Philippe Abastado: Si vous êtes sages, vous serez déconfinés
Philippe Abastado.CRPMS - Université de Paris- Les réactions des états d’Asie -la Chine exceptée- à l’épidémie sont données en exemples : rapidité des mesures, confinement rigoureux, port du masque généralisé, tests très diffusés, populations compliantes. Les Français, Italiens ou Espagnols sont présentées comme des irresponsables. Les médias comme les messages gouvernementaux participent à une infantilisation : si vous êtes sages, vous serez « déconfinés », si vous n’obéissez pas vous aurez une amende, si vous n’êtes pas sage, retour du confinement. Vous allez être grondés…
En Asie, il n’est guère utile de créer la peur d’une épidémie. Le précédent SRAS a laissé des souvenirs. L’épidémie avait débuté en Chine avant de diffuser largement en Asie. Elle a duré neuf mois de novembre 2002 à juillet 2003. L’OMS a rapporté pendant cette période 8 096 cas, dont 774 décès (taux de létalité de 9,6%). Hong Kong et Singapour furent sévèrement touchés. Avec le recul et l’éloignement géographique, ce premier SRAS ne parait qu’une « petite » épidémie avec peu de morts, une durée brève et un impact économique faible. Mais le lourd tribut payé par les soignants (plus de 20% de la totalité des cas selon l’OMS) a marqué les esprits. L’OMS avait conclu : « La riposte au SRAS est un galop d’essai pour la mise en place d’une alerte globale et des activités de riposte dans le cadre de la révision du règlement sanitaire international, qui met à disposition le cadre légal de travail pour la surveillance et la notification des maladies infectieuses et pour l’utilisation de mesures visant à limiter leur propagation internationale »(1) .
En France, 437 cas possibles furent signalés à Santé publique France entre mars et juillet 2003. Sept cas probables ont été finalement retenus dont un patient décédé. Le SRAS 1 n’a pas inquiété la France. Plaidons non coupable de notre amnésie devant la faible ampleur du phénomène et surtout, l’été 2003 fut celui de la canicule avec ses sujets âgés morts de déshydratation.
Avec, le retour du SRAS à la fin 2019, les gouvernants de Hong Kong ou de Singapour ne furent pas désemparés, leur réaction avec un confinement strict fut immédiate. Ils avaient déjà un logiciel. Mais apparait une question : pourquoi la Chine, épicentre de cette première épidémie, semble ne rien avoir appris ?
Quelques rappels supplémentaires de 2002 à partir de l’enquête de Paul Benkimoun et Sandrine Blanchard publiée le Monde sous le titre de « Le SRAS, histoire d’un tueur en série » le 03 mai 2003.
Le 27 novembre, le Global Public Health Intelligence Network (GPHIN, Réseau global de renseignement sur la santé publique) détecte le début d'une épidémie en Chine. Un rapport chinois demande aux garderies, aux écoles et aux usines de mettre en quarantaine les personnes infectées. Début février, un message parvient au bureau chinois de l’OMS selon lequel une "maladie contagieuse étrange" qui a "déjà fait plus de cent morts" en une semaine et se développe dans la province du Guangdong, en l'espace d'une semaine. Le message est transmis au bureau pékinois de l'OMS, avec, en note : "L'épidémie ne doit pas être connue du public et médiatisée, mais, sur place, il y a un début de panique chez les gens qui se ruent dans les pharmacies pour acheter tout ce qu'ils peuvent, pensant se protéger."
Le 10 février, le bureau pékinois de l'OMS reçoit un coup de téléphone de l'ambassade des Etats-Unis qui signale une information, communiquée par un citoyen américain, à propos d'une "étrange maladie et beaucoup de morts à Canton". Ces rumeurs sont transmises au bureau régional du Pacifique occidental de l'OMS, à Manille (Philippines) et au siège de l'Organisation à Genève (Suisse). Le même jour, le consulat du Japon de Guangdong rapporte une épidémie de pneumonie atypique observée dans le sud de la Chine. Le lendemain, l'OMS reçoit un rapport du ministère chinois de la santé qui fait état d'une irruption de syndrome respiratoire aigu avec 300 cas et 5 morts dans la province de Guangdong entre le 16 novembre et le 9 février. L’épidémie fait son entrée officielle sur la scène internationale avec plus de deux et demi mois de retard. En 2004, la Chine et la France décident de s’associer dans la lutte des maladies infectieuses émergentes ce qui se concrétise par la construction d’un laboratoire de virologie type P4 à Wuhan.
Revenons à la question de cette faible réactivité chinoise en 2019. L’information d’une épidémie est donnée officiellement après seulement 6 semaines d’évolution, net progrès par rapport à 2002. Mais l’ampleur du phénomène est sans commune mesure avec le précèdent. Morbidité et mortalité sont considérablement sous-estimées. Les chiffres proposés ne paraissent pas à l’échelle du réel. Deux interprétations paraissent vraisemblables. La première est une déliquescence du système de santé avec une inefficacité de l’administration en matière de santé. La seconde serait que le message n’est pas une information ai monde mais une communication du gouvernement chinois. Pour les dirigeants de ce grand pays, la problématique majeure reste la dynamique politique et économique du pays, au regard de cet impératif collectif l’humain vaut peu. Fournir des données scientifiques valides à la communauté internationale est peu utile. Le traitement médiatique d’une épidémie doit rester matière à propagande.
La seconde interrogation porte sur l’OMS. La mission qu’elle s’était donnée en 2002 se révèle être un échec. Il lui est reproché une déclaration tardive (30 janvier) de l’« urgence sanitaire ». Une maladie garde toujours sa part d’irrationnel (je vous renvoie à mon dernier livre : Le dernier déni : craignons-nous plus la mort que la maladie ? Publié chez Albin Michel). Mais, encore une fois, les instances de régulation internationales se trouvent remises en question. L'OMS est une organisation intergouvernementale qui ne dispose pas de réel pouvoir de coercition. Elle fait confiance aux informations fournies par les états et ne prend un rôle important que dans ceux dépourvus d’agence statistique de santé. Ainsi, l'organisation est accusée de faire trop confiance aux autorités chinoises et son directeur général, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus a bénéficié de leur soutien lors de l’élection de 2017 (Douste Blazy y fut un candidat malheureux). L’organisation a adopté en mai 2019 la médecine traditionnelle chinoise dans la classification internationale des maladies. Mais, l’OMS fut hier critiquée de l’inverse avec des messages d’alerte soit perçus comme trop précoces (H1N1 en 1995) ou trop tardifs (Ebola 2014). Cette organisation, comme l’UNESCO ou même l’ONU, suppose que les Etats travaillent pour un bien commun, cette idéologie a perdu de sa vigueur et chacun utilise ces instances internationales comme outils à finalité égotiste.
En France, durant les deux premiers mois de 2020, l’Etat n’était pas prêt. Le logiciel « prise en charge d’une épidémie » n’avait pas encore était imprimé. L’étiquette « urgence » était accolée à la lutte antiterroriste qui avait son propre logiciel. Ce dernier est aujourd’hui désactivé. Une maladie chasse l’autre.
Philippe Abastado
CRPMS - Université de Paris
(1) David L. Heymann, Situation de l’épidémie de SRAS et leçons à tirer pour l’avenir immédiat, bulletin OMS 11 avril 2003