Ouajdi Souilem: Modèles animaux et recherche préclinique de la maladie Covid-19
La maladie Covid-19, due à un coronavirus (SARS-Cov2), est une pandémie qui est apparue vers la fin du mois de décembre 2019 dans la ville de Wuhan en Chine, et qui a atteint les pays des cinq continents en quelques mois provoquant une crise sanitaire mondiale.
Nous avons jugé utile à travers cet article de présenter les modèles animaux qui peuvent être utilisés pour mieux cerner la physiopathologie de la maladie et d’optimiser les stratégies thérapeutiques chez l’homme.
Nous profiterons par la même occasion de faire un clin d’œil sur la situation de la recherche animale en Tunisie et de proposer des recommandations pratiques afin qu’elle puisse subvenir aux exigences scientifique et éthique de la recherche aussi bien en temps normal qu’en temps de crise.
Un bref retour sur la recherche préclinique sur animaux
Les essais précliniques sur animaux exigent des investigations poussées dans des conditions de laboratoire strictes et sont essentielles pour mieux cerner les mécanismes physiopathologiques et/ou de proposer de nouvelles méthodes diagnostiques ou thérapeutiques d’une maladie chez l’homme. Dans les maladies infectieuses, cas de la Covid-19 maladie causée par un coronavirus, les essais sur animaux ont l’avantage de suivre la capacité de la réplication du virus, l’agressivité tissulaire et la cinétique de la réponse. Le rôle de l’environnement cellulaire peut être aussi analysé sans contraintes majeures.
Les essais sur les animaux présentent l’avantage d’explorer des phénomènes qui ne peuvent pas être cernés facilement et à temps par la recherche clinique sur l’homme. De plus, le développement de certaines thérapeutiques et la formulation d’un vaccin passent obligatoirement par les essais sur les primates non humains (type macaque) en vue de l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM).
L’expérimentation sur animaux s’avère donc nécessaire dans la mesure où elle permet de mieux baliser les pistes de la recherche clinique, d’accélérer le processus d’investigation et d’optimiser les moyens en argent et en temps.
La Chine et la Grande Bretagne, deux pays en avance dans le développement de vaccin, ont pu valider leurs modèles animaux très tôt, justes après le début de la crise en décembre 2019. Les deux pays disposent d’une grande infrastructure dédiée à l’expérimentation animale et d’un arsenal réglementaire avancé garantissant des animaux en qualité et nombre au moment opportun.
La Chine qui dispose entre autres d’un institut des sciences des animaux de laboratoire a pu développer deux modèles de souris et de singes génétiquement modifiés dès la fin du mois de janvier 2020 (China’s Heath News).
En fait, la recherche préclinique sur animaux fait partie intégrante de la chaine de valeur de l’innovation dans la mesure où elle contribue à l’optimisation de stratégies thérapeutiques par le criblage des molécules pharmacologiques dans un temps relativement court. Elle permet ainsi une progression rationnelle de la démarche expérimentale.
Mieux caractériser les modèles animaux et faire en sorte qu’ils soient plus proches de l’homme dans l’expression de la pathologie permet de réduire le taux d’échec lors du passage de la phase préclinique à la phase I clinique (revue Nature, 2014).
Indépendamment de la pandémie qui sévit actuellement, le recours à l’expérimentation animale reste incontournable dans la mesure où la complexité du vivant ne peut pas être reproduite sur des cellules in vitro ou grâce à des modèles informatiques (in silico). Les modèles animaux ont la vertu de pénétrer la complexité du vivant.
Les modèles animaux de la pathologie Covid-19
En réalité, il n’existe pas un modèle idéal en regard de chaque pathologie humaine mais plusieurs modèles dont le degré de pertinence varie, et c’est le croisement des résultats issus des différents modèles qui fera progresser les connaissances et permet d’orienter la recherche.
Nous ne prétendons pas ici de faire une étude scientifique détaillée mais nous nous contentons de relater les informations les plus pertinentes sur les modèles précliniques.
Les espèces animales qui peuvent servir de modèles pour la Covid-19 sont peu nombreuses. Il s’agit surtout de la souris, du macaque, du furet et à moindre degré du hamster syrien et du lapin.
• La souris «conventionnelle» reste un modèle accessible pour les pays en développement et ceci en raison de sa petite taille et de sa reproduction rapide. La souris génétiquement modifiée qui exprime le récepteur ACE2, site qui permet au virus de rentrer dans les cellules, donne plus d’informations. Elle est très utile pour réaliser un premier criblage de molécules antivirales ou de candidats vaccins. Malheureusement les souris dites humanisées, ne sont pas disponibles sur le marché international et ont fait l’objet d’une grande spéculation par les laboratoires de recherche dès l’avènement de la pandémie.
