Le cactus : Une plante pleine de qualités et d’ opportunités socio-économiques
Par Ridha Bergaoui. Professeur Institut National Agronomique de Tunisie à la retraite - Le cactus est originaire de l’Amérique Centrale. Découvert par les Espagnols, il fut ramené en Europe dans les années 1500. Il nous est parvenu par l’intermédiaire des andalous à la fin du XVIe siècle. Le cactus est une plante pérenne, peu exigeante et rustique. Il permet de valoriser les sols dégradés, les terres marginales et accidentées ou en pente impropres pour les cultures et les eaux salées. Il a été utilisé initialement pour la confection de haies et de clôtures autour des propriétés privées. Ses fruits sont très appréciés par le consommateur et ses raquettes sont exploitées comme fourrage pour les animaux. De nos jours, le cactus offre de nombreuses possibilités d’utilisation. Il est utilisé dans l’alimentation humaine, l’alimentation animale, comme produit de soins et de beauté, pour soigner certains maux et maladies et pour de multiples divers usages industriels.
Le cactus et ses dérivés
Dans le cactus, tout peut être valorisé. La fleur séchée peut être utilisée comme remède pour de nombreux maux (problèmes de reins, de la prostate, douleurs gastro-intestinales, coup de soleil…). Le cactus peut être considéré comme plante mellifère, les fleurs butinées par les abeilles donnent un miel d’excellente qualité.
Le fruit est consommé frais, il peut être utilisé pour en faire un jus, du sirop, de la confiture, ou pour fabriquer des boissons alcoolisées, du vinaigre et des liqueurs. L’huile essentielle des graines de fruits est le produit phare des dérivés du cactus. Très riche en antioxydants, elle est utilisée comme produit cosmétique antirides et anti-âge. L’huile des graines de cactus est parmi les huiles essentielles les plus chères sur le marché.
Les jeunes raquettes sont l’équivalent de légumes frais et rafraichissants. C’est un produit très prisé surtout au Mexique et en Sicile où il fait partie intégrante de la cuisine traditionnelle. L’utilisation des raquettes comme fourrage pour l’alimentation des animaux est connue et très courante surtout en période de sécheresse. Le mucilage des raquettes peut être utilisé dans la fabrication de shampoings, assouplissants, crèmes dermiques et laits hydratants. La poudre obtenue après séchage des raquettes est très riche eh fibres. Elle a de nombreuses qualités anti-glycémique, amincissantes… Les raquettes sont utilisées pour l’élevage des cochenilles et la production du colorant naturel rouge carmin très demandé de nos jours.
Au Mexique des chercheurs essayent de trouver de nouvelles utilisations du cactus. C’est ainsi qu’ils ont mis au point des procédés d’élaboration de matières plastiques biodégradables qui peuvent remplacer le plastique très polluant issus du pétrole. Le traitement des raquettes de cactus permet de fabriquer un faux cuir « vegan », tout à fait semblable au cuir issus des animaux, à utiliser dans la maroquinerie et l’ameublement. Enfin les résidus et déchets du cactus permettent d’obtenir, par fermentation anaérobie, du méthane capable d’être utilisé, comme énergie alternative propre, pour l’éclairage ou comme combustible pour remplacer en partie le pétrole.
Le cactus en Tunisie
Les chiffres concernant la superficie cultivée en cactus sont rares et contradictoires. Certains estiment à 600 000 ha la surface occupée par le cactus. D’autres plutôt 400 000 ha. Les données du Ministère de l’Agriculture font état en 2006 de 95 000 ha seulement (ONAGRI, enquête des structures des exploitations agricoles 2004-2005). Cette culture est essentiellement localisée au centre (55% des superficies) et au sud (25%). Les gouvernorats les plus importants sont par ordre décroissants : Kasserine, Gafsa, Siliana, Sidi Bouzid, Kairouen. Le gouvernorat de Kasserine à elle seule fait 100 000 ha dont 30 000 à Zelfene.
Le cactus a été utilisé à grande échelle, au début de l’indépendance, pour fixer les sols et lutter contre l’érosion. Il a été utilisé dans les terrains en pente dans les courbes de niveau pour retenir les eaux de ruissellement et fixer le sol. La variété inerme (sans épines) a été introduite par l’Office de l’Elevage et des Pâturages (OEP) et longtemps cultivée comme réserve fourragère pour l’alimentation du cheptel. Des travaux de recherche ont permis de déterminer la valeur alimentaire du cactus et les modes de son utilisation dans les rations des différentes espèces animales.
De nouvelles cultures sont faites en vue de l’exportation des fruits, très demandés à l’étranger comme fruits exotiques. De jeunes promoteurs se sont installés surtout dans la région de Kasserine pour l’extraction de l’huile de graines de la figue de Barbarie biologique très appréciée pour ses qualités cosmétiques, très demandée sur le marché mondial.
