News - 12.05.2020

Riadh Zghal : L’Etat veut-il vraiment soutenir l’économie sociale et solidaire?

Riadh Zghal : L’Etat veut-il vraiment soutenir l’économie sociale et solidaire?

Par Riadh Zghal - Un projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire fait débat depuis quelque temps. Depuis que l’on parle de la nécessité de changer de modèle économique voilà une piste qui s’offre au pays. Mais d’abord, qu’est-ce que l’ESS : solidarité, priorité accordée au social, à l’écologique, la participation, l’équité et surtout l’innovation. Si la solidarité avec ses multiples formes a toujours été un liant pour les hommes en société, les formes que prend cette solidarité en économie s’inscrit dans un processus continu d’innovations. Notre continent africain connait déjà les tontines comme forme d’épargne collective conçue et adaptée aux divers groupes (femmes, hommes, agriculteurs, commerçants), la touiza, la ma3ouna qui réfère à des pratiques d’entraide pour la réalisation de projets tels la construction d’une demeure ou la récolte.

Une revue de la littérature actuelle fait mention de nombreuses formes d’activité pouvant s’inscrire dans l’ESS et constituer un véritable secteur nourri par le mouvement mondial de contestation de l’ultra libéralisme. C’est le mouvement de l’alter mondialisme qui en appelle à plus d’équité dans la distribution des richesses, à l’éradication de la pauvreté, à la protection de la nature et de l’environnement, bref à plus de justice et de respect de la nature dans le monde actuel et à venir. Nous avons pu énumérer près d’une quinzaine de structures collaboratives, solidaires et qui se distinguent du point de vue de leurs objectifs et de leur mode d’organisation. Ce sont les coopératives, les entreprises sociales visant la génération de profit afin de se libérer de la dépendance des dons, les mutuelles, les organisations non gouvernementales, les milliers de formes d’auto-assistance de production et de services, les réseaux de commerce équitable, les collectifs de consommateurs, les associations de travailleurs de l’économie informelle, les différentes formes de solidarité financière telles les monnaies complémentaires locales, les modes d’épargne collective, le crowdfunding et autres formes de partage associées à «l’économie collaborative », les associations de Business angels, les fondations , les plateformes de logiciels libres, les bases de données en accès libre. Il y en a et il y en aura certainement d’autres car l’imagination humaine n’a pas de limites et l’innovation ne peut être listée dans un texte de loi.

L’ESS n’est évidemment pas à confondre avec la charité ni avec la zakat. En revanche elle s’appuie sur des valeurs morales et ses activités impliquent des personnes de divers horizons qui agissent collectivement et solidairement. L’ESS ouvre le champ de l’activité économique à la participation démocratique et à l’émancipation politique.

En général ces différentes formes d’ESS ne fonctionnent pas de manière isolée mais sont connectées à d’autres formes d’activité liées au secteur privé, à l’Etat, à l’économie informelle aussi bien qu’aux diverses structures de la société civile dont certaines sont à vocation politique intégrant la bonne gouvernance et l’autonomisation de certaines catégories de la population (femmes, jeunes, agriculteurs pauvres...). Les entreprises sociales et solidaires créent de la richesse et des emplois autrement. Etant fortement ancrées dans leur territoire, elles contribuent à la résolution de problèmes particuliers mais cela n’empêche pas que leur caractère innovant soit diffusé au-delà du local et franchisse les frontières nationales pour devenir mondial. C’est l’exemple du microcrédit lancé au Bengladesh par Muhammed Yunus, puis devenu un mode de financement utilisé de par le monde. L’Egyptien Ibrahim Abuleich a créé une entreprise sociale Sekem sur une parcelle de désert aux environs du Caire. Sekem comporte des fermes, des entreprises industrielles agroalimentaires, de cosmétique, de production d’herbes médicinales et de coton organique (non génétiquement modifié et cultivé sans aucun produit chimique), un centre médical, des écoles, une crèche, un centre de formation professionnelle, une école supérieure, un centre de recherches et une université pour le développement durable.  Outre le bien-être social qu’a généré l’organisation Sekem, l’usage de pesticides a chuté de 90% dans les champs de coton égyptiens.

A l’origine l’ESS constitue un secteur ancré dans un territoire qui inspire à ses structures des objectifs innovants de résolution de problèmes et/ou de valorisation de ressources, de création de richesse destinée non au profit mais à l’intérêt général, souvent en partenariat avec l’Etat et ses organisations administratives aussi bien locales que nationales, et/ou avec le secteur privé. 

Si l’on examine le projet de loi actuellement en débat, il apparaît en deçà de l’intérêt que l’on peut attendre de l’ESS et cela pour plusieurs raisons. Le titre 1 des dispositions générales stipule (article 3, §5) que, s’agissant des structures de l’ESS, « la rentabilité est limitée ou nulle » ce qui est en contradiction avec la nécessité de créer de la richesse permettant la résolution de problèmes sociaux, l’emploi et autres objectifs visés par la constitution de ces structures. Leur rentabilité ne se mesure pas en termes financiers uniquement, c’est pourquoi le terme en soi paraît inapproprié. Il y a donc nécessité de concevoir des paramètres innovants pour mesurer la rentabilité sociale des structures de l’ESS. De plus, le projet de loi ne mentionne pas la possibilité de partenariat avec les secteurs public et privé autrement que par des dons, alors que c’est justement en renforçant ce partenariat créateur de synergie que l’on peut optimiser les retombées économiques et sociales de ce secteur. S’agissant de la gouvernance, on peut également reprocher à ce projet de loi la domination d’une approche top down.

La création par des citoyens d’une entreprise sociale est sans conteste en harmonie avec les problématiques d’un territoire, d’un contexte particulier et sa gouvernance devra en tenir compte. Ce n’est donc pas en créant « un conseil supérieur » au sommet de l’Etat, ou un ministère dédié (encore un autre) que l’on peut assurer sa bonne gouvernance. C’est au contraire, dans le cadre de la décentralisation qu’il faudra placer cette gouvernance de manière à renforcer les partenariats, la création de synergie entre les différents secteurs, la mutualisation des moyens et le renforcement des capacités pour une meilleure efficacité dans le traitement des problèmes. Les expériences dans le monde révèlent que si l’ESS échoue c’est par manque de moyens et de compétence. Et si la stratégie nationale vise à faire de l’ESS un secteur porteur de développement, il faudra l’intégrer aux stratégies des divers ministères car les problématiques locales et nationales touchent tous les secteurs depuis l’éducation jusqu’à la santé en passant par l’emploi, l’agriculture, la recherche scientifique… et autres domaines de la gouvernance nationale. Si l’Etat souhaite réellement adopter une stratégie favorable à l’ESS il devra être attentif aux initiatives des personnes et des organisations. Parmi elles on citera à titre d’exemple les pistes ouvertes par l’éco-construction qui a déjà fait l’objet de 12 expositions, le label RSE initié par la CONECT, les projets des startups innovantes, les élans sociaux de solidarité…

Riadh Zghal

  
 

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