• Le macaque, primate non humain (PNH), est le modèle le plus judicieux en raison de sa phylogénétique et de son système immunitaire très proche de l’homme. Infecté expérimentalement par le SARS-CoV2, il développe des lésions pulmonaires avec une évolution clinique semblable à celle observée chez l’homme. Le singe est utilisé pour sélectionner les molécules antivirales et les candidats vaccins destinés à l’homme (Idmit, 2020)
D’ailleurs, l’OMS a instauré une coordination internationale, entre les centres de recherche utilisant les modèles de macaque, impliquant de nombreux pays (France, Pays-Bas, Chine et Etats-Unis).
• Le furet, carnivore appartenant à la famille des mustélidés, pourrait aider à mieux appréhender la maladie. En marge de l’épidémie du SRAS qui s’est déclarée en 2002-2003, l'administration à titre prophylactique d'anticorps monoclonaux humains a permis de réduire la réplication du SARS-CoV1 (Coronavirus responsable du syndrome respiratoire aigu sévère) dans les poumons de furets infectés dans 95 % des cas (Idmit, 2020).
L’immunisation des furets avec un vaccin recombinant a permis de développer rapidement des anticorps neutralisants en réponse à une infection par le SARS-CoV1. Ces résultats constituent un avantage pour aborder la maladie Covid-19.
Le furet semble être intéressant pour l’étude de la neuro-toxicité du SARS-Cov2 vu le tropisme nerveux du virus et la prédisposition de cet animal à exprimer des pathologies nerveuses spontanées.
• Le hamster syrien, rongeur et considéré comme nouvel animal de compagnie, semble avoir une susceptibilité à la maladie.
• La chauve-souris et le pangolin, réservoirs du virus, constituent des culs-de-sac épidémiologiques et n’expriment pas la pathologie. Ils constituent un modèle négatif qui permet de mieux cerner les mécanismes de résistance à la Covid-19 et de suivre certains indicateurs épidémiologiques dans un écosystème naturel.
Reste à ne pas perdre de vue que l’expérimentation dans le domaine de la virologie exige des normes strictes de biosécurité afin de protéger les différents intervenants (animalier, technicien, chercheur) et l’environnement. L’expérimentation doit se faire dans des laboratoires présentant un très haut niveau de protection.
La soumission du protocole expérimental, bien avant son initiation, au comité local de bioéthique pour évaluation permet de s’assurer de la qualité scientifique et éthique du projet.
Les exigences éthiques dans la recherche sur animaux
Les changements provoqués par les besoins reliés aux nouvelles technologies et aux exigences écologiques et environnementales, ont forcé constamment les sociétés à réviser et à adapter les considérations éthiques en rapport avec les animaux utilisés dans la recherche.
L’approche éthique de l’expérimentation animale s’articule autour du principe de la « Règle des 3 R» qui correspond aux initiales de trois mots clés : Remplacement, Réduction, Raffinement. Cette règle a été adoptée par la communauté scientifique internationale.
• Remplacement signifie qu’il faut éviter de recourir systématiquement aux animaux si des méthodes substitutives existent. Le chercheur doit valoriser au maximum les modèles in silico (simulation bio- informatique) et in vitro (cellule épithéliale de la trachée, lignées cellulaires) avant de se lancer dans les études in vivo (animal entier).
• Réduction vise à limiter le nombre d’animaux utilisés dans une expérience tout en restant compatible avec les impératifs statistiques.
• Raffinement consiste à éviter au maximum le stress et les douleurs chez l’animal ; les sujets stressés faussent d’ailleurs les résultats expérimentaux et introduisent des biais.
Il convient de souligner qu’une charte nationale d’éthique en expérimentation animale a été rédigée en 2017 par un groupe pluridisciplinaire d’universitaires tunisiens sous l’égide du secrétariat d’état à la recherche scientifique. J’ai eu le privilège de présider en 2017 la commission nationale d’éthique en expérimentation animale qui a eu la charge de rédiger cette charte.
Les articles de la charte entérinent les principes fondamentaux relatifs au respect de l’animal comme être vivant doté de sensibilité et d’émotions et ayant son droit à la vie, tout en insistant sur la nécessité de ne pas nuire à son intégrité et de ne pas lui endurer de souffrance.