Le cactus est produit essentiellement d’une façon extensive sans intrants chimiques ni pesticides. Il répond aux conditions de production du mode biologique. La certification biologique, de plus en plus recherchée par le consommateur, ajoute une plus value au cactus et ses dérivés. La production de cactus biologique en Tunisie serait d’environ 23 000Tonnes/an.
L’Association Nationale pour le Développement du Cactus (ANADEC) a été créée en 2017. Elle œuvre pour le développement et la promotion de la filière cactus en Tunisie et regroupe des industriels, des sociétés de services et des Groupement de Développement. Elle participe aux différents salons pour faire connaitre les produits à usage cosmétiques et nutritionnel des produits dérivés du cactus. L’association a organisé le premier festival annuel du cactus tenu en Aout 2019 à Kasserine. Soutenue par la Direction Générale de l’Agriculture Biologique (DGAB, Ministère de l’Agriculture), l’ANADEC regroupe de nombreux intervenants dans le domaine de la production du cactus biologique et ses dérivés (24 entreprises, dont de nombreuses start-up) qui exportent vers une vingtaine de pays. La Tunisie compte environ 6000 ha de cactus certifiés biologique, 800 agriculteurs et une dizaine de startups.
Rendements et productions
Le cactus est une plante rustique, résistante et peu exigeante. En conduite traditionnelle, elle nécessite très peu d’entretien et de soin. La productivité est cependant faible et le rendement en frais est d’environ 3 tonnes de fruits/an et ne dépasse guère 5 tonnes à l’hectare. Une culture intensive avec un complément d’irrigation et de fumure azotée ou fumier peut donner jusqu’à 50 tonnes de fruit/ha. La production de raquettes est d’environ l’équivalent de la production en fruits.
Les plantations sont exploitables après 3-4 ans et matures après 7-10 ans. Si elles sont gérées rationnellement, elles peuvent rester productives pendant plus de 50 ans.
Le rendement lors de l’extraction d’huile des graines de cactus est très faible. La production d’un litre d’huile nécessite environ 25 à 30 kg de graines sèches soit 800 à 1000 kg de figues de Barbarie. L’huile des graines de cactus est parmi les huiles essentielles les plus chères sur le marché soit plus de 1000 euro le litre.
En estimant à seulement 500 000 ha la superficie cultivée en cactus et moyennant la production potentielle minimale de 1 tonne de fruits et 1 tonne de raquettes/an, la production annuelle serait de 500 000 tonnes de fruits et 500 000 tonnes de raquettes/an. En supposant une consommation moyenne d’une dizaine de fruits par habitant/an, la consommation totale serait d’à peine 10 000 tonnes, soit seulement 20% du potentiel national. La même chose environ pour les raquettes destinées à la consommation animale. La plus grande partie de la production serait donc inexploitée et gaspillée. Au Maroc on estime à 56% la quantité de cactus commercialisée, 4% autoconsommée et 40% laissée sur les raquettes et donc perdue.
Pour la valorisation de cette abondante production, surtout en année pluvieuse, la transformation (industrielle ou artisanale) des fruits est indispensable. L’exploitation et la valorisation de la production reste faible et insuffisante. La Tunisie ne dispose que d’une dizaine d’ateliers de fabrication et de production des dérivés du cactus dont les plus importants sont l’huile des graines et le vinaigre de cactus.
Difficultés du secteur
La production du cactus s’étale sur les trois mois de l’été. L’éparpillement de la production chez une multitude de petits producteurs, l’éloignement des centres de consommations représentés par les grandes villes, rendent la commercialisation des fruits du cactus difficile nécessitant l’intervention de nombreux intermédiaires et entraine l’abandon d’une partie importante de la récolte sur pied. Ce ci représente un gaspillage important et pour l’agriculteur un manque à gagner. Par ailleurs cette production intervient durant les mois chauds de l’année ce qui accélère la détérioration de la qualité du fruit. Enfin le cactus est exposé à la concurrence par l’arrivée d’autres fruits d’été comme les raisins, pastèque et melon.
Il est possible d’étaler la production des fruits en procédant à l’élimination d’une partie de la floraison du mois d’avril. La floraison se fera à contre saison avec une production s’étalant jusqu’au mois de décembre. Les figues de barbarie se conservent mal. Il est néanmoins possible de conserver les fruits de cactus de 30 à 45 jours dans des chambres froides dans certaines conditions de température et d’humidité. La conservation au froid permet de reporter une partie de la récolte pour la commercialiser au mois d’octobre où les prix sont plus intéressants.
Quoique le cactus est une plante rustique et connait peu d’ennemis, il est très important d’être vigilent sur le plan sanitaire. En effet, une pathologie apparue récemment au Maroc a décimé les cultures de cactus. Il s’agit de la cochenille du cactus qui parasite la plante et finit par l’affaiblir et la dessécher complètement. Cette espèce de cochenille parasite ne présente aucun intérêt pour la production de colorant. Dans l’immédiat, il n’y a aucun moyen de lutte, il faut arracher et bruler les plantes attaquées pour limiter la dissémination de cette pathologie. La sélection de variétés résistantes est faisable mais représente une solution à moyen terme.
