Me Mohamed Fadhel Mahfoudh: « Vivre et laisser mourir » ou « mourir peut attendre »
Par le bâtonnier Mohamed Fadhel Mahfoudh, ancien ministre – En analysant les mesures du déconfinement progressif proposées par le gouvernement tunisien, je me suis rappelé de l’intitulé de ce long métrage de la fin des années 70 où James Bond, personnage principal campé par un Roger Moore, flegmatique avait bien entendu le permis de tuer, mais aussi le droit de laisser mourir le mal pour que le bien continue à survivre.
Aussi farfelu que cela puisse paraître, l’analogie est troublante, tant le scénario du déconfinement ressemble à la trame d’un Bond pas au mieux de sa forme.
D’ailleurs le «Vivre et laisser mourir » avec Roger Moore n’était pas le meilleur de la série.
Venons-en aux faits de notre réalité et non pas de la fiction.
Absence de tests de dépistages massifs, pénurie de moyens de protection (masques et solutions hydro- alcooliques), suspicion de délit d’initié tout au moins de conflit d’intérêts, statistiques approximatives, et surtout une contradiction des mesures, en imposant quelques règles, sans préparer les conditions de leur application.
Mais avec ça, nous semblons protégés d’une déconfiture virale ou épidémiologique, grâce à Dieu et à nos aïeuls bienfaiteurs d’antan.
Alors on déconfine, progressivement, mais on déconfine, tout en misant sur la maturité du peuple pour observer des normes qui n’en sont pas vraiment.
Nos forces de police, notre autorité judiciaire et nos avocats sont désemparés, embarrassés par tant de lois, décrets lois, règlements, circulaires, notes de services et j’en passe, et se trouvent débordés et même gênés entre le respect strict de l’état de droit et une certaine souplesse vis-à-vis des contrevenants.
Mais qu’à cela ne tienne, nous comptons sur la compréhension du peuple face à une situation inédite, alors on excuse même les erreurs qu’on ne pardonnerait pas en temps normal.
« Laisser le gouvernement travailler »n’est plus un slogan de l’ancien régime, mais plutôt le mot d’ordre des révolutionnaires de 2019 nouveaux gardiens du temple de la transition démocratique.
Les critiques, les doléances ou la colère ne peut émaner que de ceux qui souffrent de maladies neurovasculaires, ou qui pêchent dans les eaux troubles de la marée, le moindre faux pas, à ces braves gens.
« Mais les braves gens n’aiment pas que, l’on suive une autre route qu’eux »comme dirait Georges Brassens, et gare, gare, gare, non pas au gorille, mais aux acolytes du coronavirus.
Ils le sont d’autant plus qu’ils ne parlent et n’écrivent pas dans la langue de Sibewayh et ont choisi de se prosterner devant la langue de Voltaire
Les ministres des enseignements de chez nous n’aiment pas ces gens-là qui sautent sur la première occasion pour les railler, ou tourner en dérision leurs prononciations. D’ailleurs, cette langue étrangère n’est que le butin gagné lors de nos luttes, comme dirait Kateb Yacine, ou au meilleur des cas une muse dont on se sert pour se distraire et donner des couleurs à la toile.
Un peu plus haut de l’échelle, notre seigneur, pour nous musulmans, non pontifical, aux allures et comportements monarchiques, préfère le règne au magistère en usant et abusant des contes, des anecdotes et des dictons des premiers siècles de l’Hégire, qui ont rempli le monde et préoccupé les gens. Les œufs de pâques s’en souviendront comme dirait une de nos grosses cylindrées productrices dans le secteur des volailles.
Nos voisins n’auront qu’à bien se tenir, pour éviter notre force de frappe, qui ferait des ravages dans leurs rangs.
Bien entendu, si on arrive à inquiéter l’ennemi armé jusqu’aux dents, le coronavirus, on n’en ferait qu’une bouchée.
Il suffit de voir le dévouement du peuple tunisien dans cette guéguerre, pour se rendre compte qu’il est prêt pour mourir et non pas pour vivre ; et c’est pour cela qu’on déconfine rapidement et on prend ainsi, l’ennemi au dépourvu.
Alors « la mort peut attendre »n’est-ce-pas ? Le nouvel opus de la série des James Bond incarné par un Daniel Greg poutinesque, ne le démentirait pas et qui devait sortir au mois de mars mais qui finalement ne sera libéré de son confinement qu’au mois de novembre 2020
Vive la république vive la Tunisie.
Le Bâtonnier Mohamed Fadhel Mahfoudh,
Ancien ministre,
Prix Nobel de la Paix 2015