La charte vise aussi à expliciter l’importance des valeurs de l’éthique pour définir un cadre adéquat, équilibré et transparent de la recherche scientifique et technologique en matière d’expériences sur les animaux lui garantissant fiabilité et crédibilité.
L’article 7 de la Charte stipule que « les chercheurs doivent consulter les comités d'éthique locaux, pour l'obtention d'un avis de conformité à l'esprit de la présente charte de leur pratique expérimentale ».
Une dynamique «bottom-up» émanant des universitaires tunisiens s’est instaurée par la suite et des comités locaux dédiés à l’éthique du vivant se sont mis en place dans plusieurs institutions universitaires (Manouba, Monastir, Sfax,..). C’est le cas du premier comité d’éthique dédié à l’expérimentation animale à l’école nationale de médecine vétérinaire de Sidi Thabet (CEEA/ ENMV) ; le comité de bioéthique médicale (CBEM) de l’institut Pasteur de Tunis est fonctionnel depuis 1994 et traite les dossiers sur animaux.
Un comité d’éthique reste une instance consultative qui incite le chercheur tunisien à adopter une attitude réflexive sur le bien-fondé scientifique, éthique et sociétal du recours à l’animal. Sa tâche est loin de faire la police scientifique mais d’engager le dialogue à travers une discussion éthique.
Nous espérons que le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique appuie cette dynamique et ceci en publiant officiellement la charte tunisienne et en veillant sur la bonne marche des comités locaux d’éthique à travers le pays.
Qu’en est-il de la situation de l’expérimentation animale en Tunisie?
Notre pays dispose d’une recherche de qualité dans les domaines utilisant l’animal de laboratoire (biologie, biotechnologie, santé animale, santé publique) et les chercheurs essayent d’appliquer au mieux les recommandations internationales pour pouvoir publier leurs travaux dans des revues indexées et reconnues internationalement.
Plusieurs espèces animales peuvent servir de modèles Covid-19 en Tunisie à l’instar de la souris, du hamster et à la limite du lapin. Le furet, espèce non autochtone, malheureusement étant non disponible.
L’expérimentation sur le singe (modèle de choix) étant interdite selon la règlementation et ceci suite à la publication dans le JORT du décret du 1er août 2014 portant une décision prise par le Ministère de l’Agriculture qui interdit l’importation des singes en raison du risque de transmission de certains virus à l’instar du virus de l’Ebola qui a frappé plusieurs pays du continent africain.
Au-delà de la disponibilité d’animaux en temps opportun et de qualité, la structure de recherche doit veiller sur les conditions d’hébergement dans des locaux appropriés aux besoins de l’espèce et de garantir la protection et les soins nécessaires. Ceci exige un personnel compétent et dédié exclusivement à ses activités animalières (animalier, technicien, médecin vétérinaire, biologiste).
Une mise à niveau des animaleries et des locaux dédiés à l’expérimentation animale doit être entamée de façon sérieuse et dès que possible afin de préserver le bien-être des animaux de laboratoire et de garantir la qualité de notre recherche.
Un cadre réglementaire minimal régissant le secteur de l’expérimentation animale en Tunisie doit être aussi instauré très rapidement afin de combler le fossé qui existe entre notre pays et les pays industrialisés. Ce retard législatif peut être rattrapé facilement surtout que la volonté des autorités de tutelle ne manque pas, il suffira d’entamer le processus. Ce que nous espérons dans tous les cas.
Une telle restructuration de l’expérimentation animale permet une meilleure communication entre les différents acteurs, une plus grande transparence de notre recherche et plus d’intégrité scientifique.
Un meilleur positionnement et une bonne visibilité de notre recherche favoriseraient l’attractivité des sociétés de recherche et de l’industrie pharmaceutique internationale pour conduire des recherches et investir en Tunisie, ce qui contribuera à l’efficience économique dans ce secteur et permet du moins en partie d’intégrer les docteurs en sciences biologiques en attente d’un travail.
Cette crise planétaire complexe pourrait constituer une opportunité pour mieux organiser la recherche animale dans notre pays et tenir compte dans les stratégies de la recherche scientifique la nécessité d’une expérimentation «éthique» et rationnelle sur les animaux.
Ouajdi Souilem
Professeur de Physiologie à l’Ecole Nationale de Médecine Vétérinaire
Président du Comité d’Ethique en Expérimentation Animale, CEEA/ ENMV Sidi Thabet
Membre du Bureau du Conseil International des Sciences des Animaux de Laboratoire, ICLAS