Azza Filali - Covid-19 : le scandale de la mort du Dr Gharsallah !
Par Azza Filali - Pour commencer une précision : ce texte n’émane pas du médecin que je suis et qui défend un collègue, même si l’attitude est légitime. Toute mort par le Covid-19 est une mort de trop et hélas, notre pays commence à payer un tribut de plus en plus lourd à cette épidémie.
La mort est notre destin à tous, mais il est du devoir de chaque médecin de l’éviter par tous les moyens en sa disposition. Malheureusement, force est de constater qu’avec le Dr Gharsallah, il y a eu « non-assistance à personne en danger » ce qui est réprouvé par le code de déontologie.
Les faits sont d’une terrible simplicité : au terme d’un syndrome grippal, s’étant prolongé près d’une semaine, la famille du défunt contacte le 190. Après de multiples tentatives avec un numéro constamment occupé, le patient est transféré vers un des services d’urgence de la capitale. Et là commence la recherche d’un lit de réanimation. Pendant près de deux heures, une doctoresse, (sans doute résidente), de bonne volonté, a fait le tour des centres Covid qui ont répondu par la négative, affirmant que tous leurs lits étaient occupés. J’ignore si les urgences des cliniques ont été sollicitées, certaines possédant un circuit Covid. Entretemps, l’état du patient commençait à se détériorer, et les difficultés respiratoires se faisaient de plus en plus préoccupantes. Il a donc été intubé et ventilé aux urgences. J’ignore si un senior a été convoqué pour le prendre en charge, j’ignore aussi si on a contacté la fameuse cellule de crise au ministère, celle qui nous gave chaque jour de chiffres sans cesse croissants de malades. En vérité, c’est le ministre lui-même qu’il aurait fallu appeler. S’il ne s’agite pas, usant de toute son influence, pour trouver un lit à un médecin, pour qui le ferait-il ?
Il semble que les choses en soient restées là, et qu’une aggravation inéluctable de l’état du malade a conduit à son décès, deux heures après son arrivée aux urgences.
C’est honteux qu’un homme meure parce qu’il n’y a pas de lit pour lui fournir les soins adéquats ! C’est honteux que la machine du ministère de la santé ait continué à dormir sur ses deux oreilles au moment où un médecin rendait son dernier souffle, assisté par une collègue impuissante ! Nul besoin de recourir au code de déontologie, il y a eu dans cette triste affaire, un manque flagrant de civisme et une irresponsabilité impardonnable de la part des autorités. Où était le directeur de l’hôpital dont les urgences ont accueilli Mr Gharsallah ? Où étaient les spécialistes Covid lorsque le malade rendait son dernier souffle ? A quoi rêvait alors monsieur le ministre de la Santé ?
Le Conseil régional de l’ordre des médecins, a publié un communiqué où il faisait part de son « inquiétude ». Le mot me paraît bien mou. C’est plutôt « révolte et dénonciation » qu’il aurait fallu écrire. Révolte qu’un médecin ne reçoive pas tous les soins nécessaires dans ces hôpitaux où il a passé une bonne partie de son existence ! Dénonciation d’un laxisme impardonnable de la part des autorités spécialisées qui n’ont pas fait le maximum pour sauver un des leurs !
Mais quelle époque vivons-nous donc ? A quel degré de bassesse sont arrivés les gens ? Tout autant que le naufrage économique du pays, il faut s’affliger du naufrage moral et civique des citoyens ! La solidarité, le sens des responsabilités, le dévouement sont bel et bien morts et enterrés. Seul compte le misérable intérêt personnel, les manigances pour gagner plus, toujours plus : argent, notoriété, pouvoir ! Quelle pitoyable société que la nôtre ! Qu’est-il arrivé à la génération d’adultes tunisiens d’aujourd’hui pour qu’ils soient tombés aussi bas ? Une éducation médiocre délivrée par des enseignants médiocres et démotivés ! Une famille ayant « oublié » de transmettre à ses rejetons le minimum de règles morales et civiques ! Une société où l’argent et les combines ont écarté les fibres nationalistes d’avant et se sont imposés comme seuls maîtres ! On ne récolte que ce qu’on sème et nous avons mal semé !
Que notre confrère, le docteur Slim Gharsallah, repose en paix ! Il a eu la malchance de vivre au mauvais moment !
Azza Filali