Me Samir Annabi, l’érudit et l’éminent juriste qui nous quitte
Figure emblématique du barreau de Tunis, alignant une triple formation juridique en Tunisie, en France et aux Etats-Unis, Me Samir Annabi, avocat à la Cour de Cassation, est décédé, jeudi 9 juillet 2020, à l'âge de 77 ans. Il était né à Tunis, le 22 septembre 1944. S’il avait préféré prendre tôt sa retraite, il y a quelques années, dès de premières alertes de santé, il a conservé sa grande curiosité de la chose publique et son vif intérêt pour la primauté de la loi, l’autorité de l’Etat et la lutte contre la malversation.
« Nous perdons en Si Samir, un juriste d’exception à l’image de son vénéré père et mentor, Si Mahmoud Annabi », nous confie son cousin le Professeur Abdelaziz Annabi, encore sous l’émotion. « Tous deux avaient, chacun, illustré sans partage les belles années de gloire de la jurisprudence et de la défense des humbles et des droits de l’Homme. Au-delà de l’Etat-Parti et du dictatorial », a-t-il ajouté.
Licencié en Droit Privé, diplômé en langue et civilisation américaines, titulaire d'un mastère en Administration publique (New York), et énarque, Me Samir Annabi avait d'autres jardins secrets où il excellait. Il était également en effet mélomane (diplômé du Conservatoire national de Musique, grand joueur d'échecs, journaliste, coach, spécialiste en stratégie et arbitrage international. La bibliothèque précieuse héritée de ses aïeuls, et enrichie par ses propres acquisitions constitue un véritable trésor.
Juriste de l'Année, en 2010
Quelques semaines seulement après le 14 janvier 2011, c’est lui a qui été nommé, début mars, directeur général de l’Institut Supérieur de la Profession d’Avocat. Il n’y restera qu’un an. En mars 2012, à la création de l’instance nationale de la lutte contre la corruption (INLUCC), il sera nommé à sa présidence, sur proposition du ministre délégué, chargé de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, M. Abderrahmane Ladgham. Me Samir Annabi y fera alors œuvre de pionnier. Trois années après, il demandera à passer le flambeau et c’est son confère et ami, l’ancien bâtonnier, Me Chawki Tabib, qui prendra le relais, en janvier 2015.
Elu juriste de l’Année 2010 par la revue "Infos Juridiques", Me Samir Annabi, réunit en sa faveur un rare consensus d’amitié et de considération.
Une grande lignée
Spécialiste en arbitrage, fin connaisseur du droit international et rompu aux contrats internationaux, il fait partie des rares tunisiens à bénéficier d'une forte imprégnation du droit tunisien, français et américain. Issu d’une grande famille de juristes et oulémas, établie depuis des lustres dans la capitale, qui a donné à la Tunisie des figures emblématiques, Me Annabi a toujours été éclectique et collectionneur de diplômes.
C’est ainsi qu’il fréquentera successivement l’annexe Sadiki, le Lycée Alaoui et le Lycée Carnot (1950-1963) avant de décrocher sa licence en Droit Privé, à la Faculté de Droit de Tunis (1967) et le diplôme de l’ENA. Sans oublier, celui du … Conservatoire National de Musique, dès son jeune âge. Fier de porter la robe noire, il s’inscrit dès 1969 au Barreau de Tunis puis met le cap sur Paris, pour réussir deux DES en Droit Privé et en sciences criminelles (1969), en escale pour les Etats-Unis. Cousin de feu Hédi Annabi (Sous-Secrétaire général de l’ONU qui vient de trouver la mort dans le séisme de Haïti), il ira préparer à Georgestown University à Washington DC, un diplôme de langue et civilisation américaine, puis un Master of Public Administration et un Doctoral Candidacy à la Maxwell School, Syracuse, New-York (1973).
Mettant à profit son séjour à Manhattan, il effectuera un stage à l’ONU durant l’année 1975. Discret sur son parcours, Me Samir Annabi n’aime pas en dire plus. Mais, on découvre sa participation active à nombre de conférences internationales de l’ONU, comités directeurs d’associations sportives, ONG, structures d’arbitrage et de conciliation, sociétés savantes et autres instances. On lui doit aussi nombre d’ouvrages sur le droit administratif et l’arbitrage, dans différentes langues.
Un homme de grande culture
Ce qui est remarquable chez lui, en plus de sa modestie et de sa courtoisie légendaire, c’est surtout sa culture encyclopédique. Le consulter, c’est bénéficier des meilleurs conseils, mais encore et surtout, acquérir l’éclairage le plus utile pour prendre les bonnes décisions. Me Samir Annabi appartient à cette rare et précieuse classe des grands conseillers : ténor du barreau, et habile négociateur, mais aussi fin lettré. Le soir, après une dure journée laborieuse, il aime s’attarder à son cabinet, le temps de relire le vieil Almanach Tunisien, se remémorer l’œuvre de nos prédécesseurs et en tirer les bons enseignements. Sa dernière escale avant de rentrer à la maison, c’est toujours le fameux kiosque à journaux d’El Manar, pour s’approvisionner en nourritures célestes et retrouver ses amis.
Son érudition,ses valeurs et son amitié fidèle nous manquera.
Allah Yerhamou.
Taoufik Habaieb