News - 12.06.2020

Israël-Palestine : Quand la justice exprime quelques vérités

Israël-Palestine : Quand la justice exprime quelques vérités

«Je vais vous dire un grand secret… N’attendez pas le Jugement dernier. Il a lieu tous les jours.»
Albert Camus (La Chute)

Par Mohamed Larbi Bouguerra - L’un a été assassiné à Minneapolis le lundi 25 mai parce qu’il était afro-américain; l’autre a été tué à Jérusalem le samedi 30 mai parce qu’il était Palestinien. George Floyd a été asphyxié, victime d’une brute qui l’a écrasé de tout son poids pendant 8 minutes 46 secondes. Eyad Hallaq a été exécuté de sang-froid, au fusil automatique, en un éclair de temps, par un assassin comme l’armée israélienne en compte tant.  Il n’a pas eu le temps de parler ou de crier. Eyad est autiste, son accompagnatrice Warda a crié «Ne tirez pas» mais le soldat sioniste «ne voulait pas entendre» dit-elle. Un soldat israélien ne laisse jamais passer l’occasion de faire un carton sur un Palestinien…. même quand il n’est armé que d’un banal téléphone- comme on le lui a toujours recommandé. Du jardin d’enfants à la formation militaire, un seul mot d’ordre : Sus aux Palestiniens !

Déshumanisation : George Floyd a été tué en pleine rue. Eyad Hallaq a été criblé de balles dans un local à poubelles sans toit.

Dix mille km séparent Minneapolis de Jérusalem mais la haine et le racisme franchissent cette distance à la vitesse de l’éclair d’autant plus que les deux meurtriers ont été formatés (décérébrés ?) par le même moule : les instructeurs israéliens passés maîtres en maintien de l’ordre - s’étant si bien fait la main sur les Palestiniens-   ont dispensé leur savoir-faire au Minnesota !

Des millions de personnes ont réclamé justice pour George Floyd.

Mais peut-on se contenter des mots de Benny Ganz, le ministre de la Défense israélien qui parle, dans le cas d’Eyad Hallaq,  d’«incident» ou de ceux de Netanyahou qui parle de «tragédie» et présente des condoléances aux parents d’Eyad?

Une pétition à adresser à la Justice Internationale est en cours de signature pour qu’une enquête soit ouverte pour instruire ces crimes et demander des comptes à Israël et aux individus qui ont perpétrés ces crimes. (The Palestine Institute for Public Diplomacy)

Ce vendredi 12 juin 2020, on apprend que le président Donald Trump a signé un ordre exécutif pour «punir» les membres de la Cour Pénale Internationale de la Haye qui enquête sur des crimes de guerre américains en Afghanistan.  Ce qui déclenche immédiatement les applaudissements enthousiastes de Netanyahou. Les Etats Unis sont-ils intouchables comme leur petit caniche israélien? Sont-ils au-dessus du droit international ? La force prime-t-elle le droit?
Rendra-t-on jamais justice à George Floyd et à Eyad Hallaq, victimes de «l’impunité »?  

Justice pour le BDS en France

La France se distingue dans le monde en interdisant l’appel au boycott des produits israéliens.  Des militants propalestiniens de Mulhouse ont appelé à ce boycott en 2009-2010 en manifestant sans violence dans un supermarché alsacien. Relaxés par le tribunal correctionnel mais condamnés en appel, leur pourvoi rejeté par la Cour de Cassation, ils se sont adressés à la Cour Européenne des Droits de l’homme (CEDH) en 2016. A l’unanimité de ses juges, la CEDH affirme, jeudi 11 juin 2020, que le boycott est un droit citoyen quand il est motivée par la critique d'un État et de sa politique, elle attribue 7000 € à chacun des 11 plaignants et condamne l’Etat français aux dépens. Ainsi, il est reconnu que l’appel au boycott pour des raisons de critique de la politique d’un État est un droit citoyen pour tout Européen en vertu de l’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme… et que cela s’applique aussi à la critique de la politique de l’État d’Israël, champion du viol du droit international et des droits de l'homme.

La France doit maintenant annuler les infâmes circulaires «Alliot-Marie» et «Mercier» qui permettent ce type de poursuites, le harcèlement policier, les poursuites pénales du parquet… Le gouvernement doit aussi cesser de menacer de poursuites pour antisémitisme les militant(e)s qui critiquent la politique israélienne en menant la campagne «Boycott-Désinvestissement-Sanction» (BDS).  Le boycott des produits israéliens est nécessaire pour faire pression sur Israël et son économie, tant qu’Israël viole le droit international en toute impunité. Souvenons-nous : c’est avec un tel boycott que l’Afrique du Sud de l’apartheid a été terrassée.

