Sfax et son histoire urbaine : Vue plongeante sur l’histoire d’un centre urbain
Riches en histoires, les villes tunisiennes sont pauvres en livres consacrés à leur histoire. Très peu d’ouvrages récents racontent leur patrimoine, leur vécu, leur urbanisme. Yosra Achich a relevé le défi pour Sfax, soutenue en cela par le maire de la ville, Mounir Elloumi. Un magnifique ouvrage intitulé La municipalité de Sfax, vue plongeante sur l’histoire d’un centre urbain vient de paraître dans une édition trilingue luxueuse.
Quarante ans après le Sfax d’Ali Zouari, édité par feu Mohamed Masmoudi, fondateur de Sud Editions, avec les encouragements du maire de l’époque, Tijani Makni, il a fallu attendre jusqu’à l’année dernière pour que la ville bénéficie d’un deuxième ouvrage. Elle le doit à l’historien Ridha Kallel, sous le titre de Sfax, la ville blanche, un survol de 12 siècles, avec l’approche d’un chercheur et le talent d’un conteur. Mais le lecteur, avide de connaître l’institution qui gouverne la ville, reste à la recherche d’un livre dédié à celle-ci. Le voilà comblé.
L’idée originale en revient à Yosra Achich, présidente du Comité d’amitié Sfax-Grenoble. Chaque fois qu’une délégation étrangère visite la ville, officiels et chefs d’entreprise peinent à trouver un livre à offrir. D’où cette initiative. Rallié au projet, Naceur Baklouti, chercheur en patrimoine culturel immatériel et ancien inspecteur du patrimoine, a conçu un récit en langue française, articulé autour de quatre chapitres et qui sera abondamment illustré. Tour à tour, le lecteur partira du pouvoir colonial et l’institution municipale, avec la création de la municipalité le 16 juillet 1884, à la gouvernance municipale, les fonctions et le tissu urbain ainsi que la typologie architecturale. La partie en langue arabe a été assurée par Ridha Kallel, fort de l’expérience de son propre livre, alors que la traduction en langue anglaise a été effectuée par Sofiène Mallouli. Pour l’illustration, si les aquarelles de Charles Lallemand (1892) restent incontournables, le regard curieux et attentif d’un jeune photographe, Maher Gharbi, a capté une ville dans sa splendeur. Loin des clichés, on découvre des angles de vue, des moments furtifs, des lumières qui font redécouvrir les monuments et le présent.
Architecture et esthétisme
Enfant de la ville lui-même, Faouzi Mahfoudh, directeur général de l’Institut national du patrimoine, a succombé aux délices de ce livre, comme il le laisse apparaître dans sa préface. «Facile à lire, ce livre, écrit-il, procure du plaisir à le feuilleter. Malgré sa concision, il regorge d’informations aussi diverses que pertinentes.» Évoquant la vision globale qui avait présidé à l’aménagement de la ville dès le début du XXe siècle, d’édifier ses monuments et de dessiner les grands traits de son expansion, il s’attarde particulièrement sur le bâti, ses formes et ses ornements.
«A regarder non sans admiration, poursuit Mahfoudh, ce projet général qui a trait à l’aménagement, à l’esthétique de l’espace et à l’harmonie architecturale qui y règne, on comprend ce recours aux grands noms de l’architecture d’alors qui ont su concevoir des bâtiments d’une ineffable splendeur.Parmi ces noms, nous pouvons citer Raphaël Guy, le bâtisseur de l’Hôtel de Ville et du théâtre municipal détruit par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
Appartenant à ce groupe d’architectes, doublés d’artistes, lui et son collègue Zehrfuss ont marqué le paysage urbain de la cité de Sfax, en empruntant au lexique de l’architecture musulmane quelques-uns des éléments et motifs comme l’arc outrepassé, les merlons et créneaux, les fenêtres géminées, les torsades et festons, les austères minarets et bien d’autres motifs décoratifs qu’ils ont intégrés avec fluidité et beaucoup de goût dans des bâtiments modernes destinés à de nouvelles fonctions.». Effectivement, le chapitre consacré au tissu urbain et à la typologie urbaine livre pour la première fois les secrets d’une architecture érigée en marque emblématique de la ville de Sfax. Le faubourg sud, comme le quartier franc, ou la ville moderne constituent les joyaux des entités urbaines de Bab Bhar. Leur complémentarité avec la Médina a créé un grand tissu urbain harmonieux dans sa diversité, comme jadis dans ses habitants, avant que tout n’évolue comme à présent.
Un ouvrage de qualité, de référence agréable à lire. Yosra Achich aura eu le mérite de réunir d’excellentes plumes et un bon photographe pour élaborer ce livre. Le maire de Sfax, Mounir Elloumi, architecte de profession de surcroît, a eu une double raison de porter le projet.
La municipalité de Sfax -Vue plongeante sur l’histoire d’un centre urbain - Edition de la Municipalité de Sfax, en grand format, 300 pages, juin 2020, 80DT.