Habib Touhami: L’Indépendance niée
Selon des sources « indignes » de foi, la Tunisie serait encore sous protectorat français, gouvernée directement par l’ambassadeur de France à Tunis. Rien n’est évidemment étayé dans ces allégations, mais comme on dit, « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». Pour être franc, je n’arrive pas à voir en l’ambassadeur en question une résurgence exubérante ou chamarrée d’un Marcel Peyrouton (Résident général entre juillet 1933 et mars 1936) ou d’un Paul Cambon, premier Résident général de France en Tunisie (février 1882-octobre 1886). Je n’arrive pas non plus à voir en les ministres tunisiens, de quelque bord qu’ils soient, des serviteurs dociles de la France, fussent-ils des binationaux patentés. Bref et à croire ces mêmes sources, notre Indépendance ne serait qu’une usurpation, une vue de l’esprit, que dis-je une chimère.
En politique, le mensonge est monnaie courante, mais pas à ce point. Nier l’Indépendance dépasse en conséquences, et de très loin, tous les mensonges que l’on a débités jusqu’ici sur l’emploi ou les causes de la baisse de la natalité par exemple. Au demeurant, ces mensonges n’ont pas touché, du moins directement, à notre histoire et à notre mémoire collective, bien le plus précieux mais bien le plus fragile en définitive. En écoutant ces sources nier farouchement l’indépendance du pays, je me suis posé la question de savoir si elles savent ce qu’est le colonialisme, l’indigénat, un territoire militaire, la brutalité de la soldatesque coloniale, le camp des « Joyeux » à Fom Tataouine, la répression aveugle allant jusqu’à faire fusiller des Tunisiens pour n’importe quel motif, le chien du capitaine que son maître encourageait à pourchasser les enfants sur le chemin de l’école, l’embastillement pour un simple oubli de saluer militairement le gradé qui passe, l’obligation faite aux écoliers de regarder en rangs serrés un film à la gloire de notre « sainte mère » Jeanne d’Arc.
Nier l’Indépendance, c’est oublier des pans entiers de notre histoire, « Sakiet Sidi Youssef », les batailles de Remada et de Bizerte, les Ultras d’Alger qui se promettaient « d’aller coucher dans le lit de Bourguiba », la haine des coloniaux et de la droite française, la décision de nos frères algériens d’installer leur Gpra (Gouvernement provisoire de la République algérienne) à Tunis et non pas au Caire. Comment le FLN aurait-il pu choisir Tunis à la place du Caire ou de Rabat s’il soupçonnait la moindre collusion entre la France et la Tunisie indépendante et s’il craignait la trahison des dirigeants tunisiens de l’époque, Bourguiba en tête? Même l’état-major de l’ALN, hostile à Bourguiba pourtant, ne s’y est pas risqué. Comment croire que tous, à l’intérieur comme à l’extérieur, ont manqué de discernement à ce sujet sauf nos valeureux négationnistes ?
En vérité, dans la négation de notre Indépendance se mêlent la bêtise brute, la propagande d’égouts, l’inculture générale et politique, l’ignorance effarante des faits, l’incapacité de saisir la complexité de l’environnement régional et international, et surtout la haine viscérale d’Habib Bourguiba. Pour les négationnistes, il est impératif de nier l’Indépendance de notre pays pour faire passer Habib Bourguiba pour un usurpateur ou, pire, pour un traître à la solde de la France. Or Habib Bourguiba ne pouvait pas l’être. Un narcissique de son calibre ne courbe pas l’échine devant qui que ce soit. C’est la loi du genre. Alors de grâce, messieurs les négationnistes, passez votre chemin et laissez les historiens travailler à leur guise. Le bilan politique d’Habib Bourguiba et des néo-destouriens reste à faire, oui, mais pas par vous.
Habib Touhami