des plus chaleureux. Tous deux nous ont quittés. C’étaient leurs dernières retrouvailles, leurs adieux.
A New York
Les liens entre la Tunisie et le Koweït sont aussi anciens que solides. Sur le plan politique, un fait marquera à jamais la qualité des rapports fraternels qui unissent les deux pays. Dès la proclamation le 19 juin 1961 de l’indépendance du Koweït, la Tunisie a été prompte parmi les tous premiers pays à reconnaître l’Emirat et établir des relations diplomatiques avec lui. Plus encore, Mongi Slim qui était alors président de la 16ème session de l’Assemblée générale des Nations Unies recevra fermes instructions du président Bourguiba pour parrainer l’admission du Koweït au sein de l’ONU. Ça sera chose faite, à l’unanimité, lors de la séance plénière du 7 mai 1963. Qui était alors le chef de la délégation koweitienne dépêchée à New York : Cheikh Sabah...
Entre les deux pays, l’amitié, la solidarité, la coopération et la concertation ont toujours été intenses. La coopération économique en bénéficiera dès 1963, avec le premier crédit du Fonds Koweitien pour la construction de la centrale électrique de la Goulette, et ne s’arrêtera jamais. Création du Consortium tuniso-koweitien de développement (CTKD, aujourd’hui Ekuity Capital) qui créera notamment la chaine hôtelière Abou Nawas, constitution de la Banque BTKD, envoi de coopérants tunisiens au Koweït, et tant d’autres réussites, mutuellement bénéfiques.
Un Tunisien à part entière
Cheik Sabah, avant d’être investi Emir du Koweït en 2006, alors ministre des Affaires étrangères, y contribuera largement. En tant que chef de la diplomatie, il se rendait fréquemment à Tunis qui abritait le siège de la Ligue des Etats arabes et les bureaux de l’OLP. Ses multiples séjours lui feront découvrir tous les recoins du pays et aimer ses paysages, nouer des relations simples et sincères avec tant de Tunisiens, apprécier tant de mets, d’us et de coutumes, devenir un Tunisien de cœur, à part entière. Chaque fois qu’il reçoit un officiel tunisien dans son palais Esseif à Koweït, il ne manquera pas de lui demander des nouvelles du pays, s’enquérir de la santé de ses amis et lui dire avec nostalgie : « La Tunisie, me manque. » Il suffit que son visiteur prononce le mot de la Soukra, pour qu’il plisse les yeux et dise « Ah Soukkara ! Ya Soukkara », tirant une pleine inspiration qui lui rappelle l’odeur des roses et des fleurs de son jardin tunisois.
Avec Chedli Klibi, Yasser Arafat, Bourguiba et Caïd Essebsi, il avait tissé des liens personnels d’une rare qualité. Au contact de Bourguiba, il cultivait une maitrise des relations internationales qui était déjà riche et variée. Ce sens inné de la diplomatie, sa modération, sa courtoisie feront de Cheikh Sabah l’homme de toutes les médiations, le recours. Sa générosité et son engagement en faveur de l’action humanitaire feront sa réputation d’un leader mondial de la solidarité agissante.
La reconstruction de l’Irak
L’auteur de ces lignes peut témoigner d’un exemple édifiant qu’il a vécu personnellement. Le 2 août 1990, Saddam Hussein lançait l’armée irakienne à l’assaut pour envahir le Koweït. Le bilan en sera lourd pour le peuple koweïtien, partagé entre ceux qui seront contraints à l’exil et ceux, restés au pays, éprouveront toutes les souffrances de l’occupation par un pays frère et voisin. La libération finira par se réaliser le 24 février 1990. Depuis lors, à la place de la haine, de la rancœur ou de la vindicte, le Koweït favorisera la fraternité, reprenant son aide au profit de l’Irak. Vint sept ans après l’invasion, Cheikh Sabah présidait en personne, présidait le 12 février 2018 la conférence internationale pour la reconstruction de l’Irak, à laquelle il a convié pas moins de 75 pays et institutions financières, 70 ONG et 1 850 hommes d’affaires. La moisson a dépassé les prévisions. Escomptant recueillir 10 milliards de dollars juste lors de cette conférence, l’Irak a vu ses espérances tripler, obtenant pas moins de 30 milliards.
Sa modestie restera légendaire et son sourire éternel
Avec la disparition de Cheikh Sabah, la nation arabe perd l’un de ses illustres dirigeants, et en lui une sagesse, une générosité et un sens de l’humain rarement égalés. La Tunisie salue la mémoire d’un frère et ami très proche, d’un partenaire de toute première référence, d’un juste. Sa modestie légendaire, sa courtoisie naturelle, son sourire éternel resteront dans les mémoires.
Le grand réconfort est dans sa succession immédiate par Cheikh Nawaf Al Ahmed, prince héritier rompu aux affaires du pays et fidèle aux principes tracés par les fondateurs de l'Emirat du Koweït
Taoufik Habaieb
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