Le jugement de la CEDH apporte un démenti cinglant aux organisations comme le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) et aux porte-paroles de Netanyahou comme l’inénarrable député Meyer Habib qui se font les relais en France de la politique israélienne en attaquant la liberté d’expression et le droit à l’action citoyenne.  Démenti cinglant aussi à tous ceux qui prétendaient que l’appel au boycott d'Israël était interdit en France ou relève de l’antisémitisme.

À l’heure où Netanyahou et sa clique se préparent, avec le projet d’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie, à franchir un nouveau pas dans la violation du Droit, l’action des citoyens porte aussi une exigence vis-à-vis des autorités françaises pour qu’elles s’engagent enfin dans la voie des sanctions contre l’Etat voyou d’Israël.

Un accès de lucidité a la cour suprême israélienne?

A la Haute Cour de justice israélienne, on peut appliquer le proverbe arabe qui dit : «Un jour, c’est halal, le jour suivant c’est péché.»

Cette juridiction, qui a fort à faire avec les multiples affaires de corruption, de fraude et d’abus de confiance  du Premier Ministre Netanyahou a ordonné, mardi 9 juin 2020, d'annuler une loi qui légaliserait le statut des colonies partiellement construites sur des terres palestiniennes privées car elle est "inconstitutionnelle".

En fait, la "loi pour la régularisation des colonies en Judée et Samarie" (les sionistes nomment ainsi la Cisjordanie) a été approuvée en février 2017. Elle visait à permettre l'utilisation de terres palestiniennes privées pour construire des colonies israéliennes et à légaliser les avant-postes et les structures illégales érigées sur ces terres appartenant à des Palestiniens suivant le principe « Ote-toi de là que je m’y mette » !

Dans sa décision, la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a déclaré que la loi "vise à légaliser rétroactivement les actes illégaux perpétrés par une population spécifique de la région tout en portant atteinte aux droits d'une autre". (Haaretz ? 9 juin 2020)

Qu’en termes galants ces choses-là sont dites!

Esther Hayut a déclaré que la loi "ne répond pas aux normes constitutionnelles du droit israélien". Elle a ajouté que "le désir de trouver une solution simple et globale au problème de la construction dans les localités israéliennes de la région, ne justifie pas la violation du droit à la propriété et du droit à l'égalité et à la dignité des Palestiniens, et "crée une discrimination entre les résidents israéliens et palestiniens concernant la réglementation des constructions illégales dans la région".

La présidente Esther Hayut a poursuivi : "dans la pratique, cette construction a été en partie réalisée avec l'aide et le soutien des institutions de l'Etat et d'autres autorités"….Les colons sont en effet protégés par l’armée israélienne quand ils attaquent villages,  voitures et biens palestiniennes.

Le juge Noam Sohlberg, seul juge sur les neuf juges de la Cour qui a voté contre l'abrogation de la loi, déclare de son côté que l'encouragement et le soutien des autorités gouvernementales à la construction illégale dans la région, pendant des années, "n'est pas pour la gloire de l'État d'Israël».

Mais certains ne sont pas satisfaits par ces timides remontrances.

Les services du Premier ministre Benjamin Netanyahu ont déclaré que "l'application de la souveraineté – c-à-d l’annexion de la Cisjordanie- résoudra la plupart des problèmes de régularisation."

Ils disent en somme à la Cour d’aller se rhabiller.

Même son de cloche chez le porte-parole de la Knesset, Yariv Levin, qui a déclaré que la Haute Cour "a une fois de plus aujourd'hui piétiné, comme le veut sa tradition inacceptable, la démocratie israélienne et les droits fondamentaux de nombreux citoyens israéliens… La Knesset ne se taira plus face à l'atteinte permanente à sa légitimité et à sa réputation". Le ministre de la santé, Yuli Edelstein, membre du Likoud, a élégamment déclaré que "la Haute Cour a perdu la tête. Elle se fait à la fois législative, exécutive et judiciaire. Il faut y mettre un terme".

Me Michael Sfard**, l’avocat qui a représenté les plaignants Peace Now, Yesh Din et l'Association pour les droits civils, a posément répondu :  "C'est une honte qu'il ait fallu huit juges pour expliquer à la Knesset que voler des terres pour les donner aux voleurs est une erreur. Le verdict est très important, mais il représente une justice fondamentale et cela devrait être pris en compte de nos jours lors de la planification de l'annexion, qui aboutira inévitablement à la dépossession massive des terres appartenant aux Palestiniens".

Mohamed Larbi Bouguerra

** Me Sfard a récemment publié un livre captivant et émouvant «Le mur et la porte. Israël, Palestine, 50 ans de bataille judiciaire pour les droits de l’homme», Zulma Essais, Paris, février 2020.
«Grâce à l’acharnement de l’avocat israélien Michael Sfard, des paysans palestiniens ont pu retrouver leurs terres, accaparés par les colons. Mais le combat pour les droits de l’homme devient difficile…» (Télérama, 29 janvier 2020, p. 30-32)



 

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