Dr Mohamed Salah Ben Ammar: La majorité n’a pas toujours raison!
Dr Mohamed Salah Ben Ammar - La récente affaire de la jeune Emna Chargui poursuivie en justice pour avoir partagé un texte, médiocre mais censé être humoristique est choquante à plus d’un titre. Et comme pour clore définitivement le débat certains affirment qu’elle serait athée !
Dans la même veine, il y a quelques temps lors d’une réunion internationale de bioéthique cautionnée par une agence onusienne, la discussion d’un texte sur la procréation artificielle a provoqué la colère des représentants de certains pays de notre région. Pour me faire taire un des participants m’a lancée l’accusation suprême, ce projet de texte est pro-féministe et défend les droits des homosexuels ! Le plus choquant a été la réaction de la salle, la violence de l’intervention a sidéré tous les présents, personne n’a osé réagir, y compris moi.
On ne compte plus les propos xénophobes, sexistes, homophobes, régionalistes, antisémites et les accusations d’apostasie dans nos médias et même à l’ARP. Un petit air fétide des années 30 en Europe. Des dirigeants de grands pays et non des moindre crient à tue-tête, il ne peut y avoir d’homosexuels ou d’athées chez nous !
Officiellement nous sommes une société bien policée d’où rien ne déborde. Certains sujets sont tabous, personne n’a le droit d’en parler à l’exception des « milices des bonnes mœurs et de la foi » qui sous le prétexte fallacieux de défendre nos racines culturelles s’en prennent à tous ceux qui s’écartent du « droit chemin ».
Des limites ils en ont pas, certains à l’ARP sont allés jusqu’à traiter les tunisiens binationaux de bâtards ?
Les thématiques classiques de néofascistes sont reprises sous couvert de la défense de notre culture ou religion, tout y passe, les minorités, les intellectuels, les grosses fortunes...Cette ambiance nauséabonde règne actuellement dans notre monde politique et peu ont le courage de la dénoncer, peut-être même qu’une bonne majorité approuve ces écarts ?
Les exemples de stigmatisations pourraient être déclinés à l’infini, les noirs, les juifs, les tunisiens vivants à l’étranger, ceux qui s’habillent autrement, ceux qui parlent d’autres langues et même les malades mentaux, sans oublier les minorités sociales, je veux dire les femmes en particulier. La cible diffère mais les mécanismes d’exclusion sont les mêmes.
Écrire en chinois ou en russe ou en français remet-il en question notre attachement à nos racines ?
Croire ou ne pas croire, jeuner ou ne pas jeuner, se teindre les cheveux, porter un maillot de bain, se raser la barbe…Qui a fixé la norme ? Ibn Taymya au 13eme siècle ou Mohamed Ben Abdelawaheb au 18eme siècle ?
Il est presque indécent de le réaffirmer, chacun a le droit de croire ou de ne pas croire et de l’exprimer librement. Chacun a le droit de vivre sa sexualité comme il l’entend du moment qu’il s’agit d’adultes consentants qui ne nuisent à personne.
Les protecteurs « autoproclamés » d’un modèle de société n’ont pas le droit de s’immiscer dans ces sphères strictement personnelles, à partir du moment où elle n’empiète pas sur la liberté des autres.
Que représentent à l’échelle mondiale le nombre de livres écrits en arabe ou traduits à l’arabe par an ? Rien ou presque. Pourtant ils organisent des autodafés et se plaignent ensuite de l’affaiblissement de notre culture ! La haine les aveugle au point qu’ils ne réalisent même plus qu’eux et leurs semblables sont la principale cause de la décadence dans laquelle patauge notre vie culturelle !
La meilleure façon de laisser s’épanouir une culture n’est-elle pas de la laisser ouverte aux autres cultures, de laisser la jeunesse s’exprimer librement même (surtout) dans ses excès, de laisser à chacun la liberté de ses convictions. De maitriser d’autres langues, des stimuler la créativité et de soutenir financièrement toutes les initiatives, de financer les activités culturelles à tous les niveaux, mais c’est bien là le problème, ils craignent la liberté.
Être un bon citoyen, être fier de ses origines, respecter son proche ne peut jamais se construire sur la contrainte ou la répression, il suffit de lire l’histoire des civilisations, la vraie histoire, pas celle créée à des fins politiques.
Nos différences sont autant de richesses. Il nous faut apprendre à vivre ensemble et accepter l’autre, cela ne va pas de soi, j’en conviens. Pour reprendre une idée chère à Proudhon je dirai que le plus important est de socialiser les libertés individuelles pour leur permettre de s’épanouir sainement. Toutes formes de répression des esprits aussi minimes soient-elles ne servira qu’à assouvir un sentiment primaire chez les humains, exclure les autres ceux qui sont différents.
Essayer de rendre invisible la différence est une perte de chance pour toute la communauté. Les différences existent et elles continueront à exister, elles sont une richesse.
Les vraies menaces pour notre culture, pour l’islam et la langue arabe sont l’immobilisme, l’ignorance, l’obscurantisme, le repli sur soi, la haine de l’autre celui qui est différent. Bref tous ces travers, contraires aux valeurs humanistes qui ont fait jadis la grandeur de la civilisation arabo-musulmane.
Enfin le respect des droits des minorités est un des piliers de notre démocratie, garanti par la constitution tunisienne et les lois tunisiennes, il est actuellement bafoué quotidiennement, nous devons nous mobiliser pour l’imposer.
Dr Mohamed Salah Ben Ammar
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