Tout sur la chute historique du prix du baril : Pourquoi des spéculateurs paient 40$ le baril de pétrole pour vendre leurs positions de mai ?
Lundi noir historique pour le cours du pétrole qui passe au négatif, dans une stupéfiante descente aux enfers. Deux éminents experts, Kamel Bennaceur et Mahmoud El May, nous aident à décrypter ce qui vient d’ébranler le monde entier. Juste achetez autant que possible de pétrole, non seulement c’est gratuit, mais on vous paie en plus de 37 à 40 dollars américains par baril. Acheter, c’est-dire, disposer de la capacité de stockage nécessaire, sur des bateaux tankers s’il le faut. Mais, aussi, acheter tout de suite, aujourd’hui mardi 21 avril, avant 14H15 heure de New York, des positions qui concernent le mois de mai prochain. Comment des fonds spéculatifs, croyant faire un très beau coup ont tout raflé pour se retrouver submergés aujourd’hui par d’énormes quantités à stocker, sauf qu’ils ne trouvent pas où ? Du coup, ils doivent vendre tout de suite, quitte à payer le plus fort. Eclairages.
Du jamais-vu dans l’histoire de l’or noir. Grosses pertes bancaires et faillites en cascades sont d’ores et déjà annoncées, rien qu’à cause de ce coup. Mais, attention nous préviennent deux grands experts tunisiens très connus dans le monde pétrolier. Pour Mahmoud El May, ingénieur pétrolier, président d’un groupe énergétique opérant sur le marché international, et ancien député constituant (Al Jomhoury) et Kamel Bennaceur, ancien ministre de l’Industrie, de l’Energie et des Mines (2014) et président mondial de la SPE : c’est très provisoire. Ils nous expliquent pourquoi.
« L’indice West Texas du Pétrole Brut est descendu temporairement au prix négatif de -37$ aujourd’hui », alerte Bennaceur, depuis les Emirats Arabes Unis. » Pour les non-initié le West Texas Intermediate (WTI), qui est également connu sous le nom de Texas Light Sweet, est un type de pétrole brut utilisé comme standard dans la fixation du prix. « Celui qui est acheté sur la plupart des marchés internationaux, précise-t-il, est le Brent qui est à 26 $. La raison pour les prix aux États Unis est l’absence de capacités de stockage. Les prix sont négatifs, c’est à dire que les acheteurs seraient payés pour recevoir le pétrole. »
L’analyse détaillée de Mahmoud El May
Chute de la demande mondiale suite à l’arrêt du transport aérien et des usines, mais aussi les autres conséquences du confinement quasi-mondial, maintien d’un niveau élevé de production du pétrole et saturation des stockages et pipelines : tous les ingrédients sont-là. Cueilli lundi soir tard, en pleine salle de marché (virtuelle), Mahmoud El May, depuis ses bureaux européens, revient plus en détail, sur ce qui s’est passé ces derniers jours. De la pression américaine sur les grands pays pétroliers, jusqu’au coup historique de ce lundi.
Depuis la dernière intervention de Trump début avril courant, et son Tweet demandant à l’Arabie Saoudite et à la Russie de baisser leurs production de 10 millions de barils/jour, j’avais écrit qu’une réduction de seulement 10M de barils/jour ne changerait rien aux réalités du marché. Les prédictions étaient, alors, une baisse de 20$, et un Brent à 15$
Or, au même moment, des fonds spéculatifs ont joué très gros en achetant massivement, et c’est ce qu’a d’ailleurs fait que le jour du Tweet lancé par Trump, on monte de 28$ à 35$. Des rumeurs disent qu’un seul Fond (USO Fund Delaware) a pris à lui seul des positions énormes sur le marché à terme WTI du mois de mai 2020.
La chute du prix du baril de pétrole, de ce lundi, 20 avril, est due en grande partie à des facteurs purement techniques. Ceux-ci n’ont affecté que le premier mois des contrats à termes. En effet, alors que les achats pour le mois de mai prochain se vendaient à des prix négatifs (plus bas -40$), ceux du mois d’après, juin 2020, le WTI était à 22$ et le Brent livraison Juin (référence EU) à 26-28$.
Le contrat WTI livraison Mai, expire aujourd’hui, mardi 21 avril à 14 :15 NYT. Or le fond ne veut pas prendre livraison des barils physiques et doit fermer ses positions en vendant. Par malchance, les capacités de stockage sont au bord de la saturation. Et quand les stocks et les oléoducs sont pleins, il n’y a plus de limite à la baisse. Des prix négatifs sont possibles.
La question qui se pose est de savoir qui peut acheter, en ce moment en profitant des prix négatifs, et pourquoi faire ?
. Un armateur qui se fait financer son navire-tanker pétrolier par le prix qu’il reçoit pour acheter les barils. Il prend livraison et laisse son navire en stockage flottant jusqu’à des jours meilleurs. Il peut toujours vendre les positions du mois de juin 2020 à 22$ avec une marge bénéficiaire de 40$ le baril. Il faut cependant que son bateau tanker ne soit pas à l’autre bout du monde
. Un producteur Texan qui prend les 37$ et ne produit pas la quantité de Mai.
Cette situation va mettre encore plus de pression sur la production américaine qu’on verra diminuer des 8Mbbl/jour d’huile de schiste. Des Banques laisseraient certainement des plumes, les dettes des sociétés d’huile de schiste sont de l’ordre de 200 milliards de $.
Malgré cet ''incident'', le marché reste au-dessus des 25$ pour le Brent, avec une offre dépassant de 30% la demande.