Autoproduction d’électricité à partir des énergies renouvelables en Tunisie : quelle impulsion nouvelle?
Dans une note de concept élaborée par cinq experts tunisiens sous l’égide de l’association TENS (Tunisia Energie Society, en cours de constitution), le régime de l'autoproduction d'électricité à partir des énergies renouvelables en Tunisie est passé minutieusement en revue. L’état des lieux, dressé par les auteurs et les perspectives d’avenir fournissent des indications instructives. Les cinq co-auteurs de la note, Borhene Rassaa, Ezzedine Khalfallah, Hichem Mansour, Mahmoud Tnani et Yassine Allani (par ordre alphabétique) figurent parmi les meilleurs connaisseurs du secteur et ont, d’emblée adopté une démarche pertinente.
"La production de l’électricité à partir des énergies renouvelables constitue, sans doute, écrivent-t-ils en préliminaire, un palier essentiel aussi bien pour la transition énergétique que pour la relance économique en Tunisie. En effet le potentiel de ces énergies estimé à plusieurs milliers de MW, pourrait servir les besoins spécifiques de l’industrie, du tertiaire, du résidentiel ou encore de l’agriculture. Ce travail préliminaire dans le cadre de ce « Policy Paper » s’intéresse au régime de l’autoproduction et passe en revue plusieurs aspects liés à ce régime à savoir :
- Le cadre légal et son évolution entre 2009 et 2020 : Cette revue montre que plusieurs points ont été améliorés évoluant dans le sens d’un encouragement d’un tel régime, tel que l’autorisation de vente d’électricité à des tiers à travers la création d’une société de projet (SPV) entre différents auto consommateurs. Toutefois, des zones d’ombres persistent telles que la méthode de tarification en régime MT et HT et une clarification de l’application de la loi transversale qui intègre les auto-consommateurs à la fois en tant qu’actionnaires dans la SPV et en tant qu’acheteur. De tels points nécessitent plus de concertation entre les différentes parties prenantes.
- Un benchmark avec les pays Européens, illustre la complexité de la question de la répartition des coûts d’utilisation des réseaux électriques, notamment en phase de transition énergétique. En effet, en phase de transition, le réseau constitue une pièce maitresse, et doit être géré sur la base d’un modèle services et non plus sur la base d’un modèle débit comme c’est le cas à ce jour. L’étude prise en référence à ce travail compare les tarifs de transport unitaires (Tarifs normalisés) dans 36 pays d’Europe, et concerne les réseaux de transport à longue distance de l'électricité à haute et très haute tension. Elle aboutit à un tarif moyen de 8,76 €/MWh (soit 28 millimes/kWh) et montre une forte disparité quant à la structure de la tarification. Cependant, des points communs importants entre ces pays ont été relevés :
• Les coûts de transport et de gestion de réseau sont à la charge des consommateurs.
• Les instances de régulation (encore inexistantes en Tunisie) jouent un rôle essentiel dans la fixation des tarifs et l’établissement de leur structure dans tous les pays consultés.
• La structure de tarification intègre deux composantes dans le tarif de transport, à savoir une composante puissance et une autre énergie, représentant respectivement environ quarante et soixante pourcent.
- Des simulations pour le cas des industriels, ont été effectuées pour évaluer l’impact potentiel de la tarification de transport et de services sur la rentabilité d’un projet d’autoconsommation. Les résultats de ces simulations ont montré que la rentabilité d’un tel projet peut être atteinte lorsque les coûts de transport et de services ne dépassent pas les 50 millimes le kWh (analyse de sensibilité). A ce tarif, le retour sur investissement est de l’ordre de 14 ans. La considération d’une filière intégrée du renouvelable (ingénierie, installateurs, usines d’équipements, EPC, autres entrepreneurs) constitue une option stratégique de création d’une valeur locale, et d’opportunité pour l’emploi et sera de nature à garantir la réalisation de la transition énergétique de manière équilibrée et durable et positionnera la Tunisie en tant que précurseur à travers son tissu industriel
- Dans la perspective de l’État, le réseau représente un maillon essentiel dans l’intégration des énergies renouvelables pour la réussite de la transition énergétique. Les coûts d’accès au réseau ne se limitent pas qu’au transport, mais incluent également une multitude de services tels que le dispatching, le stockage, l’infrastructure et autres. Dans ce cadre, la mise en place d’une autorité de régulation indépendante est nécessaire, pour assurer une planification à long terme de la gestion du réseau et garantir une bonne gouvernance."
En conclusion
"Le régime de l’autoproduction d’électricité à partir des Energies Renouvelables doit par essence, encourager les divers consommateurs intéressés, à produire eux-mêmes leur propre énergie, sans pour autant compromettre les capacités du réseau électrique et son équilibre financier. En effet ce régime de production participe à l’effort de la transition énergétique et contribue à l’amélioration de la sécurité énergétique de la Tunisie. Plusieurs critères analysés lors de cette étude, tel que le nombre réduit d’autorisations en régime AP qui se transforment en projets réels de production montrent que les termes tel que proposés, notamment concernant les tarifs de services et de transport à travers le réseau électrique en M&HT ne sont pas de nature à encourager la démarche, entrainant cette dichotomie malgré les efforts de réformes et l’évolution du cadre légal entre 2009 et 2020.
Cette étude nous a montré aussi bien l’importance que la complexité de la question de la tarification des services et du transport. La disparité observée sur le benchmark avec les pays de l’UE et les pays voisins confirme deux données essentielles: Il n’y a pas une mais plusieurs méthodes de structuration des tarifs de services et de transport de l’énergie électrique à travers les réseaux de distribution. Ce sont des autorités indépendantes de régulations qui proposent les tarifs suite à des consultations avec les parties concernées, ces autorités garantissent la transparence du processus de composition des prix de transport et de services et contribuent à aboutir à un consensus acceptable pour toutes les parties.
Les simulations entreprises dans le cadre de ce travail ainsi que les analyses de sensibilité montrent qu’une zone de compromis des prix de transport et de services que nous avons appelé « trade off zone » pourrait être atteinte en tenant compte des différentes variables aussi bien du point de vue du gestionnaire du réseau que de celle de l’auto producteur – industriel."