Hédi Béhi - Tunisie: La stratégie de la tension pour saper l'Etat National
Il aura suffi d’une décennie pour que la Tunisie change à la vitesse grand V au point d'en devenir méconnaissable. On a eu beau positiver, invoquer la sacro sainte liberté d’expression, la démocratie, les élections libres, finalement tout cela n'a pas pesé bien lourd face à ce qu’on a perdu au change : les valeurs dans lesquelles on a été éduqués. Elles ont pour noms : patriotisme, civisme, discipline. Pendant longtemps, elles ont été notre marque de fabrique, le symbole de notre singularité à travers les âges. Sous les coups de boutoir qui lui ont été administrés pendant une décennie, l'Etat National a fini par se craqueler et ses symboles s'effilocher ou tout simplement par être frappés du sceau de la ringardise.
La nation, disait l’historien français Ernest Renan, c’est d’abord «une volonté de vivre ensemble». Ce fut le cas pendant des siècles. Ajourd'hui, les Tunisiens se regardent en chiens de faïence. Jamais le pays n'a paru aussi clivé comme il l'est aujourd'hui, entre progressistes et libéraux, pro-turcs et pro-qataris, modernistes et conservateurs et pour corser le tout, voilà que les religieux s'invitent dans le débat public avec un facteur supplémentaire de discorde.
Deux évènements m’ont interpellé dernièrement : une réunion entre des chefs de tribus et des officiers des forces de sécurité à Tataouine "pour mettre fin aux troubles dans la région de Tataouine", et les slogans séparatistes scandés à tue-tête par les contestataires tels que« Tahia Tataouine ». C'est un nouveau clou qui est planté dans le cercueil de la nation. Progressivement, on se fait à l'idée d'une retribalisation, non seulement sous sa forme traditionnelle, mais aussi dans sa version moderne. La société tunisienne est devenue une simple addition de corporations. L'Etat-léviathan a cédé la place à un non-Etat.
Séparatisme,tribus...des termes sacrilèges dans une Tunisie élevée dans le culte de la nation. Depuis la révolution, plus rien ne doit nous étonner. Rome n'est plus dans Rome. L'affaiblissement de l'Etat concomitamment avec la montée des forces centrifuges constituent désormais un cocktail détonnant N'a-t-on vécu que pour vivre cette infamie.
Cette rencontre entre les chefs de tribus et des représentant de l'Etat national est passée inaperçue comme s'il s'agissait d'une rencontre banale alors que sa symbolique saute aux yeux. Nous assistons peut-être aux derniers soubresauts de l'Etat National tel que nos ancêtres et nous-mêmes l'avons connu. Au fond, l'apathie des Tunisiens reflète un ras-le-bol général. Même dans la société civile, connue pour son dynamisme, nombreux sont ceux qui ont fini par céder à l'aquoibonisme face à l'opportunisme et l'incompétence abyssale de la classe politique toutes tendances confondues.
Alors que la classe politique se disperse dans des querelles subalternes, Ennahdha avance ses pions depuis Tataouine à l'instar des révolutionnaires castristes en 1960. C'est la fameuse théorie du foyer(El FOCO) élaborée par Che Guevara et Régis Debray dans les années 50 et 60 qui qui consistait à s’installer dans une zone déshéritée dont la population est particulièrement frondeuse afin d'en faire l'étincelle de la révolution.
Représentant le quart de la superficie de la Tunisie, Tataouine est le fief électoral de ce Mouvement qui y dispose d'une imposante masse de manoeuvre dont une bonne partie rêve de "s'enrichir en dormant". On leur avait fait croire que leur région vivait sur une mer de pétrole. Du coup, les contestataires n'ont cessé de harceler les compagnies pétrolières par des revendications irréalistes. Résultat : le pays va se retrouver sans gaz et sans pétrole dans quelques semaines. Autrement dit, l'économie tunisienne sera paralysée. La stratégie de la tension que le mouvement Ennahdha a développée depuis son arrivée au pouvoir s'est révélée payante. Il ne ne lâchera pas de si tôt sa proie.
On peut tout reprocher à Ennahdha sauf qu'elle n'a pas de la suite dans les idées. Le travail de sape qu'elle mène contre l'Etat Naional continue.
Hédi Béhi