Saïed a-t-il formellement accepté la démission de Fakhfakh ? Révélations
Officiellement, rien n'est acté sauf que le chef du gouvernement Elyès Fakhfakh a remis mercredi matin, sa lettre de démission au président de la République. L’audience s’était déroulée hors des caméras et n’a pas été médiatisée. C’est le président Kais Saïed qui l’a révélée lors de l’entretien qu’il accordé dans la foulée peu après-midi au chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, en présence de Fakhfakh et du secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi.Tous étaient en costume de couleur sombre, le visage fermé, sans cravate pour Taboubi… Seul Ghannouchi, tranchait, arborant un costume bleu ciel estival, avec une cravate turquoise assortie. Impassible, il affichait son masque des grands jours.
Pris de court, devant cette avalanche d’évènements, les communicantes de Carthage n’ont pas précisé si cette démission a été acceptée (et transmise à l'ARP) et si le chef de l’État a chargé le ''démissionnaire'' de rester, ainsi que son gouvernement en poste pour expédier les affaires courantes. Un acte de précision est cependant nécessaire. « C’est évident, relativise un proche du sérail : l'annonce ne saurait tarder ».
Un mécanisme automatique
"En fait, le chef de l’Etat ne peut que prendre acte d’une démission écrite qui lui est présentée par le chef du gouvernement, explique à Leaders un spécialiste du droit constitutionnel. Il ne peut ni l’accepter, ni la rejeter, mais en informer le président de l’ARP. La démission entre en vigueur dès sa remise. De facto, le gouvernement se limitera à l’expédition des affaires courantes. »
« Une autre question s’invite cerpendant au débat, signale un universitaire spécialisé. Elyès Fakhfakh étant personnellement impliqué dans une suspicion de conflit d’intérêts soumise à la justice, et ayant déclaré lui-même lundi dans un communiqué entendre se conformer à "l’éthique politique", doit-il demander la désignation d’un intérimaire, en attendant l’investiture de son successeur, s’interroge-t-il? Cette disposition serait activée par le conseil des ministres y statuant. L’article 100 de la Constitution, alinéa 2 est-il approprié en la matière ? Un précédent, dans d’autres circonstances avait été créé par Youssef Chahed, lors qu’il s'était porté candidat en septembre dernier à la présidence de la République. Il avait confié son intérim à Kamel Morjane…
Profitant de ce flou, et mû par un esprit qui lui est propre, Fakhfakh n’a pas cru mieux faire que de s’empresser de limoger six ministres « officiellement reconnus d’appartenance à Ennahdha ». D’autres moins marqués échappent à la sentence, quitte à recevoir un intérim en prime. « Une petitesse, une désolante mesquinerie », réplique-t-on à Montplaisir. "Où la solidarité gouvernementale?" déplorent les plus naïfs.
Plan B
L’entretien Saïed – Ghannouchi – Fakhfakh – Taboubi était à rebondissements multiples. Au lendemain de la Choura tenue dimanche soir, lechef d’Ennahdha avait demandé à être reçu lundi matin à Carthage. Le Protocole ne lui fixera le rendez-vous que plus tard. Ça sera le mercredi matin, dans la précipitation, après la deuxième Choura catégorique du mardi soir. Arrivé au Palais, Ghannaouchi y trouvera Fakfakh et Taboubi. En vieux routier de la politique, il comprend rapidement la scène. Il sera le premier à être introduit auprès du Président, suivi de Fakhfakh et Taboubi. Ambiance.
Dans une tentative d’apaisement et de désamorçage de la crise, Saïed essayera de faire surseoir au dépôt à l’ARP de la motion de retrait de confiance. Même s'il était convaincu de la quasi impossibilité de la mission. En fait, c’est le Président Saïed qui a demandé à Fakhfakh de lui remettre sa démission. Le communiqué de presse publié lundi après-midi par le chef du gouvernement désormais démissionnaire, a surpris Carthage par son ton belliqueux et son contenu têtu. La confiance est rompue. Par principe, il voulait profiter de ce temps de répit pour renouer les fils distendus, et aboutir à une sortie de crise. Ghannouchi, investi d’un mandat précis de sa Choura ne pouvait y acquiescer, d’autant plus que la machine etait déjà emballée.
Le couperet tombera rapidement : les services de la Présidence apprennent que la motion est officiellement déposée au Bardo, portant pas moins de 105 signatures. Le Président en est immédiatement informé. Changement de plan. On passe au Plan B. La démission est révélée, exhibée dans une liseuse en cuir, de couleur rouge. Sans surprise, sauf pour les incrédules.
Il ne restait plus au président de la République que d’énoncer une série de principes. La primauté de l’intérêt général, mentionnera le communiqué officiel, la conformité à la Constitution dans la recherche des solutions, le refus de toute confrontation avec quiconque, le libre cours de la justice, et le respect de la dignité…