Albert Memmi est décédé : la Tunisie perd en lui l’un de ses illustres écrivains
Il allait avoir cent ans, le 20 décembre prochain. Albert Memmi, l’enfant de Tronja, ce quartier populaire des faubourgs de Tunis, est décédé. Il a été un essayiste de talent et un écrivain lauréat de prestigieux, dont le Grand Prix de la Francophonie qui lui a été décerné par l’Académie française en 2004, pour l’ensemble de ses œuvres. Romancier, militant des causes indépendantistes et contre le racisme, Memi avait porté sa judéité en sacerdoce, et son amour pour la Tunisie, en passion originelle. De toutes ses empreintes littéraires, il avait marqué sa génération et son siècle. L’ancien élève du Lycée Carnot, où il enseigna, avant de « monter » s’installer à Paris, nous lègue une œuvre qui fait référence.
Lui rendant hommage, l’ambassadeur de France à Tunis, Olivier Poivre d’Arvor, affligé par sa disparition, a écrit :
Albert Memmi n’est plus, parti dans la nuit de Paris de ce vendredi 22 mai, une nuit de shabbat, entre celle du Destin et de l’Aïd el Fitr.
Paix à son âme !
Il est parti loin de Tunis où il était né, il y a exactement 100 ans, loin du quartier de la Hara, et de l’impasse Tronja. Loin de cette Tunisie qui l’a tant façonné et a fait éclore une œuvre unique, magnifique, puissante, complexe et parfois incomprise, tant l’arrachement à la terre natale et la marque de sa judéité y sont forts. « Un écrivain de la déchirure », comme le dit si bien Guy Dugas à qui l’on doit un travail remarquable sur l’auteur et l’édition de son journal intime, à compter de la seconde guerre mondiale.
Né en 1920, disparu en 2020, élève de Jean Amrouche au lycée Carnot, enseignant de philosophie à Tunis, Albert Memmi nous a donné de grands livres. La Statue de Sel, préfacé par Albert Camus, et Portrait du colonisé, précédé du portrait du colonisateur, préfacé par Jean-Paul Sartre… mais aussi le Nomade Immobile et tant de beaux textes.
Celui qui a accompagné et soutenu avec conviction le mouvement nationaliste et l’indépendance tunisienne quittera son pays natal en 1956.
J’espérais, depuis trois ans, qu’il puisse venir rencontrer une fois encore ses amis tunisiens et nous parler de cette œuvre-vie si imposante.
Lors d’une dernière correspondance, il y a quelques semaines, il avait décliné cette offre, en raison de son grand âge, mais adressait à la Tunisie de son cœur et de sa chair un salut chaleureux.
Après Leïla Menchari, il y un peu plus d’un mois, c’est un immense monstre sacré qui vient de disparaître, un passeur de ces deux rives, entre Tunis et Paris, entre nos deux pays, nos langues, nos croyances, notre Méditerranée. Avec sa disparition, c’est un continent d’Histoire et de cultures partagées qu’il nous appartient, face à l’ignorance, au repli sur soi et au refus de l’Autre, de faire vivre plus que jamais avec intensité.
Olivier Poivre d'Arvor,
Ambassadeur de France à Tunis
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