Kamel Akrout: Pourquoi une quatrième armée s’impose-elle en Tunisie?
Par Contre-Amiral (r) Kamel Akrout. Fondateur du Think Tank IPASS (#IPASSS) et ancien conseiller principal à la Sécurité Nationale auprès du Président de la République - Il y a presque déjà un an jour pour jour, que les données personnelles de 106 millions de clients de la banque américaine Capital One Financial ont été volées suite à une intrusion informatique. Capital One, est l’une des plus grandes banques des États Unis et l’un des plus importants pourvoyeurs de cartes de crédit au monde. Bien que la banque n’ait rien communiqué sur les coûts financiers ni le désarroi de ses clients et le chaos qu’a créée cette intrusion, on peut juste deviner combien l’impact a été douloureux et les conséquences désastreuses.
En effet, partout dans le monde et notamment en Tunisie, le nombre d’attaques informatiques a nettement augmenté au cours des dernières années. On recense annuellement plus de deux millions d’attaques au niveau mondial, on estime que 61% des grandes entreprises ont été cibles d’une ou de plusieurs cyber-attaques au cours de l’année 2018(1). Leur fréquence soulève des interrogations et surtout des craintes. Une cyberattaque de portée mondiale engendrerait de graves conséquences. Avec la forte digitalisation et la dépendance excessive vis-à-vis des systèmes informatiques, les scénarios les plus catastrophiques sont devenus très fréquents. Une attaque pourrait paralyser des infrastructures sensibles (centrales électriques, usines chimiques, centres de communications, systèmes d'approvisionnement en eau, électricité et gaz, etc.) ou mettre hors d’usage et causer des dégâts irréparablessur les systèmes informatiques de plus d’un secteur : administrations publiques, finance, santé, transport, industrie, commerce, énergie, etc. Aujourd’hui, il est possible de brouiller le système de communication d’un avion de ligne, d’un navire militaire, d’un avion de chasse ou d’un drone !
Vu les enjeux, plusieurs pays ont pris très au sérieux les questions liées à la cyber sécurité et sont désormais convaincus que les guerres du futur se mèneront également dans le cyber espace. Bien que les investissements dans la cyber sécurité soient en hausse, plusieurs pays ont placé aujourd'hui le sujet au cœur de leurs doctrines militaires. Ils ont regroupé leurs moyens nationaux et créé une Armée ou un commandement cyber. Un commandement destiné à centraliser les efforts et concentrer les moyens afin de sécuriser et défendre leur cyber espace. Ce nouvel outilde guerre menée dans le cyber espace sera aussi un coordonnateur des actionsdes différentes compétences nationales et internationales en la matière. Il convient de préciser que le cadre de la cyber défense dépasse la simple sécurité informatique dans la mesure où la cyber défense est une composante de la sécurité nationale, qui pourrait être à la fois passive et offensive.
De ce fait, et conscient des menaces que représente un cyber espace non protégé, le Conseil de Sécurité Nationale (CSN) tunisien a décidé dans sa réunion de juillet 2018 d’élaborer une stratégie visant à améliorer la cyber sécurité et mieux assurer la protection des infrastructures sensibles, dites critiques. Ledit projet de stratégie nationale de cyber sécurité a été adopté par le CSN et signé par le Président de la République le 23 octobre 2019. Une des commissions permanentes du CSN a été chargée de veiller sur son application, et rapporter au Conseil toute anomalie dans l’application.
Ainsi, un cyber espace s’il n’est pas bien protégé devient aussi un espace fertile pour d’autres menaces telles que l’espionnage économique, technologique et militaire, ce qui l’a désormais rendu un champ de confrontation à part entière. A cet égard notre Armée Nationale est à mon avis, la seule institution en Tunisie capable d’assurer une mission de cyber défense, de par sa mission, ses attributions et les moyens dont elle dispose. Notre Armée Nationale qui vient de célébrer son 64e anniversaire, doit vivre son siècle, passer à une vitesse supérieure et créer sa ‘’4e Armée’’. Le Ministère de la Défense Nationale pourrait commencer par créer un commandement cyber défense, un commandement opérationnel à part entière qui une fois parachevé, pourrait prendre place aux côtés des armées de terre, de la marine et de l’air, avec pour mission de sécuriser et défendre le pays et ses infrastructures de toute attaque informatique et veiller sur sa souveraineté numérique.
Cette nouvelle créationne sera pas édifiée de zéro, nous pourrons recycler ce qui existe déjà comme personnel et matériel dans l’Armée et aussi compter sur les entreprises publiques et privées ainsi que sur les start-ups opérants dans le domaine.
L’Armée n’aurait pas seulement besoin de bons spécialistes diplômés répondant aux critères classiques de recrutement, elle doit s’adapter et être plus souple dans sa sélection des spécialistes : parfois il n’est pas nécessaire d’être diplômé ou d’avoir une condition physique d’athlète pour être recruté. Dans ce contexte, des hackers chevronnés pourraient même parfois être plus utiles que des ingénieurs hautement diplômés.
Afin de retenir ces experts qui sont en majorité des jeunes, il faut leur faire bénéficier d’un environnement de travail moins contraignant que l’environnement militaire conventionnel. Ils doivent avoir à leur disposition des outils de travail à la pointe de la technologie et bénéficier d’un confort matériel assez motivant pour les retenir. Il faut aussi prévoir une ouverture vers le monde universitaire, académique, de recherche, start-ups et industriel prêts à coopérer en la matière.
Enfin, cette structure doit être assez souple dans son fonctionnement et répondre aux exigences d’un monde en perpétuel changement et développement.
Pour conclure, nous devons d’urgence activer l’élaboration d’une loi de cyber criminalité, créer des espaces nationaux de stockages de nos data et élaborer une stratégie nationale en matière d’intelligence artificielle, qui commence à être de plus en plus intégrée dans les différentes sphères de la cyber défense.
Contre-Amiral (r) Kamel Akrout
Fondateur du Think Tank IPASS (#IPASSS)
et ancien conseiller principal à la Sécurité Nationale auprès du Président de la République
(1) Atlas Magazine du 01-112019
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La dimension cyber est une dimension à part entière du domaine de la défense .Aussi ,ce qui pouvait relever hier encore de la science-fiction ,apparait dorénavant comme possibilité sérieuse et une menace tangible à prendre en considération en termes de doctrine militaire . Il est donc naturel que l'IPASS s'empare du "sujet cyber " pour en faire une éventualité stratégique . Il convient toutefois d'effectuer deux remarques à titre liminaire : - Sommes-nous suffisamment outillés pour nous engeger dans un domaine extrêmement mouvant et en perpétuelle évolution ? - Ne faut-il pas commencer par préparer l'individu (le soldat) de demain pouvant rivaliser dans le cyberespace ?