L’Édito de Taoufik Habaieb: La Tunisie en pleine pétaudière
Le ciel tunisien est gros d’orages et de tempêtes. D’El Kamour, du bassin minier et d’autres foyers en ébullition, les tensions se ravivent au fil des jours. Nourries par le désenchantement et des engagements non tenus depuis de longues années et par une aggravation du chômage, elles expriment un profond sentiment de désespoir, d’abattement et d’affliction.
Pour tout bilan de ses 100 jours à la Kasbah, Fakhfakh n’affiche qu’arrogance et désinvolture. La «clarté et le retour de la confiance» érigés en slogan d’investiture se résument en une phrase qui a choqué plus d’une personne : «Vous pouvez toujours attendre !» Du jamais entendu sous la coupole du Bardo.
Les chiffres énoncés sont accablants. La récession sera d’au moins 7%. L’endettement extérieur que Fakhfakh estime à hauteur de 60% du PIB est revu à la hausse par son ministre des Finances à 72% (et 28% pour l’endettement intérieur). Le remboursement en devises des crédits extérieurs augmentera cette année d’un milliard de dinars, passant à 8,3 MDT (contre 7,4 MDT en 2019), alors que les recettes extérieures sont nettement à la baisse (tourisme, exportations et transferts des Tunisiens à l’étranger). Quant au Fonds tunisien d’investissement, institué par le nouveau Code de 2016, il n’a toujours pas été créé…
Une redoutable perspective de subprimes est à craindre. Les banques voient la situation de leurs finances aggravée. Ne doivent-elles pas restituer à la Banque centrale pas moins de 10 milliards de dinars obtenus en refinancement et craindre le rééchelonnement annoncé de la dette intérieure portant sur 900 millions de dinars, en échéance des BTA.
Le front social est de tous les champs minés celui qui menace le plus de s’embraser. Fakhfakh signale plus de 130.000 licenciements (en plus des 650.000 chômeurs déclarés). Il reconnaît que 4 millions de Tunisiens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour tout ‘’plan de sauvetage’’, il égrène un chapelet à fil ouvert de mesurettes en «résistance et de consolidation», avouant que la relance n’est pas pour aujourd’hui.
Quelle absurde pétaudière prévaut en Tunisie ! Là où manquent l’ordre et l’organisation ne peuvent régner que confusion et chaos.
Faillite annoncée d’un système politique que déplore, à raison, le président Kaïs Saïed. Le morcellement du pouvoir exécutif, par la Constitution, a montré ses lourdes conséquences. La dyarchie, «douceur conflictuelle», instituée au sommet entre un président de la République (cette fois très largement) élu au suffrage universel et un chef de gouvernement choisi à sa bonne fortune et sanctionné par les urnes, installe la Tunisie dans une monarchie républicaine incapable de fonctionner.
Au Bardo, nombre d’élus n’offrent qu’une piètre image. Au lieu de débattre, ils ne font que se battre. Le populisme en surenchères ubuesques. Quant aux partis, ils sont fragilisés par leurs querelles internes. Le bras de fer entre le chef d’Ennahdha, président de l’ARP, et le chef de l’État est déballé en public. Depuis Paris…
La solution réside-t-elle dans le départ de Fakhfakh de la Kasbah ? Malmené par les députés pour sa « faute » de conflit d’intérêts personnels, mis en difficulté pour son bilan rachitique, il aura beaucoup de mal à conserver son autorité et garder son poste. Dissoudre l’ARP et déloger Ghannouchi du perchoir ? L’idée gagne du terrain, séduisant de plus en plus de Tunisiens, désenchantés. Réviser la Constitution ? Au moins une réponse claire est déclarée: Kaïs Saïed s’y engage.
Le front intérieur, déjà tourmenté, appréhende fort ce qui se passe en Libye. Une puissance occupante étrangère, la Turquie, a installé, en renfort à Fayez Al Sarraj, ses troupes à 20 km de nos frontières, sur la base d’al-Watya. Pour ne plus la quitter de sitôt. A l’Est, la Russie a sanctuarisé l’armée de Haftar et ses combattants (Wagner), à Djoufra, dans la Cyrénaïque. L’Égypte a mis ses troupes, ses blindés et ses avions en ordre de marche, prêts à intervenir «si l’axe Djoufra-Syrte est franchi». Non loin de nos têtes, s’affrontent des drones armés turcs (Bayraktar TB2 et Anka-S), appuyés par des systèmes électroniques de brouillage et de neutralisation de radars et de fréquences (Koral et Milkar-3A2), et des chasseurs russes (MiG-29 et Soukhoi-24).
De longs mois, au moins, très difficiles attendent encore la Tunisie. Le ciel azur et la mer limpide, en cet été splendide, ne sauraient inciter les Tunisiens ni à la sieste ni à l’insouciance.
Taoufik Habaieb
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cher T.H. , développez plus avant votre analyse d'une probable crise "subprime" en Tunisie ; au lieu de dynamiser la Bourse et les banques _ moteurs financiers_ de l'économie, on les écrase sous de nouvelles contraintes, charges et ponctions ! ainsi faisant, l'on aura tué la poule après lui avoir subtilisé tous ses œufs !!
Excellente analyse de la situation actuelle de notre pays si Taoufik , espérons qu'il n'y ai pas de recrudescence du covid 19 dans les prochains mois , ce qui aggraverait encore la situation .