Riadh Zghal: Et si la crise socioéconomique était soluble dans la décentralisation méthodique ?
Par Riadh Zghal - Le discours dominant est à la base économique ou plutôt macroéconomique. On entend des voix concordantes qui s’alarment des déficits qui frappent le budget de l’Etat et la balance commerciale, de l’endettement, de la décroissance économique… et l’on disserte sur un nouveau modèle économique qui sortirait le pays de la crise. Certes cet alarmisme est on ne peut plus justifié. Seulement les remèdes macroéconomiques ne peuvent guérir le mal tant que les hommes et les spécificités des contextes ne sont pas placés au centre des leviers du changement. Les hommes dans ce qu’ils représentent comme expérience, comme compétences, comme culture locale en plus de la nationale, comme capacités d’innovation adaptative à un contexte.
Les contextes se révèlent divers et déterminants quand on passe de la ville au milieu rural, des quartiers huppés aux quartiers périphériques pauvres des grandes villes. Parler de diversité, c’est parler de problématiques différentes mais aussi de potentialités et de ressources différentes. Reconnaître cette diversité, c’est s’interroger sur l’efficacité de politiques de développement même bien pensées au sommet de l’Etat. L’existence de ces politiques est nécessaire sans conteste, mais si l’on veut accélérer la création de richesse et d’emplois et la réduction de la pauvreté, sinon son éradication, il ne faudra négliger aucune ressource, qu’elle soit humaine ou matérielle. Or les ressources locales sont ô combien sous-estimées et sous-exploitées. Les savoirs et savoir-faire des agriculteurs, des artisans, des divers petits métiers s’appuient certes sur des traditions et des technologies conventionnelles basiques mais elles renferment des connaissances pertinentes du terroir, de la faune et de la flore, des besoins et des attitudes de la population locale… Toutes ces connaissances sont rarement documentées ou pas du tout. Cependant, elles sont incontournables pour la conception d’un développement réalisable, durable et harmonieux. L’apport de nouvelles technologies, de nouveaux modes d’organisation économique et sociale pour la production et l’offre de services peut être greffé sur les pratiques en place. De nouveaux modes de gouvernance administrative seront mieux acceptés si les acteurs sociaux sont reconnus et impliqués dans les choix adoptés. Tout cela impose une décentralisation réelle de la gestion du développement local depuis la vision, la conception d’une stratégie, de plans de développement locaux et des moyens de leur implémentation.
La décentralisation comme mode de gouvernance est institutionnalisée par l’article 14 de la Constitution : «L’État s’engage à renforcer la décentralisation et à la mettre en œuvre sur l’ensemble du territoire national, dans le cadre de l’unité de l’État.» Mais cela reste un principe plutôt flou, «l’Etat s’engage à renforcer»: y a-t-il réellement une gouvernance décentralisée pour s’engager à la renforcer? N’y a-t-il pas une confusion entre décentralisation et déconcentration ? Pour schématiser, voici ce qui les distingue fondamentalement: la décentralisation implique un large champ de pouvoir laissé aux acteurs locaux en matière de planification, de levée de fonds, de mobilisation des ressources, de prise de décisions dans plus d’un domaine affectant le développement économique et la vie de la communauté locale et, en conséquence, la dévolution des responsabilités aux acteurs sociaux locaux comme partie intégrante de la dévolution des pouvoirs. Quant à la déconcentration, elle concerne seulement l’exécution des règles de gouvernance décidées au sommet de l’Etat et de ses institutions. Evidemment, les deux approches de la gouvernance locale prennent des degrés différents selon le contexte tout en n’étant pas exclusives. Par exemple, la gouvernance d’une municipalité comprend une part d’autonomie concernant la gestion du patrimoine urbain mais son budget et son plan de développement sont soumis à l’approbation d’un ministère. Par contre, l’essentiel de la levée des impôts reste aux mains de l’Etat.
Pour qu’il y ait décentralisation, il faut qu’il y ait autonomisation financière et décisionnelle. Cela se décide au niveau des politiques nationales. Mais le fonctionnement de la décentralisation a des exigences à la base de la pyramide, autrement dit au niveau de la gouvernance locale. Lorsque, pour lutter contre le chômage et la pauvreté _ une question hautement politique_ il y a nécessité de participation et d’engagement, qu’il s’agisse de mobiliser des ressources matérielles disponibles et sous ou non exploitées, ou des ressources humaines avec leur large éventail de savoirs et de compétences. L’engagement des acteurs sociaux exige à son tour de la méthode pour le stimuler et motiver la participation du plus grand nombre de citoyens dont les intérêts sont souvent divergents. Cela s’impose car il s’agit de traiter des problèmes complexes dont les solutions seront par nature complexes. L’implémentation des solutions nécessite à la fois un processus plus ou moins long d’adaptation à un contexte particulier et surtout l’acceptation de ces solutions par les citoyens.
En 2019, le gouvernement australien a publié un guide destiné au service public pour l’aider à choisir la bonne mobilisation en vue de traiter les problèmes à caractère politique . On trouve dans ce guide une définition de la complexité des problèmes qui s’applique parfaitement à ceux des quartiers et des régions de notre pays en mal de développement et d’un niveau de vie décent:
«Un problème de politique est complexe si
• Aucune personne ou organisation, y compris le gouvernement, ne dispose des ressources nécessaires pour résoudre à elle seule le problème.
• Le problème peut ne pas être compris, et doit être davantage défini ou cerné.
• De multiples intervenants sont impliqués et toute solution potentielle créera probablement des gagnants et des perdants.»
Conduite avec méthode, la décentralisation est créatrice de richesse, d’emplois et de paix sociale. Et la méthode nécessite des compétences à développer pour que la participation soit tournée vers l’action et non la palabre, que les solutions aux problèmes se conçoivent dans un esprit gagnant-gagnant, qu’émergent des talents et des «champions» que la passivité ambiante, l’autoritarisme, le conservatisme ont réduits au silence.
Riadh Zghal
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L´esprit gagnant gagnant est une excuse de ne rien faire, La realité se trouve dans la difference entre le travail manuel et le travail intellectuel, laquelle est ancienne comme le monde, depuis l´Antiquité cette difference existe et interesse toute la société et les menages aussi. L´ Occident a fait le saut pendant Victor Hugo et "les miserables" dans son roman.