Quoiqu’il soit bien adapté au climat aride, le cactus craint toutefois les fortes chaleurs. A partir de 30°C, sa croissance se ralentit d’une façon significative.
Perspectives
En Tunisie, malgré les superficies importantes cultivées, le cactus est encore mal exploité et mal valorisé. Le cactus dispose d’un potentiel très important et représente une richesse peu exploitée. Seule une partie de la production est utilisée dans uniquement quelques produits (comme fruit, extraction d’huile des graines et quelques produits diététiques).
Au Mexique on consomme les fruits mais surtout les jeunes raquettes. Celles ci sont consommées en frais comme salade ou cuits selon les divers types de cuissons (frit, grillé, bouillie, à la vapeur…). Elles peuvent être conservées soit après séchage, ou en saumure. La consommation moyenne au Mexique de ces raquettes (appelées Napolitos) est estimée en 2013 à 6,4 kg/personne/an. En Sicile les peaux des fruits sont également consommées en frais ou conservés après séchage. Le jus des raquettes de cactus est également très apprécié pour ses qualités gustatives et ses propriétés médicinales. Il permet de lutter contre de nombreuses affections (diabète, artériosclérose, certaines maladies dégénératives…). La valorisation des raquettes dans l’alimentation humaine et les soins permettrait de mieux rentabiliser cette culture.
Une grande diversité génétique existe au sein des différentes variétés de cactus dont les caractéristiques des fruits (taille, poids, importance chair et peau, importance des graines, caractéristiques organoleptiques…). La couleur de la peau et de la chair se répartit à maturité entre le jaune, l’orangé et le rouge. Des variétés avec des raquettes sans épines existent, ce sont des variétés dites inermes et qui sont très pratiques à l’emploi.
La création d’une unité de recherche sur le cactus permettrait de sélectionner des variétés plus productives, adaptées selon les conditions climatiques et les types de sol et spécialisées dans les différents types de production (fruits frais, extraction d’huile des graines, raquettes consommables…). La recherche pour l’élaboration de produits innovants permettrait de donner plus de la valeur ajoutée et une meilleure valorisation de cette culture. L’élaboration de matières plastiques biodégradables à partir du cactus est très prometteuse et permettrait de se passer des matières plastiques traditionnelles très polluantes. La recherche pour la valorisation des déchets en biogaz et biodiésel permettrait de réduire la consommation d’énergie fossile.
La culture du cactus nécessite peu d’intrants et de soins, elle est adaptée à la petite exploitation à très faible budget. Les travaux d’entretien et de cueillette sont généralement confiés à la femme. La rationalisation de la culture et de la valorisation du cactus et ses dérivés permettraient un complément de revenus, la création de l’emploi et une meilleure valorisation de la main d’œuvre féminine. L’encadrement de ces petits exploitants et leur organisation en coopératives, sociétés mutuelles ou associations qui disposent de plus de moyens, permettrait de créer une dynamique régionale, de l’emploi et de réduire l’exode rural. Ce ci va entrainer une amélioration des conditions de vie de la femme rurale.
Aider à la certification biologique ou label, comme Appellation d’origine contrôlée (AOC) ou Indication Géographique Protégée (IGP), permet également d’améliorer la rentabilité de la culture du cactus.
Un effort doit être fait pour améliorer les conditions de commercialisation de la figue de barbarie et éviter la vente en vrac et en tas. Une meilleure présentation et un packaging moderne permettrait d’attirer plus de consommateurs, de lui assurer la bonne qualité et de promouvoir les ventes.
L’Etat et les organismes professionnels doivent œuvrer pour l’instauration d’une filière dynamique, moderne et efficace. Cette filière qui doit grouper les différents maillons allant du producteur à l’utilisateur en passant par le transformateur, pourra aider à surmonter les différents problèmes d’approvisionnement et de commercialisation.
Avec le réchauffement climatique et l’avancée de l’aridité, le cactus est une plante précieuse qui pourra remplacer d’autres cultures moins adaptées à la sécheresse et plus exigeantes en eau.
Autrefois marginalisée, le cactus est depuis quelque temps à la mode. Jadis considéré comme plante des pauvres, il vient de recevoir ses lettres de noblesse et on le qualifie ces dernières années « d’or vert ». C’est une plante très prometteuse. La Tunisie est parmi les pays les plus importants en matière de culture et de production du cactus. Malheureusement cette culture est actuellement très mal exploitée. Pourtant un marché intérieur et mondial existe que ce soit pour les fruits considérés comme exotiques ou les huiles des graines et autres dérivés à usage cosmétique et médicinal. L’organisation, l’encadrement de ce secteur permettraient de créer de l’emploi, de la richesse et le développement des régions pauvres et déshéritées.
Ridha Bergaoui
Professeur Institut National Agronomique de Tunisie à la retraite
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