Boujemaa Remili: Besoin urgentissime de leadership ! Certes, mais de quel genre ?
Par Boujemaa Remili - Certains amis ont dernièrement lancé une énième initiative pour que tout le monde, partis, syndicats, entrepreneurs, société civile, gouvernement, parlement, présidence, se retrouve autour d’une même table, et se mettre d’accord autour d’une solution commune, qui sera appliquée pour résoudre les problèmes de la Tunisie. Une proposition de rêve. Mais qui ne correspond ni à l’expérience : les mêmes tentatives ont abouti à des échecs retentissants dans un passé trop récent, ni à la réalité : celle d’une situation politique qui n’a jamais été autant éclatée. Donc la solution n’est pas dans la juxtaposition de tous les antagonismes et contradictions du monde. Elle se trouve dans l’engagement d’une dynamique d’un entrainement suffisamment fort qui, sous l’effet de sa poussée, non seulement cela peut sortir le pays de son embourbement, mais également force les différents protagonistes soit à s’inscrire dans le mouvement soit à s’en écarter sans qu’ils aient dans la capacité de le dévier de ses objectifs ou de l’arrêter.
Le secret de la dynamique à engager n’est pas dans la démarcation par rapport à tel acteur ou tel autre. Parce que paradoxalement ce genre de démarcation, en se présentant comme étant l’antinomique du « mal », n’a de définition et donc d’« existence » que par ce qu’elle présente comme étant son « antinomique ».
Une dynamique qui se veut productive, de leadership, ne peut se définir que dotée de son propre moteur, qui lui est endogène, et non pas comme étant un anti-mouvement, qui devient dans ce cas actionné par un moteur se situant par définition dans l’exogénéité.
Le leadership dont a besoin la Tunisie, qui ne peut se présenter que sous la forme d’un projet, y compris comme un projet de choix d’hommes et de femmes, est un leadership positif, qui n’en réfère qu’à lui-même. Il est doté de ses propres valeurs et de cohérence interne. Il est alors explicitement : le projet de l’édification nationale, de la cohésion sociale et de la gouvernance démocratique.
Ainsi, lorsque le projet est suffisamment cerné et formalisé, il provoque par lui-même la mise à l’écart de tout ce qui ne s’y retrouve pas. Que peut alors être ce projet, après que les masques de la démarcation théâtrale par révolutionnarisme ou par anticorruptionnisme soient tombés ?
Cela se situe au niveau de ses trois piliers fondamentaux, qui constituent le support pour l’ensemble de son édifice. Pour l’édification nationale le projet s’engage à continuer l’œuvre du réformisme historique tunisien en général et tel qu’il s’est particulièrement concrétisé par le bourguibisme et son œuvre modernisatrice et libératrice. De par cette première orientation fondamentale et refondatrice, ceux qui la combattent se situent par eux-mêmes en dehors de la tunisianité des Tunisiens.
Le deuxième pilier de la cohésion sociale est déterminant pour prendre le contrepied de l’intégrisme ultralibéral et monétariste, de l’attaque en règle contre l’Etat et les acquis sociaux, de l’abandon des services publics dans la santé, l’éducation, la formation et la recherche, de l’adoption d’un modèle de développement basé quasi-uniquement sur la compétitivité par les bas salaires, de l’option de laisser la moitié du territoire et de la population végéter parce que condamnés par la géographie et de l’insuffisance ou l’absence de vigilance par rapport à la finitude des ressources et l’équilibre des écosystèmes.
Le troisième pilier des libertés, des droits de l’homme, de la démocratie et la bonne gouvernance est ce qui permet de se retrouver dans un cadre républicain de respect des institutions, d’une justice autonome intègre et efficacement rendue, de réduction institutionnalisée et organisée de la corruption, de gestion civilisée des conflits et d’alternance pacifique au pouvoir.
Une fois cette offre sociétale, socioéconomique et institutionnelle formalisée et enrichie, il faut lui trouver le support politique partisan de portage, en prenant en compte l’extraordinaire fissuration politique suite à la déflagration et d’avant et d’après élections 2019. Dans ce cas également c’est le projet lui-même, de la construction du leadership, qui devient aussi le politiquement fédérateur. Il ne s’agit pas dans ce cas, tel que cela aurait l’air de se passer, de commencer par se mettre ensemble et ensuite se trouver un projet, mais d’abord de mettre en place le projet qui permet d’être ensemble.
Trop de déceptions, parce que trop de malfaçons, caractérise actuellement le politique. L’une des tares fondamentales de l’expérience a été le fait que les gens ont souvent adhéré à une mécanique et non pas à une idée, ce qui fait que l’idée n’a pas survécu à la casse de la mécanique. Plus que jamais se pose en Tunisie la question des partis. Et nous n’avons pas encore échappé aux mêmes causes qui ont les mêmes effets dévastateurs. Il y a toujours les mêmes virtuoses du bricolage qui peuvent vous monter n’importe quelle quincaillerie en un temps record, dès que la question « matérielle » est réglée, pour se retrouver très rapidement dans le rafistolage d’engins brinquebalants, qui vont se mettre trop rapidement à cracher de l’huile cramée et de la fumée noire de partout.
Un bon projet devrait créer sa propre demande, qui va se manifester d’elle-même.
A ceux qui se posent la question s’ils sont les leaders dont le pays a besoin, il y a un test très simple, mais redoutablement efficace, si l’on ne vient pas vers vous alors que vous n’avez rien demandé, c’est que vous n’y êtes pas du tout !
Boujemaa Remili